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Posted on 26 novembre 2010 in Vins du Nouveau Monde

De Santa Barbara à Santa Helena  La Californie et les modes du vin

De Santa Barbara à Santa Helena
La Californie et les modes du vin

Grâce au Wine of Institute des vins californiens, Pierre Thomas a parcouru, avec un groupe de journalistes européens, la «route des vins» de Los Angelès au nord de San Francisco, de l’eldorado du pinot noir à Napa Valley. Impressions de voyage d’une année exceptionnelle en Californie : de mémoire d’homme, on n’avait pas vu vendanges si tardives, jusqu’à début novembre 2010, soit près de trois semaines de retard, à cause de la fraîcheur. Reportage, en exclusivité pour et sur www.thomasvino.ch. 

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Dites-moi comment vous faites le vin
et je vous dirai qui vous êtes

La Californie est toujours au centre du débat sur les «bonnes» pratiques œnologiques. Copeaux, douelles, barriques de chêne roumain, russes, américain, chauffe du chêne à l’eau (et non au feu) : les sujets sont inépuisables. Comme les méthodes pour éliminer la pyrazine (goût de poivron) dans le Cab’ ou en général des degrés d’alcool — rien n’y fait, blanc ou rouge titrent entre 14,5% et 15,5% en règle générale. Le moyen le moins radical reste de «mouiller» son vin par l’ajout d’eau distillée dans une proportion variable (autour de 15%).
Une bonne gestion de l’eau par irrigation au goutte-à-goutte permet, en revanche, de garder de l’acidité aux raisins et ne pas ajouter de tartrique au moût. La question des levures industrielles se pose aussi : un «winemaker» qui a étudié la chimie à l’université de Stanford prétend que les levures sont un sujet tabou à celle de Davis, qui recevrait de l’argent de l’industrie des levures! Le fait est que même Agroscope-Changins reconnaît l’influence déterminante des levures sur le goût du vin. Et que, partant, la levure indigène fait intimement partie du terroir.

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Parlez-vous «ter-ou-ar»?

Mot magique en Californie, à prononcer «ter-ou-ar» ! Dans la fausse mission de Los Olivos — le fief du film «Sideways»—, au domaine Bridlewood, une main sur le cœur et l’autre sur la tête de sa fille de 14 ans, David Hopkins (photo ci-dessus), «winemaker» à la solde du géant Gallo, jure qu’il «respecte le fruit et le terroir». Et Jack Galante (photo ci-dessous), look de cowboy, qui a vécu une partie de sa jeunesse à Villars, défend dans le micro-climat de Carmel, où ses ancêtres furent les premiers à planter de la vigne à la fin du 19ème siècle, l’«european style», une tendance très à la mode…

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Comme le démontre le très médiatisé Randall Graham (photo ci-dessous) de Bonny Doon. Ses «Cigares volants», en blanc comme en rouge, sont des étiquettes très intéressantes de Santa Cruz. On leur colle volontiers des 90 à 92/100! Le «Cigare volant» blanc 2004 (Roussanne 73%, Grenache 27%) est très réussi, avec ses arômes d’amande amère, frais et d’une belle constitution ; bel équilibre encore dans le «Cigare volant» rouge 2007 (Grenache 60%, Syrah 32%, le reste en Mourvèdre et Cinsaut). Le leader des «Rhone Rangers» (www.rhonerangers.org), qui roule en DS 21 bordeaux (!), tient table d’hôte depuis deux ans dans sa cave et ça marche!

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Mais de Santa Barbara à Santa Helena, on vous explique que le sol a moins d’importance que l’exposition et les microclimats. Les vignobles, entre Los Angelès et San Francisco, se sont rapprochés de l’océan Pacifique (comme au Chili, du reste), au détriment de la Central Coast, où se cultive le gros des raisins californiens. La Californie développe toujours son système d’AVA («american viticulture area») : il délimite certes des zones, met des frontières au coupage, mais à l’intérieur de l’AVA, chaque viticulteur fait ce qu’il veut, plante les cépages qu’il entend et produit la quantité qu’il veut !

