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Posted on 11 janvier 2012 in Vins italiens

A la poursuite du «primitivo»

A la poursuite du «primitivo»

Vins des Pouilles

A la poursuite du «primitivo»

Non, le «primitivo» n’est ni grand singe de la famille des primates. Ni un primitif d’une impraobable peuplade. Mais un «précoce» : le principal cépage des Pouilles, au sud de l’Italie, dont l’arbre généalogique a été révélé par l’ADN. Découverte sur place.
Pierre Thomas, de retour de Trani
La recherche ADN a révolutionné l’ampélographie, la connaissance des cépages (lire ci-contre). Et le primitivo fut le premier a en faire les frais, si l’on ose dire.
Jusque à la fin du 20ème siècle, ce raisin noir, le premier à venir à maturité, à la fin août, dans une région extrême pour la culture de la vigne, poussait sans souci. Les Pouilles — le talon de la botte italienne — sont balayées par les vents entre mers Adriatique et Ionique, et les envahisseurs, des Phéniciens à Napoléon, en passant par les Allemands Henri VI, Frédéric II, le Normand Charles d’Anjou et l’Espagnol Charles Quint. Cathédrales et châteaux, romano-normands par exemple à Trani, ou baroques, comme à Lecce, témoignent de ce riche passé.
On a donc pu écrire sans sourciller que le «primitivo» avait été introduit dans un de ses terroirs les plus anciens, mais aussi les plus prometteurs aujourd’hui, à 400 mètres d’altitude, dans les environs de Goia del Colle, près de Bari, par des moines bénédictins venus de Bourgogne au 17ème siècle.

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Le primitivo et le zin’ identiques

En 1967, le professeur Gohen, de l’Université de Davis, en Californie, remarque que le primitivo ressemble au zinfandel. Dès l’année suivante, on le compare avec le fameux raisin que les Américains présentent comme leur, depuis la fin du 19ème siècle. Quand, en 2000, il publie son «Dictionnaire encyclopédique des cépages» (Hachette, 950 pages, 9’600 variétés de vignes répertoriées), Pierre Galet écrit d’emblée sous primitivo : «Cépage de cuve noir italien largement répandu aux Etats-Unis sous le nom de zinfandel». Il passe comme chat sur braise sur le moyen utilisé pour étayer l’argument: la recherche ADN, pratiquée sur les cépages, et dont ce «primi-zin» fut un des premiers à bénéficier. En 1993, Carol Meredith, professeure à Davis, peut affirmer que les deux souches sont génétiquement identiques.
Par-dessus les mers, la saga du primitivo ne s’arrête pas à ces échanges transatlantiques. En poussant l’étude plus loin, des chercheurs de Davis lui trouvent alors une parenté en Dalmatie, avec deux cépages locaux, le plavina et le plavac mali. Leur père n’est autre que le crjenac kastelanski, dont l’analyse ADN confirme qu’il est identique au primitivo. Ce cépage viendrait d’Europe centrale, par le Danube ou le Rhin, raconte le gériatre Giuseppe Baldassare, passionné d’ampélographie, invité à la première rencontre internationale autour des vins des Pouilles, organisée par 21 domaines viticoles exportateurs, en novembre dernier. Il ne serait donc pas grec, comme on aurait pu logiquement le croire, mais austro-hongrois, amené en Italie du Sud du temps de Marc-Aurèle (121 – 180 après J.-C.), dans une famille balkanique : un frère au Monténégro et un autre en Croatie.

Le primitivo dans un trio

Voilà pour l’histoire. Il n’empêche, un cépage est indissociable du terroir où il prospère. Primitivo et zinfandel occupent chacun 20’000 hectares dans leurs régions de prédilection, le Sud de l’Italie et la Californie. Dans les Pouilles, ce cépage précoce peut donner deux récoltes, échelonnées entre la mi-août et début octobre. On cueille d’abord les grappes mûres, puis, deux mois plus tard, les entre-cœurs, sur la ramification hors des branches taillées. On peut le passeriller sur souche, pour obtenir des grappes surmaturées, plus riches en sucre et en arômes.
Cheval de bataille des vins du Sud de l’Italie, longtemps expédié par citernes pour enrichir les vins du Nord, le primitivo se partage le vignoble des Pouilles avec le negr(o)amaro (on prononce son nom en éludant le premier o…) et le nero di Troia, cultivé à Castel del Monte, le fief de Frédéric II, qui y a laissé un château octogonal. Grâce aux techniques modernes de vinification, ces cépages gorgés de sucre et de couleur, peuvent s’affiner.

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A Trani, charmant port de pêche en anse, à l’issue d’une dégustation à l’aveugle de vins juvéniles (des 2010), un panel international a confirmé que le primitivo (86/100 points de moyenne) devançait de peu le nero di Troia (85 points) et le negroamaro (83,5 points). Longtemps assemblés, ce trio de cépages est proposé désormais en monocépage, souvent riche et concentré. Le primitivo, coloré, généreux, alcooleux (il dépasse les 14% d’alcool), supporte moins l’élevage en bois que le negr(o)amaro, apte à un vieillissement prometteur, alors que le nero di Troia fait merveille en assemblage, même si le Riserva vient d’être promu, premier des Pouilles, dans la catégorie supérieure des appellations italiennes, la DOCG (dénomination d’origine contrôlée et garantie). On ajoutera que, selon le président du groupement Puglia Best Wine (PBW), Luigi Rubino, la Suisse est un excellent client des vins des Pouilles, pour 11% du volume exporté.

Les meilleurs vins dégustés

Sur place, lors des dégustations, on a bien aimé le primitivo Visellio 2008 (IGT Salento, 30 fr., Wyhus Belp), du domaine Rubino, comme l’Artas 2006, haut de gamme de la cave du Castello Monaci (33 fr., Cappelletti, Berne), et le Sessant’anni 2008 (DOC Primitivo di Manduria), de la coopérative Feudi di San Marzano (36,50 fr. chez Gauch, Guin).
En pur negr(o)amaro, le Graticciaia 2006, de Vallone, dans le style de vin rouge passerillé, est magnifique et rappelle le Patriglione de Taurino (qui ne fait pas partie du groupement PBW) : les deux domaines ont de bons vins d’entrée de gamme, le negroamaro Versante 2008 (9,90 fr., chez Cave SA, Gland) et Notarpanaro 2004 (18,50 chez Alfavin, Echandens).
En pur nero di Troia, le Vigna Pedale 2008, DOC Castel del Monte Riserva est très bon (16,50 fr. chez Cantina, Berne, qui vend aussi l’excellent Torre del Falco 2008, 13,50 fr.), tandis qu’en assemblage, le Nero 2008 de Conti Zecca (70% negroamaro, 30% cabernet sauvignon ; 42,50 fr. chez Bindella) s’impose. Il Falcone 2006 (70% nero di Troia et 30% montepulciano; 21,50 fr. chez Bindella) demeure une valeur sûre des Pouilles, présente dans les restaurants et pizzerias. Attention aux appellations: le système, avec une seule DOCG, 26 DOC et 6 IGT, n’est pas facile à comprendre et la plupart des domaines commercialisent des vins DOC et IGT. (PTs)

Paru dans le quotidien La Liberté (Fribourg) du 11 janvier 2012, version PDF ici.