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Posted on 10 juin 2019 in Vins suisses

Les nouveaux cépages font de la résistance

Les nouveaux cépages font de la résistance

Cela fait bientôt un demi-siècle qu’on parle des «nouveaux cépages» de Changins. Ceux de la dernière génération, Divico rouge et Divona blanc, sont résistants aux champignons, fléaux de la vigne. Et les suivants seront développés avec l’INRA de Colmar (Alsace). Une avancée fondamentale !

Par Pierre Thomas

«Un cépage qui ne nécessite aucun traitement, c’est magique, ça change la vie !», s’exclame d’emblée l’œnologue Catherine Cruchon, d’Echichens. Pour Olivier Viret, responsable du Centre (vaudois) de compétences des cultures spéciales, à Marcelin, ces «cépages résistants» s’inscrivent en première ligne du plan d’action phytosanitaire fédéral, qui impose aux cantons d’appliquer leurs propres mesures. «Il y a une attente sociétale de diminution des intrants, avec une lourde pression», constate le scientifique. Le Conseil d’Etat vaudois a ainsi annoncé que les domaines cantonaux, dont les vignobles (une quinzaine d’hectares), doivent renoncer au glyphosate d’ici 2020. Le Conseil fédéral se calque, lui, sur la position de l’Union européenne, qui en rediscutera dès 2021, soit au moment où la France devrait y renoncer.

Pas de cépages traditionnels sans traitement

«On cherche depuis 1970 à réduire les intrants», rappelle Olivier Viret. Et la production intégrée (PI) était déjà une première réponse. Mais, pour le spécialiste, «si on veut cultiver la vigne de la façon la plus écologique et durable possible, on doit raisonner sur le matériel végétal. Car si on s’en tient aux cépages traditionnels que sont le chasselas, le gamay et le pinot noir, on va continuer de devoir traiter avec des produits phytosanitaires.»

Que ce soit en PI ou en bio, la lutte contre le mildiou et l’oïdium exige 6 à 10 traitements par an. En culture dite conventionnelle, ces traitements représentent 80% des intrants phytosanitaires utilisés à la vigne. Quant au recours limité par le bio au soufre et au cuivre, il pose d’autres problèmes… On continue de chercher des substances d’origine naturelle, qui combattraient efficacement les trois fléaux que sont l’oïdium, le mildiou et le botrytis (la pourriture grise).

Des études sont menées à Agroscope Changins, par Katia Gindro, depuis 2006, cofinancées notamment par neuf des plus célèbres châteaux bordelais (dont Château Latour, qui a obtenu, en octobre dernier, le label bio Ecocert, Mouton-Rothschild, Yquem et Petrus). Les avancées portent sur des extraits de sarment, avec un mélange de molécules complexe, et un biogel efficace contre l’oïdium, qui nécessitent d’être stabilisés, pour les rendre utilisables à grande échelle.

Deux enfants du gamaret

Mais, constate Olivier Viret, à ce jour, «la molécule miracle n’existe pas». Après la prévision des risques par le suivi météo (10 à 30% d’efficacité), le dosage adapté des produits (20 à 30%), les «cépages résistants» représentent, selon les années, 75 à 100% d’efficacité. Sans le gamaret, Divico et Divona ne seraient pas nés. Tour à tour, le cépage rouge croisé entre gamay et reichensteiner en 1970 par Changins, est devenu le père et la mère de ces deux demi-frères. Leur autre parent est le bronner, un cépage allemand. Croisé en 1997, mais homologué et disponible chez les pépiniéristes depuis 2013, le Divico connaît un beau succès, notamment dans le vignoble vaudois, sur 10 ha. Le Divona a été officiellement présenté en automne 2018.

Depuis 2011, l’Institut national (français) de la recherche agronomique (INRA) reconnaît le domaine expérimental de Caudoz, à Pully, à «valeur agronomique technique et environnementale». Avec le chercheur Jean-Laurent Spring, l’INRA Colmar a entrepris une collaboration de croisements et de sélections, avec des parents tirés de la recherche suisse (Divico, Divona, IRAC 1933) et française (Floreal, Voltis, Artaban, IJ119). A partir de 80 individus évalués de 2012 à 2017, puis 320 autres à évaluer jusqu’en 2022, on devrait pouvoir sélectionner, au final, trois à cinq variétés résistantes, avec pour objectif de les inscrire au catalogue français des cépages en 2024. L’avantage de cette collaboration franco-suisse fait qu’Agroscope touchera la moitié des royalties de la vente des futurs cépages résistants, alors que le Divico et le Divona sont en libre accès et n’ont pas été protégés.

