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Posted on 13 novembre 2019 in Vins du Nouveau Monde

Les vins du Ningxia se démocratisent et visent l’export

Les vins du Ningxia se démocratisent et visent l’export

A 1200 km à l’ouest de Pékin, dans le Ningxia, la région autonome des Huis musulmans, le vignoble prospère depuis vingt ans. A la clé, des crus chers réservés aux privilégiés. Il est temps pour les domaines de démocratiser leurs vins, de s’ouvrir à l’œnotourisme et d’envisager l’exportation. Reportage sur place, à l’occasion du 3ème «Belt & Road Wine & Spirit Competition».

Par Pierre Thomas, textes et photos

Le premier container est arrivé par train, de la Chine en Belgique, par la voie ferrée de cette nouvelle Route de la Soie, le concept (re)lancé par le président Xi Jinping. Ce cabernet sauvignon, muni d’une étiquette et une contre-étiquette en anglais pour l’export, sera vendu une quinzaine d’euros. Et 70 yuans en Chine (10 francs), alors que la majorité des vins de qualité oscillent entre 300 et 450 yuans (43 à 65 fr.), selon le mantra : «Ce qui est cher est bon».

Une marque commune pour vendre

Une étiquette en anglais pour l’exportation.

Qui se cache derrière cette opération d’exportation, encore marginale, puisque la Chine n’écoule que moins d’1% de ses vins hors de ses frontières? Pour le savoir, il faut se rendre au pied de la Montagne Helan Nord. L’étiquette affiche du reste HeLan Hong (ou Helan Hong). C’est une marque lancée par le bureau (étatique) du vin du Ningxia pour commercialiser des vins de plusieurs domaines.

Quatre viennent d’être habilités à participer à l’opération. D’abord, une «cave d’Etat», construite tout spécialement pour l’opération, qui regroupe une quarantaine de fournisseurs de vendange. Le Ningxia a un problème de rentabilité : plusieurs investisseurs ont investi des millions dans des caves (86 répertoriées dans la région, pour 40’000 hectares aujourd’hui en production, mais 150’000 ha planifiés à moyen terme, et 100 millions de bouteilles produites) sans obtenir de retour sur investissement, malgré des aides étatiques.

Pour éviter cette fuite en avant, synonyme d’endettement, la région a incité plusieurs producteurs à faire vinifier leurs vins «à façon» dans une cave d’Etat qui vient de s’ouvrir, Jin Zun. Autre entité moderne, qui utilise les cuves Ganimède (comme Provins en Valais), Imperial Horse, sur 1333 ha. Puis le géant local, qui mise à fond sur le bio, Ho Lan Soul, sur 6676 ha, soit près du double de la surface viticole du canton de Vaud.

La futuriste cave de Xigé, construite en quelques mois…

Et, quatrième, Xige, un bâtiment futuriste de 25’000 m2, construit en moins de deux ans, pour 1’000 ha de «vieilles vignes» plantées il y a 22 ans, et 300 ha de nouveau ceps. Son propriétaire est un œnologue formé à Xian et à Bordeaux, Yanzi Zhang, qui a fait fortune en important des vins étrangers à Shanghai, et du matériel vinicole, comme les barriques françaises Vicard, dont 2’000 ont trouvé place dans le cellier de Xige. Avec sa gamme, Jade Dove, le domaine vise les 10 millions de bouteilles par an. On en a profité pour créer un hôtel de 22 chambres, un restaurant panoramique sur les vignes, et un lounge cosy, enrichi de 6’000 livres en chinois, à disposition des hôtes, le tout inauguré ce printemps.

L’étiquette commune à la cuvée HeLan Hong, destinée au marché chinois (70 yuans la bouteille).

Concurrencer les plus grands

Xige a obtenu de pouvoir commercialiser, sous la marque HeLan Hong, les cuvées de base, en blanc, un riesling italico (fort répandu en Chine) et en rouge, un cabernet sauvignon, avec 5% de marselan (dont la Chine veut faire sa variété emblématique), mais aussi ses deux vins de moyen de gamme, le pur cabernet sauvignon «28» et l’assemblage «50» de cabernets sauvignon et de gernischt (carménère). Et pourquoi 28 et 50 ? Parce que ces chiffres expriment le prix du de vente de la bouteille en dollars américains…

L’effort commercial, à grand renfort de subventions, devrait porter d’abord sur la cuvée de base, signée de chacune des caves, pour concurrencer celles des géants Changyu et Greatwall. Les deux sont aussi présents dans le Ningxia, le premier avec une «joint venture» (50-50) avec l’œnologue autrichien Lorenz (Lenz) Moser, dans un spectaculaire château, imitation de Chambord (photo ci-dessous), construit il y a quinze ans, l’autre, qui appartient au géant étatique COFCO, dans une unité de production pompeusement appelée Château Terroir.