By the way, Sideways…

Au fait, qu’a changé le film d’Alexander Payne, en 2004 ? Plus de cinq ans après sa sortie, la mode est toujours au Pinot Noir. Sur les cartes des restaurants, où le vin au verre tient son rang, plusieurs cuvées sont proposées, comme pour le chardonnay ou le cabernet sauvignon. Le prix du pinot noir a doublé en cinq ans et il n’est pas rare d’en trouver des flacons entre 30 et 40 dollars, alors que des assemblages des mêmes caves sont à moins de 20 dollars… Hélas, les pinots noirs du centre de la Californie sont quand même très souvent un peu sirupeux…

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Des cépages dans le vent

Outre le Pinot Noir, les cépages de la vallée du Rhône ont la cote. La Syrah fait merveille en altitude, comme à Zaca Mesa, qui l’a plantée en 1978 déjà. Mais on a de la peine à trouver un vin réellement frais et épicé, à l’image des Syrahs des Côtes du Rhône septentrionales ou du Valais (on en a trouvé une chez Tess Parker, Rodney’s 2007, mais à 45 dollars !).
Grenache et carignan sont dans le vent, comme l’assemblage, déjà connu en Australie, dit GSM : Grenache, Syrah et Mourvèdre. La Cuvée Z de Zaca Mesa 2007 (57% Grenache, 31% Mourvèdre et 12% Syrah) est remarquable et vaut les 94/100. Ou à Paso Roblès, l’Esprit de Beaucastel 2006 — la famille Perrin, de Châteauneuf-du-Pape est partenaire d’un domaine monté par leur importateur aux Etats-Unis —, un beau vin rouge (92/100), floral et épicé, frais et gras, à base de 45% de Mourvèdre, 28% de Grenache, 22% de Syrah et même 5% de Counoise, un «petit» châteauneuf californien à 50 dollars.
Le Carignan, dans le monde entier, semble être la nouvelle coqueluche… S’y ajoutent le Cinsault, en rouge, et en blanc, la Roussanne et le Viognier. Vinifiés purs, le Cabernet franc, le Petit Verdot et le Malbec ont leurs fervents adeptes. Sangiovese, Barbera ou même Lagrein se rencontrent, comme le Tempranillo.
A Paso Roblès, chez James Judd, patriarche de 72 ans, passionné de biplan et à l’exceptionnel talent de ventriloque, les cuvées sont souvent originales… Verdot-Malbec 2005, Malbec-Verdot 2006, sont aussi des variantes intéressantes. Mais que faire quand les vins franchissent la barre des 15% ? Tout est question d’équilibre, de «nice balance», vous dira-t-on. Oui, bien sûr. Mais habituez-vous à des vins à 15% d’alcool et revenez dare-dare à des 12%… retour brutal, c’est sûr ! Randall Grahm (Bonny Doon) l’avoue : «Nous avons trop de soleil pour produire des vins fins».

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Zin’ et Petite Sirah

Le Zinfandel a son association de défense (www.zinfandel.org) et la Petite Sirah entend bien faire valoir sa spécificité californienne.
Les deux cépages sont pourtant d’origine européenne. Le Zin’ n’est autre que le Primitivo, lui-même venu de Croatie, et présent en Californie depuis le milieu du 19ème siècle. Idem pour la Petite Sirah, qui n’a rien à voir avec la Syrah-Shiraz, mais est le Duriff, croisement entre la Syrah et le Peloursin du Sud de la France, guère cultivé dans sa patrie d’origine…
A la clé de l’un comme de l’autre, des vins puissants, alcooleux, très rustiques et tanniques pour la Petite Sirah. On a bien aimé celle de Vina Roblès, un domaine appartenant à des Zurichois, florale (violette) et épicée (poivre blanc), avec des tanins très présents (26 dollars). La Petite Sirah, qui était souvent mélangée avec du Carignan, du Grenache ou de l’Alicante, est cultivée par 60 domaines en Californie et sa surface a été plus que doublée, passant de 1200 hectares à 2700 ha ces vingt dernières années. Comme le Zinfandel, elle a survécu au phylloxéra, à la prohibition et à la grande dépression, même si elle faillit disparaître dans les années 1970. Rien qu’à Paso Roblès, elle couvre 1’000 ha, dont 65 ha à Vina Roblès. Et puis d’autres producteurs (comme J.Lohr) réhabilitent le Gamay, appelé en Californie «Valdiguié».