Oublier les anciens hybrides

Le croisement de cépages n’est pas une méthode nouvelle. Dès 1916, le centre de recherches de Caudoz (Agroscope) a étudié les hybrides producteurs. Près de 160 croisements entre des vignes américaines et «vitis vinifera» sont nés. La France les a interdit dès 1935 parce qu’ils ne donnaient pas satisfaction par leur «goût foxé» et leur piètre qualité, due à de gros rendements. Peu après la fin de la Seconde Guerre Mondiale, quand la Suisse importe à nouveau du vin rouge, ces hybrides — dont trois avaient été retenus — sont arrachés et disparaissent du vignoble vaudois.

Les «nouveaux cépages» doivent répondre à une «attente qualitative». «On a le résultat réel des croisements que lorsqu’on fait le vin», rappelle Olivier Viret. A Caudoz, Jean-Laurent Spring procède à de nombreuses micro-vinifications et à des dégustations croisées, à Pully et à Colmar, des sélections en cours. Cette attente qualitative est mesurée à l’aune des «vinifera». En France, en Italie comme en Suisse, on croise des cépages avec des variétés déjà connues, comme les très récents cabernello, merello, gamarello, cornarello, nerolo, tous homologués en 2018, résistants à la pourriture, mais pas à l’oïdium et au mildiou.

Pour Jean-Laurent Spring, les «cépages résistants» sont «une voie royale». Economiquement, l’absence de traitement (ou leur diminution drastique) représente un gain immédiat en temps et en argent pour le viticulteur. Leur succès dépend toutefois de la «réceptivité du consommateur», insiste Olivier Viret.

En pur et en assemblage

Pour l’heure, ils vont rester une «spécialité» et devraient pouvoir s’illustrer en vin d’assemblage. Plusieurs membres d’Arte Vitis (Christian Dugon, Rodrigo Banto, de la Cave de La Côte, Blaise Duboux, Raoul Cruchon, Raymond Paccot, le Domaine cantonal de Marcelin) ont planté et vinifient déjà du Divico. «On est vraiment au début. Les plus intéressants que j’ai dégustés ont été élevés en barrique», commente l’œnologue cantonal Samuel Panchard, qui ajoute : «Le divico donne aussi des rosés sur la framboise et la fraise. On en est au stade de la découverte…» Noémie Graff, à Begnins, qui l’avait incorporé à un assemblage, pense en faire sa cuvée «Ni Dieu, ni maître» 2018, en pur Divico. «En 2018, il a une densité folle. Je l’ai égrappé, cette année, alors que, vinifié en grappe entière, le 2016, sans sulfite, a évolué vers des notes animales de brett’. Jeune, il est impressionnant, mais donne tout au premier plan, et manque de dimension», constate l’œnologue Catherine Cruchon.

A qui redoute la précocité du cépage, dès la véraison, Olivier Viret rétorque qu’on peut le laisser mûrir jusqu’à parfaite maturité des tanins, puisqu’il ne craint pas la pourriture… En assemblage, son potentiel pourrait être «énorme», selon Samuel Panchard, au moment où la Communauté interprofessionnelle du vin vaudois (CIVV) a annoncé vouloir lancer une réflexion sur un assemblage rouge vaudois, entre résurrection du Salvagnin, Dôle moderne, voire Esprit de Genève. Le blanc, Divona, à l’aromatique proche du savagnin, est plus rare : Marcelin vient d’en vinifier deux lots, l’un en cuve, l’autre en barrique, avec et sans fermentation malolactique. Appel a été lancé aux vignerons vaudois pour envoyer un maximum de vins à la Fête du Divico (notre reportage), à Bramois, aux portes de Sion qui en était déjà, en 2019, à sa quatrième édition. Pour les prometteurs Divicos 2018 en barriques, ce sera trop tôt !

Paru dans la revue Le Guillon, reflet de l’économie vitivinicole vaudoise, numéro de printemps-été 2019.

©thomasvino.ch