Ces vins ont été présentés à l’occasion de la troisième BRWSC (Belt & Road Wine & Spirit Competition), organisée dans la capitale de la région autonome, Yinchuan. Le Ningxia a profité d’inaugurer sa «cité du vin», une allée de boutiques, dans une ville encore fantôme, Minning Town, au bord de l’autoroute conduisant aux vignobles. Le Ningixia, aujourd’hui, avec le Shandong, a obtenu le statut d’observateur de l’Organisation internationale de la vigne et du vin (OIV), mais la Chine n’en est pas membre. Avec sa «cité du vin», il revendique le rang de «capitale internationale du vin», statut obtenu par Lausanne, l’an passé…

Grands crus et vins méritants

Trois vins des trois domaines classés 3ème crus.

La région n’a pas abandonné l’idée d’édifier une pyramide de grands crus, sur le modèle bordelais du classement de 1855. L’idée est de promouvoir tous les deux ans les plus méritants (sur 36 «châteaux» participants). Trois des cinq premiers sélectionnés en 2011 ont atteint le niveau de «troisième GC», le sommet actuel de la hiérarchie.

Ces élus sont Château Bacchus, Helan Qinxcue, fondé par le pionnier de la région viticole née de zéro dans le désert de Tengger, et Yuanhi, une «forteresse» dont les façades sont revêtues de galets roulés par le Fleuve Jaune, qui arrose la région sur près de 400 km.

Au pied de la Montagne Helan, les précipitations (216 mm par an, surtout l’été) ne suffisent pas à faire prospérer les vignes et la région gère l’irrigation à partir du Fleuve Jaune, selon des contingents mensuels. Avec plus de 200 jours sans gel, mais avec des hivers rudes, la région n’échappe pas à l’obligation d’enterrer ses vignes en automne, pour les protéger du froid l’hiver, puis de les déterrer, toutes opérations, comme la vendange, faites à la main…

Lors de la proclamation du palmarès, le cabernet gernischt Jade Dove (Xige), les cabernets sauvignons Helan Hong Réserve, envoyé en Belgique, et le Helan Hong destiné à l’Allemagne, comme le mousseux Chandon Brut, de LVMH, le merlot Dry Roses, de Great Wall, un rouge du Château Mihope, suivi par l’œnologue bordelais Marc Dworkin, et «The Summit», la cuvée haut de gamme (mille bouteilles) de la jeune œnologue vedette chinoise Emma Gao, de Silver Heights, le meilleur domaine du Ningxia, ont obtenu l’un des 22 «prix spéciaux». Avec un solide chèque à la clé, qui doit assurer leur promotion, dans un effort de démocratisation vers la «classe moyenne».

Emma Gao avec l’auteur, octobre 2019.

Dans les statistiques, la Chine affiche une consommation de 1 litre de vin par tête, mais 90% des vins sont bus par les citadins des cinq plus grosses agglomérations. Les jeunes Chinois commencent à acheter leur vin en ligne sur Internet et le partagent avec des amis, à la maison. Quant à l’œnotourisme, il dépend de l’accessibilité des régions viticoles. Yinchuan peut être rejointe par avion, en moins de 2 heures de Pékin ou de Shanghai, et, dès 2020, par TGV, en quatre heures et demie de Pékin, au lieu d’un seul train de nuit qui met plus de dix heures…

Pierre Thomas, de retour de Yinchuan, octobre 2019

Paru dans Hôtellerie & Gastronomie Hebdo du 13.11.2019

Et deux pièces au dossier, encore : l’avis d’un restaurateur chinois (de Hong Kong) installé depuis longtemps à Martigny (VS) et le reportage de l’année passée (2018), qui n’a pas encore été diffusé. Avec des éléments et une conclusion prémonitoires !

La gastronomie chinoise comme cheval de Troie?