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Rayon Zin’, on a apprécié les «déclinaisons» de Ridge. La cave, tout en bois, (ci-dessus) à 700 m. d’altitude, quasi au sommet d’une montagne de l’arrière-pays de Santa Cruz (Monte Bello), respire l’air des pionniers. Ici, tous les vins sont élevés en barriques de chêne américain… et pourtant, aucune dérive aromatique. Deux très jolis assemblages à base de zin’, le Ridge Geyserville 2008 (90/100 ; 72% Zin, 20% Carignan, 6% Petite Sirah, 2% Mourvèdre), avec ses arômes de moka, de canelle, et sa belle élégance, et le Lyttone Springs 2008 (93/100 ; 74% Zin’, 21% Petite Sirah, 5% Carignan), plus fruité que le précédent, avec une solide constitution et des tanins fins. Les vins «bordelais» ne sont pas mal non plus : Montebello 2000 était sorti en tête du remake du Jugement de Paris, en 2006 (et le 1971, dauphin du Stag’s Leap 1973, en 1976. Le Montebello de Santa Cruz 2007 (88/100 ; 58% CS, 42% Merlot), de structure moyenne, est moins impressionnant que le Montebello de Californie (90/100 ; 79% CS, 10% Merlot, 9% Petit Verdot, 2% Cabernet franc), qui épouse bien le style bordelais pour tromper son monde (les deux ne dépassent pas les 13% d’alcool !). Le domaine, où le légendaire Paul Draper, 75 ans, s’est distingué, appartient depuis 1998 à un homme d’affaires japonais actif dans la pharma…

Cali-for-écolos

Depuis cinq ans, le Wine Institute ne jure plus que par la «sustainability», la version viticole du développement durable, qui concerne l’ensemble des domaines, de la vigne à la mise en bouteille, en passant par la production électrique. Les caves qui y souscrivent reçoivent un volumineux classeur de fiches pour la marche à suivre… Les caves, comme Tolosa — dont le propriétaire est également l’un des trois de Alpha Omega à Napa — J. Lohr (ce coucher de soleil photovoltaïque…) ou Starmont — deuxième domaine de Merryvale — exhibent leur panneaux solaires, plantés dans les vignes ou discrètement étendus sur leur toit. Toute «sustainable» que soit, la cave, chez Tolosa, le «winemaker» Larry Brooks défend la technologie, y compris du panneau solaire : «Dans le vin, le mot naturel est abusif. Tout est affaire de l’homme». Et le reste — comme la culture dite organique (bio) — est du marketing! On a bien aimé ses chardonnays et sa syrah (vins non importés en Suisse).

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L’esprit de Napa

«Napa, c’est Disneyland !», s’exclame hilare l’œnologue lausannois Jean Hoefliger (cave Alpha Omega, non distribué en Suisse). A Paso Roblès, chez Justin, l’esprit de la vallée soufle aussi dans les collines. Le domaine choie son «wineclub» de quelque deux mille adhérents. Une idée à la mode : on souscrit à un tel club et on reçoit une offre tous les deux mois, si possible de vins hors-commerce, exclusifs et qui sont payés comme tels ! Mais le vin phare de Justin reste le «blend» (assemblage) bordelais Isosceles (62 dollars) ; le 2007 (88% de Cabernet Sauvignon, 8% Cabernet franc, 4% de Merlot) offre des arômes au boisé doux, de confiserie, avec du moka, du cacao, de la pâte d’amande — un vin bien balancé.
Pour Napa Valley, on lira le portrait de René Schlatter, de Merryvale et de Jean Hoefliger. Et une dernière image, de la cave de Darioush, construite en sept ans (!) par un Iranien, qui a fui son pays pour rejoindre la Californie, au moment de la chute du Shah. Fortune faite dans des supermarchés ethniques, il s’est construit une cave à Napa… Disneyland, qu’il disait, le Suisse…

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©thomasvino.com/261110