Un même propriétaire pour le Domaine du Manoir et le Château de Malessert
C’est un grand domaine viticole de 24 hectares, encore peu connu, dans les Côtes-de-l’Orbe. Il vient de passer, ce début mai 2020, dans les mains de la famille Sother, d’origine alsacienne. Elle cherchait depuis quelques années à (s’)investir dans le vignoble vaudois. Et elle a annoncé, fin juin 2020, qu’elle a aussi acquis de la famille Saugy le Château de Malessert à Féchy, 15 hectares classés en 1er Grand Cru, le sommet de la pyramide vaudoise, en chasselas, une transaction qu’une décision de justice avait compromise, dans un premier temps.
Ce Domaine du Manoir est plutôt un «gros morceau» : 50 hectares de terres agricoles et 24 hectares de vignoble, deux tiers situés dans les Côtes-de-l’Orbe et un tiers dans la région de Bonvillars-Champagne. Et plantés majoritairement en cépages rouges. Les vignes seront exploitées par un jeune couple de trentenaires, d’origine française, domicilié à Lausanne, Maxime et Clémence Sother. Lui, ingénieur acoustique pour le cinéma de formation, est le fils d’un entrepreneur qui a réussi dans les télécommunications, en France, et qui est un grand amateur de vins.
Un jeune couple qui s’investira en plein
Compte tenu de la législation suisse visant à sauvegarder l’exploitation de biens agricoles (et donc viticoles), Maxime Sother s’est formé à Changins, où il a obtenu un certificat fédéral de viticulteur. Il a effectué des stages chez Raymond Paccot et au Domaine de Martheray, à Féchy. Sa femme a tenu un tea-room à Lausanne, puis, après la naissance de sa fille, Ysée, il y a quelques mois, présentée comme «future passionnée de vin», elle a continué à étudier à l’Ecole du vin à Changins et prévoit de se présenter l’an prochain aux examens de sommelier breveté fédéral. Elle se réjouit de recevoir des hôtes à Valeyres-sous-Rances, notamment aux Caves ouvertes vaudoises, désormais fixées au 5 et 6 septembre 2020. Maxime Sother, avec l’aide de son responsable technique, Pierre-Olivier Dion-Labrie, diplômé (master) en viticulture-œno de Changins, a déjà déposé une demande de conversion du domaine viticole en bio «classique» (par opposition à la biodynamie).
Depuis 50 ans, le Domaine du Manoir faisait partie de l’entité nommée il y a une dizaine d’années Les Trois-Terres, qui se partage entre le Domaine de Valmont, 30 ha, répartis dans la région morgienne, moins de 6 ha de vignes à Vétroz (VS), et ces 24 ha du Domaine du Manoir, qui vient d’être cédé. Ce dernier a rejoint il y a quelques années l’Association Clos, Domaines et Châteaux (c-d-c.ch), à l’instar des meilleures entités de la famille Schenk, et de membres extérieurs au groupe (23 producteurs, dont 9 châteaux, vaudois). Ce sont les œnologues de la maison de Rolle qui suivent les vins, en l’occurrence, Thierry Ciampi, ainsi que Léonard Pfister, d’Obrist. Cette société veveysanne distribue trois vins du Domaine du Manoir : un œil-de-perdrix et deux assemblages rouges, l’un de base à dominante gamay, l’autre, une «Réserve» élevée en fûts de chêne, marqué par du gamaret, les deux cépages étant accompagnés par du garanoir. La famille Sother n’entend pas pour l’instant modifier cette façon de procéder : elle continuera à fournir les raisins pour ces vins.
En échec au Château de Malessert
Cela fait plusieurs années que les Sother père et fils sont désireux d’investir dans le vignoble vaudois. En 2014, ils avaient fondé une première société. Puis, en 2016, la Foncière Château Malessert SA. Celle-ci, moyennant une somme de 15,5 millions de francs, devait acquérir ce prestigieux château entre Mont-sur-Rolle et Féchy, dont les 15 hectares de chasselas sont cadastrés 1er Grand Cru, depuis le millésime 2011.
Malessert est une propriété millénaire, fondée en 996, attestée par une donation à l’abbaye de Romainmôtier. Pour les actuels propriétaires, une famille vaudoise, le chasselas est vinifié par La Cave de La Côte, qui commercialise aussi le vin. Avec deux architectes, dont Pierre Bouvier, le propriétaire du Château de Bursins, qui a réussi à passer trois vins (un garanoir en cuve, un en barriques et un gamaret) en 1er Grand Cru — qui sont les seuls vins rouges vaudois commercialisés à ce niveau dans le plus récent millésime (2018)—, les nouveaux propriétaires étaient prêts à aménager une structure œnotouristique importante, sur la route de l’Etraz.
Après l’acquisition du Domaine du Manoir à Valeyres-sous-Rances, la vente a finalement pu se réaliser. Elle fut, dans un premier temps, soumise à une offre d’achat publique et a donné lieu à un recours jusqu’au Tribunal fédéral, qui a renvoyé la cause devant les autorités vaudoises en été 2019. Le vigneron Maxime Sother, qui a effectué la formation requise pour être exploitant à part entière, nous l’avait confirme : «L’arrêt du Tribunal fédéral a clairement motivé la prospection d’autres domaines viticoles et finalement l’achat du Domaine du Manoir.»
Le prix de la transaction n’a, cette fois, pas dû être publié. Le bâtiment de Valeyres, imposant, avec ses grandes salles à cheminée majestueuse et sa tourelle, fut une abbaye au 14èmesiècle, puis passa en mains nobles (Pierre de Gland, prince du Pays de Vaud). A la fin du 18ème, la famille Boissier en devint propriétaire : une de ses descendantes, Valérie de Gasparin, est connue pour avoir fondé la clinique «La Source», à Lausanne, la première école d’infirmières laïques au monde. En 1960, le conseiller d’Etat morgien Alfred Oulevay acheta le domaine, avec un ami, par le biais d’une société anonyme. Cette dernière, exploitante des Trois-Terres, l’a vendu à Maxime Sother qui, entretemps, en juillet 2019, avait créé une nouvelle SA, Terres et Domaines Sother SA, dont on remarquera que les termes sont au pluriel, regroupant ainsi le Domaine du Manoir et le Château de Malessert.
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