Quand tout va par neuf chez Krug
Cela fait vingt ans (janvier 1999) que Krug a été racheté par le groupe LVMH. La maison de Reims reste dirigée par un Krug, Olivier, de passage à Gstaad pour une «performance» exclusive.
Par Pierre Thomas
Dans un monde d’œnologues et de managers — depuis 2009, le PDG de la Maison Krug est Maggie Henriquez — Olivier Krug est une exception, mais surtout le garant d’une tradition qui perdure. Ce quinquagénaire, père de trois enfants encore jeunes – la relève familiale paraît donc assurée… — préfère dire qu’il poursuit le «rêve» de Joseph Krug, son aïeul fondateur de la maison en 1843. Et dont on a retrouvé un carnet, suivi encore scrupuleusement par les continuateurs.
Entre solistes et orchestre symphonique
Pour décrire ses champagnes, Olivier Krug aime les associer à la musique. De fait, le monocépage (chardonnay) monocru et millésimé, Le Clos du Mesnil, récolté pour la première fois en 1979, paraît bien un «stradivarius» et le soliste de la gamme, rejoint par le Clos d’Ambonnay, un blanc de (pinot) noir, monocru encore plus confidentiel dont le premier millésime fut 1995. Le Clos du Mesnil 2004 exprime d’emblée une certaine acidité rafraîchissante, long en bouche, il se termine sur la minéralité et des notes de nougat : «C’est la plus simple, mais aussi la plus pure expression du chardonnay». Pour y parvenir, sur une surface d’1,85 hectare, égale à celle de la Romanée-Conti, le plus grand vin de Bourgogne, on y élabore non pas un seul, mais quatre vins, chaque millésime.
Mais ce qui distingue Krug, c’est «la musique symphonique», l’orchestre au complet, déployé, édition après édition — puisqu’il s’agit d’un brut sans année, de haut vol certes… — la Grande Cuvée. La 167èmeédition vient de sortir, assemblage de 191 vins de 13 années différentes, échelonnées entre 1995 et 2011. «Il faut 25 ans pour créer cette cuvée». Un vin remarquable, au nez mûr, puissant, légèrement boisé encore, qui se déploie avec ampleur, où des fruits exotiques mûrs et des notes briochées s’équilibrent, avec une longue finale sur l’orange amère.
Une image à changer
On comprend qu’en 1989, le guide GaultMillau «Le vin», débutât sa notice par : «On est Krugiste ou on ne l’est pas». Une formule à double tranchant, explique Olivier Krug : «J’ai changé mon discours, depuis que je suis au service de la Maison (réd. : dès 1989 au Japon et depuis 2009, directeur). Avant, je parlais de nos petits fûts de 205 litres où nous vinifions de petits lots. Mais toute le monde a des fûts, en Champagne ! Je suis un vendeur. On doit l’être, sinon l’histoire file dans la poussière… On fait un grand vin, mais on vend du champagne. Jusqu’en 2009 et la crise financière, on avait un côté vieillot, de flacons rares pour collectionneurs. Ou alors l’image de «champagne de gastronomie» que personne n’ose boire. Du vin pour connaisseurs : ça me rend fou de rage, car le champagne, ça a toujours été pour le plaisir. Le champagne, c’est comme la musique, un monde de sensations. Il n’est pas nécessaire d’être expert ou connaisseur pour apprécier un bon champagne. Et depuis 1843, on donne tout ce que la Champagne peut offrir de meilleur chaque année.»
App’ et Internet
Ces dernières années, la Maison Krug s’est modernisée, dans le giron de LVMH. Fini les petits secrets sur les cuvées (sinon le nombre de bouteilles, évalué à 500’000 flacons par an, contre une estimation de 5 à 8 millions de Dom Pérignon, l’autre cuvée de prestige du groupe) : une application permet de scanner (ou de reporter) un code figurant sur chaque bouteille. Les informations sur l’assemblage ou le millésime et, surtout, la date de mise sous bouchon (le dégorgeage) apparaissent sur l’écran du smartphone. Avec le site romand www.misterchampagne.ch, les flacons peuvent s’acheter en direct sur Internet. Et, depuis quelques mois, la clientèle privilégiée est suivie et encouragée par un homme à plein temps.
Tout ce joli monde s’est retrouvé pour un repas au début de l’été à l’Hôtel Grand Bellevue à Gstaad. Son chef, Marcus Lindner, s’apprête à prendre le relais, cet automne, de Roger Speth, à la tête du Chésery, tandis que ce dernier continuera à s’occuper du service catering, fusionné, des deux établissements, appartenant au même propriétaire, le jeune hôtelier Daniel Koetser. Les deux chefs «valent» 18/20 dans leur parcours respectif, selon le guide Gault Millau Suisse. Et, avant son arrivée au Grand Bellevue, Marcus Lindner avait déjà travaillé Gstaad, à l’hôtel The Alpina, également noté 18/20 avec son nouveau chef.
Paru dans Hôtellerie & Gastronomie Hebdo, le 14 août 2019.
©thomasvino.ch