La Brévine (NE) — Au Loup Blanc
L’esprit d’un pays de loups
Quand on parvient à la Brévine, la petite place du village, sa brocante et ses deux bistrots vous réchauffent le cœur. Même si c’est un des endroits les plus froids de Suisse, en hiver. Claude-Isabelle et Jean-Daniel Oppliger venaient d’ailleurs… Madame était jardinière d’enfants ; Monsieur, fournisseur pour l’horlogerie haut de gamme. Ils ont renommé le «National» qu’ils ont acheté, «Au Loup blanc», par référence à cette vallée du Jura neuchâtelois, «retirée de tout, un peu en vase clos, où la tradition et la typicité veulent encore dire quelque chose», explique l’ancien horloger. Et aussi parce que, quinquagénaires, ils avaient élevé leur meute de «petits loups».
Comme à la maison
Lorsqu’on voit le patron ceint d’un tablier blanc s’occuper des grillades dans la cheminée à l’angle d’une salle à manger alliant bon goût et bois brut ou patiné, on se dit qu’il a fait ça toute sa vie… Pourtant, le couple n’a ouvert cette auberge (quelques chambres à l’étage) que depuis deux étés. Fernando Regal, un chef d’origine portugaise, ancien de La Croisette, bonne adresse locloise, est en cuisine. Jean-Daniel Oppliger tient à garder un œil sur tout ce qui en sort : «La souris d’agneau ou le cuissot de marcassin, en daubières chinées dans les brocantes, mijotent une heure au moins, comme à la maison. Le brochet —pêché dans le lac de Neuchâtel, sinon je n’en sers pas — est apprêté selon une recette de ma belle-mère. Toutes les viandes sont de la vallée de la Brévine ou des Ponts-de-Martel.» Le terroir devient bonne chère. Alors, les Alémaniques accourent, de Bâle et de Zurich, respirer l’air pur et se gaver de si roboratives nourritures, comme ce Mont-d’Or qui fond dans la braise sous leurs yeux ébaubis.
De l'«interdit» à l'autorisé
Puisqu’il y avait du gibier — importé frais d’Autriche —, on s’est laissé tenté par une très ménagère terrine de chevreuil (20 fr.), un filet de lapereau rosé sur un frais mesclun (22 fr.), puis une exquise caille au foie gras, fondante (35 fr.) et des médaillons de cerf (38 fr.), tendres, avec une sauce aux deux poivres (rose et vert), aromatique et crémée, le tout servi avec la garniture idoine, attrait principal de «la chasse» pour certains… Les desserts paraissaient un peu en retrait, tel ce soufflé qui va perdre son «interdit» avec la légalisation de l’absinthe et une tarte à la courge, bourrative. Grâce à un neveu collectionneur, Jean-Daniel Oppliger peut offrir, à côté de vins locaux (lire ci-contre), de jolis flacons, de millésimes à point, italiens surtout, et à des prix qui ravissent les connaisseurs. «Il faut apprendre le temps et la patience», résume le patron. L’esprit frais souffle sur La Brévine.
La bonne adresse
Auberge Au Loup Blanc
La Brévine
Tél. 032 938 20 00
Fermé le dimanche soir et le lundi
Le vin qui va avec…
Un métissage neuchâtelois
Au Domaine de Chambleau, 12 ha de vignes au-dessus de Colombier, le fils, Louis-Philippe, 37 ans, a succédé à son père Henri-Louis Burgat. Les vins sont élevés dans les caves du Prieuré de Cormondrèche, tel ce pinot noir, logé dans une quarantaine de barriques. «On respecte la provenance des raisins. Sous l’étiquette du Domaine de Chambleau, il n’y a que du pinot de chez nous. Mais il peut aussi y avoir du nôtre dans la bouteille du Prieuré: avec nos 6 ha de pinot, nous en sommes un gros pourvoyeur», explique le jeune vigneron. Un œnologue connu, Yves Dothaux, soigne les vins de la petite coopérative. En 2002, «une très belle année», ce pinot est fruité (griotte) et ne manque pas de nerf, sous une robe rubis, avec une finale finement boisée. Avec du gamaret (40%), du garanoir (50%) et un peu de pinot (10%), le Prieuré élabore aussi un assemblage, «Magie Noire» à Cormondrèche et «Métissage» à Chambleau. Car si le vin est identique, la seconde étiquette qualifie exactement la situation du domaine sans propre cave.
Chronique de Pierre Thomas, parue dans Le Matin-Dimanche, en octobre 2004