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Posted on 11 septembre 2008 in Vins suisses

Vaud — Trente vendanges chez les Cruchon

Vaud — Trente vendanges chez les Cruchon

Les Cruchon, à Echichens
Le renouveau du vin vaudois incarné

En trente vendanges, les Cruchon d’Echichens sont devenus les acteurs privilégiés du changement dans le vignoble vaudois.
Pierre Thomas
Jeudi 4 septembre, des journalistes, des hôteliers et des restaurateurs avaient rendez-vous à Echichens pour célébrer, le verre de dégustation à la main, trente vendanges accomplies par la famille d’Henri Cruchon. Derrière l’anniversaire se cache une perspective visionnaire : la transformation du vignoble vaudois.
Des années difficiles
L’aventure démarre lorsque deux frères décident de se séparer. L’un reste à la Cave du Signal, à Echichens. L’autre s’installe en face de l’église à la Cave du Village. On est en 1976. La nouvelle cave offre quatre vins à sa clientèle : un chasselas, un pinot noir, un pinot-gamay et un riesling-sylvaner. C’est la «belle époque» des vignerons vaudois: certains pouvaient vivre de leur renommée avec un blanc et un rouge… 1976, se souvient Henri Cruchon, 76 ans, c’était aussi un temps de disette, d’années pauvres et maigres. Puis vint 1982, l’année dite «des piscines». Le rosé s’ajoute naturellement à la palette, avec le pinot blanc. Puis 1985, qui, après la pléthore, marque une prise de conscience : «Les Lugrines ont été le premier rouge que nous avons élaboré avec des raisins d’une vendange maîtrisée à 500 g. au m2».
En 1987 — il y a vingt ans —, Henri Cruchon se rend compte, à Zurich, à Expovina, une des six foires que la cave continue de faire chaque année, que «nous, les Vaudois, nous étions trop pauvre en spécialités : le public ne s’arrêtait plus à notre stand.» Une année plus tard, le chardonnay — cépage à la fois bourguignon et international — est mis sur le marché.
Un duo à la manœuvre
Surtout, dès le début des années 1980, Michel, 51 ans aujourd’hui, et Raoul, 48 ans, les deux fils, sortent de Changins, l’aîné après avoir suivi la viticulture et l’œnologie, le cadet, l’œnologie, après un apprentissage de caviste. Les rôles n’ont pas changé: Michel (Mic’) est toujours le viticulteur et Raoul, le maître de chais. Et ces deux-là se sont entendu pour mener en tandem un domaine à la pointe de l’innovation, tant à la vigne qu’à la cave. Il a fallu aussi faire vivre trois familles sur le domaine. Les épouses sont peut-être dans l’ombre, mais elles sont très actives dans le commerce et l’accueil. Et puis, les enfants arrivent. Catherine, 21 ans, a déjà son CFC de caviste et suit la HES de Changins. Fille de Raoul, elle cultive les mêmes préférences que son père pour l’œnologie. Et parmi les enfants des deux couples, il n’y a que des filles, sauf un garçon de 15 ans, féru de sport de haut vol.
Tout s’est enchaîné: aujourd’hui, le domaine est une entreprise encavant 36 hectares, dont deux tiers, cultivés sous l’œil avisé de Michel, mais livrés par des fournisseurs de vendange. Petit à petit, une vingtaine de cépages ont été plantés, avec une production de rouge et de blanc équilibrée. Chasselas (38% de la surface), pinot noir (25%) et gamay (10%) forment encore plus de deux tiers de l’encépagement. On est loin de l’image du vigneron vaudois cultivant ses deux hectares de chasselas à Lavaux.
Occuper toutes les niches du marché
«La diversité est née de l’agrandissement du domaine. Et nous sommes dans l’AOC Morges et non à Féchy. On ne pouvait pas nous contenter du chasselas. Les expositions nous ont ouvert les yeux. Nous n’avons qu’un seul marché, la Suisse, et nous occupons toutes les niches.» A 85%, la clientèle est privée et vient chercher ses cartons dans la grange-carnotzet d’Echichens. L’HORECA et des revendeurs se partagent à égalité le solde. Et la clientèle se répartit à deux tiers en Suisse romande et un tiers en Suisse alémanique. «C’était moitié-moitié», se souvient Henri. Alors, les Cruchon, victimes de la régression de l’image des vins vaudois outre-Sarine ? «Oui, les vins suisses dans leur ensemble souffrent d’un déficit d’image à Zurich. Les Romands n’y vont pas ou plus. Mais nous, nous bénéficions du développement économique sur l’arc lémanique, avec une clientèle en progression à Neuchâtel et Fribourg», nuance Raoul.

Le virage serré de la biodynamie
En 2001, partant d’un constat fait dans de grands domaines bourguignons, les Cruchon convertissent à la biodynamie 4,5 hectares. Ils sont aujourd’hui à 21 ha (presque deux tiers de la surface encavée). De la vigne à la cave, «la cohérence» domine. Les fournisseurs de vendange ont dû s’y mettre, puisque les traitements, sans produits chimiques de synthèse, (douze phytosanitaires et cinq préparations à base de plantes) doivent être dispensés le même jour partout. «La plante change et donne du raisin plus petit, à la peau plus épaisse, avec plus d’arômes,» constate Michel. En cave, Raoul peut tirer de cette «matière première» des vins «avec plus de personnalité, plus de profondeur». Le premier témoigne: «En biodynamie, il faut être très précis ; à la vigne, on travaille sans filet». Et le second proclame: «On met de l’ambition dans ce qu’on fait et l’ambition est une loi universelle qui ne soufre aucune exception.» (PT)

Paru dans Hôtel Revue du 11 septembre 2008.