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Posted on 12 novembre 2021 in Vins italiens

La barbera cherche ses crus

La barbera cherche ses crus

On connaît le Piémont soit par ses cépages, soit par ses appellations. La DOCG Nizza, dans le Monferrato, consacre le passage du cépage, barbera, à la notion de crus. Reportage.

Pierre Thomas, de retour de Nizza Monferrato

C’est un détail, mais le cépage «barbera» se dit au masculin, à défaut de neutre en italien comme en français. Mais il devient féminin dès qu’il a fermenté, comme l’avait expliqué le «maestro» Luigi Veronelli. De fait, «la» barbera est, peut-être, le plus féminin des vins du Piémont. Et le nebbiolo, qui donne déjà les DOCG prestigieuses que sont les Barolo, Barbaresco et Roero, le plus masculin, même si cette appréciation genrée n’est guère défendable.

(photo Enzo Massa)

A Nizza, sur l’aile sud-est du Piémont, au sud d’Alessandria, les producteurs ont entamé, avec leur barbera, une mue semblable à celle du dolcetto de Dogliani, au sud-est d’Alba. Dans les Langhe, sous le nom de dolcetto, les vignerons proposent des vins plutôt frais et simples. A Dogliani, tiré de collines plus en altitude, le dolcetto prend l’air de son terroir, plus rustique, plus trapu, plus tannique. De telle sorte que, depuis 2011, le cépage s’est effacé derrière le lieu. Et depuis le millésime 2018, la DOCG Dogliani recense 76 MGA (pour «Menzioni Geografiche Aggiuntive»).

Une carte de crus esquissée

A Nizza, on en est juste à l’étape précédente. En 2018, le journaliste Alessandro Masnaghetti a dressé une carte colorée, dont il a le secret, des divers lieux-dits recensés dans la commune et ses dix-sept voisines, à la demande de l’Association des producteurs de Nizza. A sa fondation, en novembre 2002, celle-ci ne groupait qu’une poignée de vignerons visionnaires. Aujourd’hui, ils sont 69, soit près de 90% des metteurs en marché, à avoir adhéré. Pour le millésime 2014, l’association, aujourd’hui présidée par Stefano Chiarlo, héritier d’une des principales caves de Nizza, a obtenu le classement en DOCG, «dénomination d’origine contrôlée et garantie», le plus haut niveau de la hiérarchie des vins italiens. L’étape administrative suivante sera de faire valider une liste de MGA, le synonyme italien de «cru».

Vignes de Guido Berta.

La barbera de Nizza est passée de la DOC Barbera d’Asti supérieur (2000-2007), à la DOCG homonyme (2008-2013), puis à la DOCG Nizza, dès 2014. Le vin, tiré aujourd’hui à un peu moins d’un million de bouteilles (pour un potentiel triple, contre 20 millions de barbera d’Asti et 13 d’Alba) s’est apprécié, pour une valeur moyenne de 22 euros, avec des vins vendus entre 15 et 60 euros la bouteille. A chaque palier, la législation a durci les conditions de la viticulture (100% barbera), de l’élevage (6 mois d’élevage en bois). Le «disciplinaire» prévoit aussi la Riserva (12 mois d’élevage en bois) et la mention Vigna, étape précédant la définition légale des MGA.

Un rouge de haute acidité

Quand on compare les textes légaux, très détaillés, fixant les «recettes» des deux vins, on remarque que le Dogliani doit afficher un degré d’acidité de 4,5 grammes-litre minimum, tandis que celui de Nizza en exige 5 g/l minimum. C’est une particularité du raisin barbera : il n’a aucune peine à mûrir et à afficher des pourcentages d’alcool très haut, comme en 2018, avec de nombreux vins à 15,5%, soit à la limite supérieure où le raisin fermente… A la peau délicate et peu épaisse, peu tannique, le barbera donne un vin agréable que l’acidité doit soutenir. Et si, de l’avis unanime des producteurs de Nizza rencontrés sur place, la qualité moyenne a augmenté, ici ou là, dans la dégustation, des tanins secs et marqués, dus à un excès de bois, comme une suavité discutable pour un grand vin rouge sec, ont été repérés.

Les favoris sur 50 vins

J’ai dégusté, début octobre 2021, une cinquantaine de vins, au centre du bourg de Nizza, au Palazzo Crova, dans les salles de l’œnothèque régionale, qui est aussi le siège de l’association des producteurs, un musée du vin, un restaurant à plats typiques et un point de vente de 400 étiquettes de barbera de 150 producteurs de la région.

