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Posted on 31 mai 2011 in Vins français

Bordeaux, couleur vin

Bordeaux, couleur vin

Bordeaux a la couleur du vin

A Bordeaux, le vin est partout. Dans la couleur homonyme, celle des meilleurs crus. Derrière les façades austères de la ville, classée au Patrimoine de l’UNESCO. Tout comme le charmant bourg de Saint-Emilion, qui aligne les cavistes à tire larigot.
Pierre Thomas, de retour de Bordeaux
Il y a deux sujets qui fâchent, à Bordeaux. D’une part, la construction (abandonnée) d’une «grande ceinture» routière autour de cette agglomération de 600’000 habitants. D’autre part, la ligne TGV, en direction du sud et de l’Espagne. Et pourquoi? Parce que ces deux liaisons entameraient quelques dizaines d’hectares du vignoble bordelais.
Dans le seul département de la Gironde, le vignoble occupe 120’000 hectares, soit huit fois la surface du vignoble suisse. Et pas question de toucher à cette «vache sacrée»… Les buveurs d’eau n’ont rien à faire ici, même si cet élément fondateur est omniprésent. Car sans l’estuaire de la Gironde, Bordeaux ne serait rien. Ses vignes, plantées dès avant les Romains par les Bituriques — qui ont donné leur nom à la variété emblématique de la région, le cabernet sauvignon, en latin «vitis biturica» —, n’ont prospéré que parce qu’on pouvait aisément exporter le vin.
Bordeaux, grand cru de l’UNESCO
Classé le même jour que Lavaux (le 27 juin 2007) au Patrimoine mondial par l’UNESCO, l’alignement rigoureux des façades du quai des Chartrons n’abrite plus guère les grands entrepôts d’élevage des vins.

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La ville, avec son magnifique Grand Théâtre, son tramway ultra-moderne et ultra-silencieux, ses esplanades (comme celle de la Bourse et son étonnant miroir d’eau), ses terrasses, est animée, même si elle a perdu contre Marseille le titre de capitale européenne de la culture en 2013. La Méditerranée contre l’Atlantique, le soleil contre les pluies tant redoutées d’équinoxe, le 21 septembre, juste avant les vendanges… Pourtant, la ville a beaucoup à offrir, même si l’avant-scène reste vineuse. En 2013, dans «les bassins à flots» de l’ancien port s’ouvrira un centre touristique dédié aux vins.
Le salut par la Chine
A Bordeaux, on parle souvent commerce et chiffres, par exemple durant Vinexpo, grand messe de la planète viti-vinicole, tous les deux ans (en cette année 2011, du 19 au 23 juin). La France redresse la tête : elle est redevenue le premier producteur de vins. Les exportations, au plus bas, sont en reprise, à la faveur d’un millésime 2009 de tous les records, qui a redonné confiance aux Bordelais. Ils misent sur l’Asie : Hong Kong, première place de ventes aux enchères de grands crus,  la Chine, premier consommateur mondial de vins.

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Clos-Fourtet, au centre du bourg de Saint-Emilion.

Des Chinois achètent des châteaux à Bordeaux. Une nouvelle ère débute. Sera-t-elle comparable aux trois siècles d’appartenance de la moitié ouest de la France à l’Angleterre ? Cet «âge d’or», le Bordelais le dut au mariage, en 1152, d’Aliénor d’Aquitaine et d’Henri de Plantagenêt, duc de Normandie, élevé peu après roi d’Angleterre. Pendant trois cents ans, le port de Bordeaux put consolider son économie avec le Nord de l’Europe. Là est née la réputation des grands vins… Mouvementée, l’histoire du commerce des vins suit, cahin-caha, l’évolution politique, jusqu’à la mondialisation d’aujourd’hui.
Entre châteaux et primeurs
Au fil des alliances, faites et défaites, le cours du vin, et la richesse du Bordelais, fluctuent. Deux tournants marquent l’histoire. D’abord le classement du vignoble en 1855 : une hiérarchie, coulée dans le bronze, situe les meilleurs châteaux et étalonne la valeur de leurs vins. Ils ne sont pas plus de trois cents à prétendre occuper les premières places, contre 8’000 autres châteaux qui régatent pour évoluer dans le sillage des Grands Crus Classés.

