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Posted on 1 décembre 2010 in Vins suisses

Le Vully n’existe plus!

Le Vully n’existe plus!

La liste des AOC ne le mentionne plus

Le Vully n’existe plus

Nous l’avons révélé dans L’Hebdo du 4 novembre : le Vully, tant vaudois que fribourgeois, n’apparaît plus dans la liste des AOC suisses, publiée par Berne cet été. Cela fait des années que Berne demande aux deux cantons d’harmoniser les règlements d’une appellation unique, sans indication de canton sur la bouteille. Cette fois, les Gouvernements vaudois et fribourgeois sont au pied du ou de Mur — pour faire un jeu de mots sur cette commune du Vully partagée entre les deux cantons.
Décodage : Pierre Thomas
L’info, glissée dans le dossier de L’Hebdo n’a, dans un premier temps, pas été relayée par la presse régionale. Ensuite, le croisement fortuit du responsable du bureau vaudois de La Liberté dans un café lausannois dont les co-gérants sont des journalistes (dont l’un à 24 Heures) m’a permis d’insister sur le sujet. La Liberté a donc enquêté et publié un papier le 22 novembre (en citant L’Hebdo). Le chef de l’office de la viticulture vaudois et le chef de service de l’agriculture fribourgeois disaient leur inquiétude face au vide juridique devant lequel se trouvent les encaveurs du Vully.
24 Heures, le grand quotidien vaudois, après L’Hebdo et La Liberté, en remet une couche le 1er décembre (sans citer les papiers précédents…) Selon l’article, c’est «l’Europe qui demande au Vully de mettre de l’ordre dans son appellation». Une véritable galéjade ! On doit vouloir rejouer, du côté du Vully, la partition du village gaulois à la Champagne (VD). L’Europe n’est à peu près pour rien dans cette histoire… Sinon qu’un jugement de la cour de Luxembourg, effectivement, dans l’affaire Champagne (VD), avait mis le doigt sur la géométrie variable et la haute fantaisie des AOC communales vaudoises. Ce qui n’a pas empêché les Vaudois d’adopter l’an passé (été 2009), un règlement encore moins conforme au droit européen que le précédent, puisqu’il généralise des coupages régionaux sur tout le canton, tout en gardant le nom des communes sur l’étiquette (appelés lieux de production). Et pour faire bonne mesure, il a même fallu faire une exception  dans le règlement pour Champagne, seul lieu de production vaudois tenu à ne pas être coupé par du raisin des voisins! Un comble!
Berne contre Lausanne et Fribourg: pat?
Mais revenons au Vully. En principe, si les deux cantons de Vaud et de Fribourg ne s’entendent pas d’ici le printemps, les vins du Vully du millésime 2010 ne devraient plus pouvoir porter le nom de Vully sur l’étiquette. En faisant croire que l’Europe a mis le nez dans les affaires valdo-fribourgeoises — alors que c’est Berne qui veillait au grain… —, 24 Heures affirme qu’au niveau des cantons, l’AOC demeure. Pourtant, c’est bien Berne qui a supprimé l’AOC de sa liste, tandis que selon la loi, les AOC sont du ressort des cantons. Ce serait donc à Berne de faire plier les deux cantons… pourtant souverains. Il y a là, effectivement, un hic juridique — un joueur d’échecs parlerait de situation de pat après le zeitnot!
«Pas de volonté politique»
L’affaire n’est pas nouvelle. Début 2009, Le Guillon publiait notre dossier sur le Vully, centré principalement sur les producteurs vaudois. Un encadré expliquait que les vignerons de tout le Vully (100 hectares sur Fribourg, 50 ha sur Vaud) sont «condamnés à s’entendre». Ils n’y sont jamais parvenus jusqu’ici. Eté 2009, le Conseil d’Etat vaudois affirmait même (dans une note secrète) qu’«il n’y a pas de volonté politique» de faire avancer le dossier d’harmonisation.
Trois lacs ne font pas qu’un
Pas loin du Vully, sur les rives du lac de Bienne, un producteur, Lukas Hasler, qui cultive des vignes au Landeron (NE) et vinifie le meilleur pinot noir de la région, mais sur territoire bernois, à Douanne/Twann, ne peut pas mentionner d’AOC sur son étiquette.
Plus cocasse, ce pinot noir, le BENE, a remporté une médaille d’or au Concours mondial de Bruxelles 2007. La médaille et le grand diplôme qui va avec n’ont pas été attribués au producteur, dans un premier temps, parce que le concours est réservé à des vins répondant aux critères d’une AOC reconnues au niveau européen. Puis, dans un deuxième temps, le diplôme est arrivé sur les bords du lac de Bienne… rédigé en italien — il a tout l’air d’un faux, parfaitement véridique néanmoins!
Et puis, dans son guide des «meilleurs vins des Trois-Lacs», paru cet été, le dégustateur passionné Yves Beck a carrément fait l’impasse sur les vins du Vully vaudois. Aucun producteur vaudois n’est cité, contre huit domaines fribourgeois (www.finbeck.ch)
Au fond, pourquoi Vaudois et Fribourgeois ne s’entendent pas ? Les premiers calculent leur rendement en litres de vin, ont des quotas parfois supérieurs aux seconds, qui calculent comme les autres Suisses en kilos de vendange, les sondages de richesse en sucre ne sont pas identiques (ils l’ont été par le passé), bref, quelques points qui paraissent de détail. Mais surtout, les vases sont communicants : comme le Vully n’a pas de coopérative, des vins passent de l’un à l’autre sous couvert de la seule AOC reconnue, Vully. Un petit trafic qu’une AOC ne veut pas endosser, à juste titre, aux yeux des consommateurs. Mais un peu de beurre dans les épinards tantôt des uns et tantôt des autres. Et comme les Vaudois ont encore une marge d’extension dans le périmètre de leur vignoble et pas les Fribourgeois, le flou actuel arrange les deux!
D’autres cas romands litigieux
Pour les amateurs de curiosités, signalons aussi que l’enclave de Céligny, administrativement et politiquement rattachée au canton de Genève, mais indubitablement en plein terroir vaudois de la Terre Sainte, est soumise au règlement genevois, malgré la demande du principal domaine, Le Clos de Céligny, d’être soumis au règlement vaudois. Là, c’est un producteur vaudois, qui a quelques vignes dans le coin, qui s’oppose au fait que Céligny «sorte» de Genève…
Politique et droit contre terroir : un gag à répétition, qu’on soit à Genève (l’affaire des vignes frontalières), à Lausanne (Céligny et Vully), à Fribourg (Vully), à Neuchâtel (Le Landeron) ou à Berne (cantonale pour les vins biennois, fédérale pour la liste des AOC).
Quel bien beau pays d’une si variée richesse nous avons là !
©thomasvino.com, 011210