La dégustation, exercice obscur et solitaire…

Je me suis limité aux millésimes 2017 et 2018 et les rares et très juvéniles 2019. Les commentaires ci-dessous…

A table, grâce à leur acidité et à leurs tanins souples, ces vins qui se gardent facilement une bonne dizaine d’années, et se bonifient s’ils sont (bien) élevés en fûts ou barriques, savent charmer sur de nombreux plats. Et pas seulement sur la cuisine piémontaise, un régal qui, de tout temps, attire les Milanais en goguette!

Sur 51 vins DOCG Nizza, de 2017, 2018 et 2019 dégustés, ceux que j’ai le plus appréciés, à la volée (et non à l’aveugle).

2017

*** Tenuta Olim Bauda, Riserva

Nez de fruits cuits, de café torréfié, belle structure, tanins serrés, boisé bien intégré, beau vin équilibré !

** Viamai, Az. Agri. Corte San Pietro, Muda

Nez boisé, puis fruits à noyau, juteux, milieu de bouche agréable, mais finale un peu chaude (15% alcool).

** Margherita, Cascina Garitina, Gianola

Nez un peu fermé (capsule à vis !), fruits rouges, puis noirs, bon volume, finale agréable et équilibrée.

** Quattrofilari, Beppe Marino, Riserva, Gavelli

Nez de cassis, bon volume en bouche, du gras, de la richesse, finale suave et souple.

** Canto di Luna, Guido Berta, Riserva

Joli nez ouvert, demi-corps, haute acidité, sur des notes fraîches de cassis.

** Ceppi Vecchi, Cantina di Nizza

Ample, gras, puissant, un peu chaud en finale.

** Pesce, San Michele

Nez fruité, fruits rouges, puis pruneau, léger et élégant, finale sur l’amande amère.

2018

***Le Court, Michele Chiarlo, Riserva

Nez un peu brut, belle attaque fruitée, milieu de bouche ample, du volume, bien soutenu par l’acidité.

*** Pontiselli, Coppo

Nez boisé, vanillé, attaque ample, suave, beau volume en bouche, finale équilibrée, du potentiel. (Un peu plus complexe que le Bric del Marchese, au nez de pâtisserie, soutenu par une belle acidité).

***Garesio, Gavelli

Nez explosif de cassis, beau volume en bouche, bien fait, ample et agréable.

** Dedicato, Villa Giada, Riserva, Bricco Dani

Joli nez fruité, beau volume, gras, puissant, avec des notes finales de graphite et une légère amertume dynamique. (Le «Dani» du même producteur est marqué par le bois, sur un beau volume et une finale florale sur le lys).

**Tre Roveri, Pico Maccario, Vignone Mombaruzzo

Nez un peu curieux, avec déjà des notes de cuir, de pruneau sec, mais bouche équilibré.

** La Giulia, Cascina Lana, Mandolone

Nez un peu goudronné, avec une note herbacée, bon volume, du gras, de la puissance.

** Lorella, Vinicola Arno, Mombercelli

Nez d’herbes sèches, bon volume, finale un peu amère, avec un retour sur des notes originales de lys blanc.

** Bricco Cova, Angelo Bianco, Lovetta

Nez d’amande amère, attaque souple, du gras, mais une finale suave et marquée par l’alcool (15%).

*(*) Costemonghisio, Mauro Sebaste, Monghisio

Beau nez, toasté, vanillé, du gras, élevage (trop) marqué, avec des notes de bois brûlé qui masquent la barbera…

*(*) Castello di Perno, Bricco di Nizza

Nez de cassis, beau volume, finale acidulée et fraîche

*(*) Foravia, Scagliola, Villanova

Nez fumé, notes goudronnées, puissant, ample, massif.

2019

**Frasca, Casareggio

Nez de cassis, très primeur, beau volume, puissant, bien soutenu par l’acidité, un peu simple.

Invité de la dégustation 2021 : le blanc piémontais du futur (de 5 à 200 ha en 20 ans!), le timorasso des Vini Colli Tortonesi Derthona

*** Francesco Landolo 2019

Nez profond, puissant, rappelant le riesling, finale acidulée et saline, prometteur !

*** Tenute Rade, Cusmano 2018

Beau nez, avec des notes d’évolution positive, presque crayeux, long en bouche, finale acidulée, très agréable…

**Alvio Pestarino 2019

Nez puissant, mais assez fin, avec une note mentholée, bon volume, jeune et prometteur.

**Luigi Boveri, Costa Vescovato 2019

Nez un peu rustique, de cacahuète, beau volume en bouche, gras, avec une finale saline.

**Cantine Volpi, Zerba antica 2016

Notes d’évolution marquée, à la fois puissant et aromatique, avec une note finale de nougat au miel et d’amande amère.

V.O. (longue et complétée par les commentaires de dégustation détaillés) de l’article paru dans Hôtellerie & Gastronomie Hebdo du 3 novembre 2021.

©thomasvino.ch