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Le chais à barriques du Château La Gaffelière, à Saint-Emilion.

Depuis 1972, ces derniers ont l’obligation d’être mis en bouteilles au château — c’est un deuxième tournant, un renversement décisif dans le commerce. Les négociants, qui achetaient jusqu’alors le vin brut, l’élevaient jusqu’à deux ans dans leurs entrepôts, deviennent de simples intermédiaires, des courtiers. Parallèment, le système de la «vente en primeurs» transforme les règles: les vins sont dégustés par des prescipteurs (journalistes, marchands) deux ans avant d’être mis en bouteille et proposés à la vente anticipée avant que le consommateur ait pu les goûter. En 2009, les prix des primeurs ont atteint des sommets jamais vus. Pour le 2010, ces prix devraient être maintenus, mais la quantité adaptée à la demande. Aujourd’hui, les vins de 300 châteaux — seulement ! — se négocient à ce plus haut niveau.
Des vignes invisibles
De vignes, en ville, on n’en voit point, sinon quelques ceps aux portes de l’aéroport de Mérignac! Il faut sortir de l’agglomération. A l’ouest, en direction de l’océan atlantique, le Médoc, jadis un vaste marécage assèché au 17ème siècle par les Hollandais. Pauillac, Saint-Julien, Margaux font rêver… Les domaines les plus proches de la ville sont classé en Haut-Médoc.

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Vignes sur un sol de graves, au Château Giscours (Margaux).

A l’opposé de Bordeaux, au sud-est, s’étendent les Graves et Pessac-Léognan, puis le terroir des grands crus blancs liquoreux, Sauternes en tête. Entre la Garonne et la Dordogne, l’Entre-deux-mers, aux vins plus légers et souples, majoritairement tirés du sauvignon blanc et du merlot (rouge). Et puis, la «rive droite», au-delà de la Dordogne, avec Saint-Emilion et Pomerol, dans l’arrière-pays de Libourne, avec une dominante de merlot et de cabernet franc.
Dans le Médoc, quelques châteaux emblématiques, souvent dissimulés derrière des rideaux d’arbres ou des murs, compensent la platitude du paysage, mer de ceps jusqu’à l’esturaire… Sur la «rive droite», les châteaux ressemblent à des gentilhommières et, souvent, on est surpris de découvrir qu’un «grand vin» à l’étiquette prestigieuse est élaboré dans l’annexe d’une modeste bâtisse.
La conquête de l’œnotourisme
Illusion d’optique ! Longtemps, ces châteaux, grands ou petits, n’étaient guère accessibles. Le commerce se faisait à Bordeaux et personne ne s’aventurait dans le vignoble. Aujourd’hui, les portes s’ouvrent, les châteaux vendent en direct, et se doivent d’accueillir les acheteurs comme les touristes. Bordeaux s’oriente résolument vers l’œnotourisme. Conseillés par des œnologues, «faiseurs de vins», comme Michel Rolland, Stéphane Derenoncourt ou Denis Dubourdieu, célébrités mondiales, de nouveaux venus ont acquis des châteaux, tels Bernard Magrez, le «pote» de Gérard Depardieu, ou Gérard Perse, un des piliers de Saint-Emilion.
A Saint-Emilion,  on est loin du Médoc et de ses immenses domaines. La route monte et descend, serpente entre le vieux village, étape sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle, premier lieu viticole classé au Patrimoine mondial de l’UNESCO en 1999, et ses satellites. Si Gérard Perse et son épouse Chantal ont acquis le meilleur hôtel-restaurant de Saint-Emilion, l’Hostellerie de Plaisance, un couple franco-belge, Hervé et Griet Laviale-van Malderen, domicilié sur la Riviera lémanique, mettent en valeur leur patrimoine historique. Propriétaires du spectaculaire Château Lussac (en photo ci-dessous), ils rénovent de fond en comble le Relais de Franc-Mayne, y aménagent deux suites dans un ancien relais de poste et pratiquent un œnotourisme de haut de gamme, avec piscine et jacuzzi au milieu des vignes.