Et si les vins chinois réalisaient une percée comme les italiens, via la gastronomie ? Après la 2ème Guerre Mondiale, le chianti en fiasques — et non les «supertoscans» nés trente ans plus tard… — a conquis le monde via les pizzerias, les trattorias et la diaspora italienne. Pourquoi les vins chinois ne suivraient-ils pas cette voie impériale ? Question posée à Thomas Hau, 61 ans, qui exploite le restaurant Kwong Ming, à Martigny. On y sert un des meilleurs canard pékinois et cantonais de Suisse. Et des plus digestes : le chef a renoncé au redouté exhausteur de goût, le glutamate, depuis 25 ans… Sur sa carte, il offre un très beau choix de vins valaisans. Et un seul vin chinois, de Changyu, un assemblage de cabernets gernischt et sauvignon, un rien végétal, un «Noble Dragon», du Shandong, distribué par Aligro. De quoi raviver le souvenir du «Spirit of Dragon», embouteillé par la maison Gilliard à Sion, à destination de la Chine, proposé il y a vingt ans en fendant, pinot et rosé. L’expérience fut un fiasco, malgré l’étiquette dessinée par un artiste chinois…resté en Valais où il dirige une école d’art! Démonstration caricaturale que l’ex-Empire du Milieu et l’Occident sont deux mondes. Et à double titre, explique M. Hau, né à Hong Kong, de la troisième génération de restaurateurs, une famille connue en Suisse romande, où son oncle tenait, avant de prendre sa retraite, un restaurant éponyme à Lausanne, ville où ses beaux-frères ont repris le Canard pékinois. «D’une part, les vins chinois n’ont pas acquis une constance et une notoriété suffisantes pour attirer la confiance des clients occidentaux. Les Chinois eux-mêmes, au contraire des Italiens, ne sont pas nés avec le vin et doutent qu’on élabore de bons vins en Chine: ça n’est pas dans leur culture!», assène M. Hau. «D’autre part, les Européens sont conservateurs. Ils ne se laissent pas tenter facilement par des vins produits hors de leur continent. Ici, en Valais, mes clients préfèrent les vins locaux.» Voilà pourquoi, à Martigny, le canard, pékinois file le parfait amour, depuis plus de trente ans, avec le cornalin et l’humagne rouge… (PTs)

Les vins chinois de diversifient de plus en plus

Les vins chinois, produits sur plus de 300’000 hectares, tentent de se faire une place sur le marché local. Reportage dans le Hebei et le Ningxia, deux régions de production importantes. (Reportage de 2018)

Nouvelle cave au pied de la Montagne Helan Nord.

La première région, le Hebei, sur la même latitude que Bordeaux, avec une influence du climat maritime, est axée sur les vins rouges depuis plus de soixante ans. La seconde, le Ningxia, est sortie des cailloux ex nihilo il y a trente ans, entre le Mont Helan et le Fleuve Jaune. La COFCO, le géant de l’agroalimentaire, est présent dans les deux régions. Dans le Hebei, sa marque Great Wall, produit du cabernet sauvignon depuis 1983, élevé dans un chai circulaire d’une capacité de 20’000 barriques, mais occupé aux deux tiers. «On a étudié le vin en France. On a vu que le bordeaux a du succès, on a donc copié le bordeaux. De même pour le chardonnay de Bourgogne. On commence seulement à faire autre chose aujourd’hui… Les Chinois aiment les vins très foncés, forts en alcool et structurés», confie un œnologue de la première heure, qui préfère ne pas être cité…

Vieux vins contre jeunes crus

Par rapport au Ningxia, proche de la Mongolie, le Hebei profite d’un cycle végétatif plus long (200 jours, contre 120 jours au Ningxia), mais le vigneron ne peut éviter de devoir buter ses vignes, soit recouvrir les ceps de sable et de terre, à la fin des vendanges, pour que la plante ne gèle pas en hiver, par — 20 degrés.

Le vin se vend-t-il moins bien ? Qu’à cela ne tienne ! Au Hebei, M. QiYong, le propriétaire de la Moutai Cave, creusée en 1968 dans la roche comme abri atomique par l’armée chinoise, qui redoutait alors une attaque des Russes, estime que «faire vieillir le vin, c’est important. Le bon vin doit avoir un grand potentiel de garde. On veut se profiler avec cette spécificité». Et il fait déguster un assemblage de 70% de cabernet de de 30% de syrah, de 2012, assez puissant et rond, élevé deux ans en barriques et vendu près de 200 fr. (1400 yuans). Comptez 100 francs de plus avec le 2008, plus rond et plus souple, cédé 1888 yuans (on l’a compris : le chiffre 8 est porte-bonheur !). Pas question, pour M. Qi Yong, de baisser ses prix… L’investisseur, qui a aménagé un restaurant dans sa cave-labyrinthe, pilote aussi, juste à côté, un projet d’une vaste cave en forme de cathédrale, financée par la marque de «baiju» (alcool de sorgo traditionnel) et de bière, Moutai, célèbre dans tout le pays. Et il n’hésite pas à affirmer : «Chez nous, au Hebei, le terroir favorise les vieux vins. Le Ningxia est bon pour les vins jeunes.»

