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Posted on 12 novembre 2021 in Tendance

Les 700 ans du completer, rare joyau grison

Les 700 ans du completer, rare joyau grison

Généticien de la vigne, le Valaisan José Vouillamoz, était littéralement aux anges pour les 700 ans du Completer, le 6 octobre 2021, au Château de Reichenau, à la confluence des deux Rhins, dans les Grisons. Nous aussi…

Par Pierre Thomas, texte et photos

«Que» 700 ans? Les Grisons font remonter ce «vin des complies» avant l’an mille, à 926. Mais il n’y a pas de trace du nom du cépage, orphelin, comme le chasselas, de père et de mère, selon les plus récentes recherches ADN, avant un écrit de 1321 retrouvé dans les archives de l’évêché de Coire. En Valais, le Dr Vouillamoz avait déjà fait le coup avec un registre anniviard de 1313, qui évoque la rèze et l’humagne.

Le completer est planté dans la Bündnerherrschaft grisonne, sur une surface croissante, d’un peu moins de 6 ha. Le Valais (1,19 ha), le Tessin (0,96 ha) et Zurich (0,41 ha) en comptent aussi. Et le scientifique, qui est aussi le sous-directeur du Club DIVO, en a fait déguster 25 de producteurs variés, chez les von Tscharner, père et fils, vignerons-châtelains de Reichenau, le jour-même du 700ème anniversaire. Les journalistes avaient même eu droit à une quinzaine de vins plus anciens, tirés de la collection de José Vouillamoz, qui n’a jamais caché que le completer, est pour lui le cépage suisse le plus intéressant.

L’homme du jour: Dr José Vouillamoz.

Des styles différents

Malgré  — ou à cause ! —, du statut de «spécialité» confidentielle, il n’y a pas d’unité de vue autour de ce vin. Les facteurs culturaux (sélection massale des ceps, porte-greffe, exposition du vignoble, rendement de la vigne) et humains influent grandement sur le style. La Mémoire des vins suisses conserve, dans son trésor, deux exemples, acceptés en 2009 et 2008, tirés du nord et du sud de la Bündnerherrschaft, l’un de Roman Hermann, à Fläsch, l’autre de Martin Donatsch, à Malans (ces deux vins figurent dans «111 vins suisses à ne pas manquer»). Les deux ont affiné leur vinification. Le jeune Roman Hermann propose trois vins à partir du cépage, dont une version réductive, élevée en barriques de chêne suisse. Et Martin Donatsch «sèche» ses vins, alors qu’au début, il leur laissait un peu de sucre résiduel, qui peut être un support d’arômes intéressant après plusieurs années.

Avant la dégustation…

Tardif, à grande acidité, peu aromatique, tannique parfois, le completer maintient son cap sur plusieurs dizaines d’années. Les versions modernes garderont-elles ces caractéristiques ? Les seuls «vieux vins» existants sont ceux de Gian-Battista von Tscharner, d’une vigne à Jenins, élevé plusieurs années en fûts de chêne, et ceux d’Adolf, puis de Giani Boner, à Malans, de la bien-nommée Completer Kellerei. Des raretés absolues ! L’oxydation ménagée — en-deça toutefois de celle du «vin jaune» du Jura français — permet au completer de scintiller sur ses arômes tertiaires, comme le 2000 de Boner, le 2003 (puis le 2010) de Thomas Studach et, dans des millésimes plus anciens encore, le 1988 et le 1990 de von Tscharner. Deux vins qui présentaient une aromatique opposée : le 1988, riche, suave, sur des notes de citron confit, de nougat, et le 1990, à l’acidité encore fraîche, rapicolante, sur l’orange confite et un léger safran.

Des Valaisans prometteurs

Dans les vins plus jeunes, les trois exemples valaisans, l’un de la première et unique barrique de 2014 du Clos de Tsampehro, presque goudronné, bâti sur l’acidité ; le 2019 de Marie-Thérèse Chappaz, qui n’avait pas encore «digéré» son boisé vanillé ; et le très beau 2020 de Valentina Andrei, sec et puissant, ample, avec un retour sur du fruit et une note saline finale, montraient le potentiel du cépage en Valais, où il est en concurrence avec la rèze, voire la diolle ressuscitée par le même Dr Vouillamoz. Même s’il paraissait plus facile d’accès, mais frais et tendu, le 2019 de la coopérative Volg était très agréable, comme la version «de base» de Roman Hermann et le «classique» de Martin Donatsch, bien construit. Ou l’étonnant 2018 de Christian Obrecht, qui vient d’inaugurer une cave où le completer est élevé dans des jarres ovoïdes de grès, à la limite du «vin orange». Ou le prometteur 2016 de Peter Wegelin, domaine repris par le jeune couple d’œnologues Rafael et Mathilde Hug. Sans omettre l’exercice iconoclaste de la cuvée «Magnificients X», signée Nicolas Wüst : un assemblage de six millésimes (2010 à 2016, dont tout le 2013, soit… 130 litres), harmonisés six mois en fûts, chez les von Tscharner. Ce vin est proposé en coffret avec un assemblage multi-millésimes et multi-élevages de cabernets franc et sauvignon du Genevois Jean-Pierre Pellegrin (445 coffrets des deux vins logés en bouteille d’un litre), pour mettre un point final à l’aventure des cuvées spéciales avec des vignerons, créées pendant dix ans par l’équipe de Magnificients.

… et après la dégustation!

Le completer, cépage alpin fortement identitaire, demeure une rareté. Présent en Valais, il a «enfanté», en 1627, par croisement, naturel inexpliqué à ce jour, avec l’humagne blanche, le lafnetscha, dans la région de Viège. Là où subsistent encore quelques pieds de «vrai» completer, dûment préservés par l’association Vitis Alpina, que préside José Vouillamoz. Toujours lui ! (4962 signes, avec titraille, chapeau et intertitre)

L’exemple du «rush» du timorasso (un encadré hors texte ?)

Cet engouement tout relatif pour le completer n’a rien à voir avec le «rush» enregistré dans le Piémont par le timorasso, évoqué en 1209 dans un document en latin, à Tortona. Sous l’impulsion de grands opérateurs du Piémont (comme Vietti, Borgogno ou Marina Coppi, la régionale de l’étape, nièce de Fausto, le «campionissimo» cycliste), les Colli Tortonesi Timorasso DOC Derthona (nom latin de Tortona) ont été multipliées par dix, sur près de 200 ha, en vingt ans! Après les productifs et neutres arneis (Roero) et cortese (Gavi), les Piémontais sont à la recherche d’un blanc plus «sérieux». De fait, le timorasso vieillit admirablement, développant des notes pétrolées se rapprochant de celles du riesling, sur une matière dense et ample. Comme un completer du Sud des Alpes !

V.O. (longue) d’un article paru dans Hôtellerie & Gastronomie Hebdo du 10 novembre 2021.