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Saint-Emilion, ville magique
Ils aménagement aussi une des nombreuses carrières souterraines de pierre blonde qui donnent à Saint-Emilion un air magique, le soir, quand les projecteurs illuminent les églises, monastères et hospices de la Juridiction. Tout son territoire est classé par l’UNESCO, soit 7.847 hectares, exactement le double du vignoble vaudois. Partout, au bord de la route, les enseignes de domaines, classés ou non (Saint-Emilion dispose de son propre classement de premiers et grands crus, revu tous les dix ans), célèbres ou inconnus. Dans un tel paysage, qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse… comme l’écrivait Alfred de Musset.

Eclairage
Les huîtres d’Arcachon sauvées par la Chine?

Oubliée la ville, ses tramways et ses embouteillages du pont d’Aquitaine (à 55 mètres au-dessus de la Garonne)! Laissons à Bordeaux la bouteille de cru classé rouge, aux tanins patinés par l’âge et l’agneau de Pauillac, et trinquons au sauvignon rapicolant en partageant quelques huîtres au bord du Bassin d’Arcachon.
La destination touristique phare de la Gironde, ça n’est pas Bordeaux, mais ces plages, la dune du Pilat, du haut de ses 105 mètres, la plus élevée d’Europe, après la traversée de l’immense forêt de pins des Landes. Un autre monde. Jusqu’au 19ème siècle, la station balnéaire n’était que quelques cabanons de pêcheurs au bord du bassin, abrité des marées de l’océan, grâce à la presqu’île du Cap Ferret qui se referme sur lui.
Depuis le Moyen-Age, on y élève des huîtres, aujourd’hui creuses (espèce «crassostrea gigas»). Pour définir les goûts de ces mollusques, les ostréiculteurs du Bassin ont signé un partenariat avec l’Union des œnologues de Bordeaux. Des dégustateurs ont défini pour les huîtres des «grands crus» comme pour les vins, selon la provenance : notes lactées, de crème fraîche, de gruyère (!) pour celles du Banc d’Arguin, à conseiller sur un blanc de l’Entre Deux-Mers ; embruns et algues fraîches, d’iode et de craie pour celles du Cap-Ferret, à servir avec un vin mousseux Crémant de Bordeaux ; fruité de poire verte et de melon d’eau, de zeste d’agrumes, complété par des notes minérales de pierre-à-fusil et le silex, pour celles du Grand Banc, idéales avec un verre de rosé Bordeaux Clairet; odeurs végétales de céleri et de brocoli, de sous-bois et de feuilles mortes pour celles de l’île aux Oiseaux, parfaites avec un Pacherenc de Vic Bihl sec, un blanc du Sud-Ouest.
Mais depuis 2008, les huîtres sont menacées par un virus (une forme d’herpès), qui les décime. La production, pour 2010-2011, devrait baisser de 30 à 40%, entraînant une augmentation du prix d’autant, pour compenser cette perte. Jusqu’ici, le Bassin d’Arcachon approvisionnait les régions de Bretagne et de Normandie en jeunes mollusques, mais en 2010, pour conjurer l’épidémie, les «naissains» ont suivi le chemin inverse… Le salut de l’huître pourrait venir d’autres espèces, d’origine asiatique et pacifique. Le salut par la Chine, là encore !

Paru dans Génération Plus, numéro de mai 2011.