La Chine mise sur le marselan

La concurrence entre les régions pointe son nez. Et le Marselan 2017 de Moutai décrochera une des deux seules grandes médailles d’or du Hebei (l’autre allant un marselan 2016 d’une autre cave) au deuxième concours de la Route de la Soie, à Yinchuan, où on a croisé M. Qi Yong — qu’on dit richissime et qui ne parle pas un mot d’anglais… — visitant des domaines, incognito, dans le même minibus que nous…

En plein développement dans la région du golfe de Bohai, le marselan est aussi à la mode dans le Ningxia : en Chine, dès que quelque chose marche, on le copie dare-dare ! Les cuvées des domaine Pushang et Yuanrun ont chacune décroché une grande médaille d’or, au concours Belt & Road Wine & Spirit Competition (2ème édition, 2018), contre neuf pour des cabernets sauvignons du Ningxia distingués au plus haut niveau.

Par rapport au cabernet sauvignon, le marselan est plus souple et vient à maturité plus aisément, début octobre, sans être pénalisé par des arômes végétaux, identifiables par la molécule appelée pyrazine. Le marselan, croisé entre le cabernet sauvignon et le grenache, à Montpellier, en 1961, a longtemps été maintenu sous le boisseau en France. Il n’est recommandé dans le Languedoc que depuis 1997. En Suisse, il est cultivé sur 3 hectares, au Tessin, à Genève, en Valais et à Mont-sur-Rolle (VD). En Chine, il est se plante à la vitesse grand V, depuis les premiers essais à Hualai (Hebei), au bien-nommé Domaine franco-chinois.

Un goût du vin qui s’adapte

La diversification des cépages est un des enjeux de l’avenir du vin chinois. Outre le marselan, les cépages internationaux, comme la carmenère (cabernet Gernischt), le cabernet franc, le petit verdot, le merlot et la syrah, et, en blanc, les riesling, rhénan et «italico», repoussent l’hégémonie du cabernet sauvignon (encore planté sur 63% du vignoble) et du chardonnay.

Grâce à ses sols sablonneux, la Chine pourrait aussi échapper au phylloxéra et ne pas utiliser de porte-greffe… C’est sans compter le rude climat continental qui oblige à buter (enterrer) les vignes, un des handicaps majeurs à la qualité du raisin. Oenologue et botaniste, le professeur Shaohua Li milite avec force pour la plantation de cépages résistants au froid et aux champignons liés à l’humidité ambiante l’été (mildiou et pourriture grise). Depuis 1954, on a croisé à Pékin (d’où le préfixe Bei, pour Beijing) du muscat de Hambourg avec de la vitis amurensis, du nom du fleuve Amour, qui fait frontière entre la Sibérie russe et la Chine, au nord-est. Le beichun et ses dérivés donnent des vins rubis peu colorés, assez fruités, peu tanniques, aptes à l’élevage sous bois et à un certain vieillissement.

On notera que le divico, variété suisse résistante aux maladies, croisement de gamaret et de bronner, a aussi quelques gènes de vitis amurensis dans son pedigree très complexe… Mais si la Suisse se demande encore comment vinifier le divico et s’il est compatible avec le goût des Suisses pour les cépages classiques, la Chine pourrait, rapidement, se convertir à un goût différent de l’omniprésent cabernet sauvignon, souvent pas cueilli à sa maturité phénolique.

Surtout s’il s’agit d’accompagner, à table, non pas des plats européens, mais une cuisine plus ou moins épicée, basée sur des légumes, des champignons, servie en continu, sur un plateau rond, hors des canons du repas, plat après plat, «à la française», comme l’explique le jeune et enthousiaste président de l’Académie de sommellerie de Chine, Hang Li. Les Chinois apprennent vite, savent s’adapter et n’ont pas fini de nous surprendre, c’est sûr !

©thomasvino.ch