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Posted on 28 mars 2012 in Vins suisses

Vaud — Le chasselas «sans malo» signé Bovard & Cie

Vaud — Le chasselas «sans malo» signé Bovard & Cie

L’Ilex de Louis-Philippe Bovard

Dix millésimes de chasselas iconoclaste

C’était un défi de Frédy Girardet, soufflé par feue Catherine Michel: fournir à la haute gastronomie un vin blanc suisse qui tienne la table. Le producteur de Cully Louis-Philippe Bovard a relevé le gant. Avec un chasselas sans fermentation malolactique. L’autre jour, il est revenu sur quinze ans de cette cuvée, nommée Ilex (du nom latin du houx dont on fait… les manches de pioche).

Par Pierre Thomas (photo tirée du portrait paru dans 24 Heures)

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L’œnologie n’est pas une science exacte, au mieux un art appliqué. Il y a les aléas climatiques de chaque millésime. Et puis, le facteur humain. Plusieurs jeunes œnologues se sont succédé au côté du «baron» de Cully. Chacun y est allé de son idée et a laissé, au fond du flacon, son empreinte. Les premières années (comme en 1995), Frédy Girardet s’était réservé la totalité de ce vin, servi à l’Hôtel-de-Ville de Crissier. «L’été avait été très chaud et sec et les vins qui ont fait leur malo n’ont pas tenu le coup», se souvient Louis-Philippe Bovard. On avait alors choisi un parchet de Calamin, grand cru vaudois de 13,5 hectare, rentré dans le rang des grands crus vaudois banalisés dès 2009, parce que la terre y est lourde et argileuse, conférant une acidité faible au vin. Le demi-hectare donne, bon an, mal an, sa bouteille au mètre carré, soit 5 à 6’000 flacons.
Au gré des fûts et des œnologues
Le 1995 avait été élevé non pas dans le bois, mais dans une «pipe», un tonneau, en métal. Avec ses arômes d’herbes sèches, de mirabelle, de poire au sirop, son acidité vivifiante et sa complexité, il s’est révélé magnifique. De même un 1997, étonnant, confit, très mûr, tenu par une pointe d’amertume finale; le bois est fondu et bascule sur des arômes d’herbes sèches, qu’on retrouve dans le 1998. Au contraire du 1999, plus étriqué et déjà sur l’oxydation, «comme un vieux champagne» fait remarquer le sommelier Christophe Montaud (chez Philippe Chevrier).
Autre œnologue pour le 2001, année froide et vin à l’acidité encore mordante, et le 2002, année chaude et vin confit, gras, complexe, mais versant déjà vers une certaine évolution. Changement technique encore sur les 2005, l’«année de la grêle» à Lavaux, tout de miel et de bois, avec une finale sur le calisson d’Aix, entre pâte d’amande et citron confit, et le 2006, au nez très vanillé, marqué encore par le chêne, mais avec un cœur de bouche sur la mangue et les fruits exotiques.
Paire la plus récente, 2009 et 2010, permet à nouveau de comparer le fruit d’une année chaude et l’autre fraîche. L’attaque est ample sur le 2009, avec un boisé dominant, une matière crémeuse et une finale sur le biscuit. 2010 est plus vif, avec des notes de fruits exotiques et du bois, pas encore fondu. Philippe Meyer, l’œnologue actuel, qui a aussi pris en charge la conduite des 16 hectares de vignes, remarque: «Le meilleur millésime d’Ilex n’est pas celui qu’on vend, mais le précédent. Le bois apporte du gras, de la structure, de la complexité et une diversité intéressante pour le chasselas», souligne Philippe Meyer. D’origine alsacienne et plutôt réfractaire à la barrique, il est admiratif des blancs bourguignons: «On m’a toujours dit que c’était la malolactique qui donnait cette rondeur au chardonnay… On voit qu’un chasselas, même sans malo, aux lies bâtonnées dans le bois, peut aussi acquérir du gras.»
Pour tous les goûts: le bon calcul
On ne compte pas les essais menés par Louis-Philippe Bovard sur les vins de Lavaux. Il a  introduit le sauvignon blanc dès 1994, le chenin dès 1999, la même année qu’une autre cuvée iconoclaste de chasselas avec malo en barriques neuves (son «fumé»). Son merlot pur 2009 vient de se classer premier d’une dégustation du magazine «Le Guillon» et son Dézaley rouge 2009, alliant merlot et syrah, exhale les arômes poivrés du second cépage, «c’est ma touche, celle que j’apprécie», confie l’œnologue.
Dans une bonne intelligence commerciale, il y en a donc pour tous les goûts. Reste à savoir si ces vins répondent à la définition du «terroir», dans sa dimension du respect des «usages loyaux et constants» de Lavaux. Une chose est sûre: l’évolution est une dimension indissociable du vin et pas seulement en cave de vieillissement! Pour la dimension classique, Louis-Philippe Bovard, fondateur du cercle de qualité d’Arte Vitis et de la Baronnie du Dézaley, soumet son Dézaley Médinette, un des chasselas vaudois retenus par les fondateurs du projet de la Mémoire des Vins Suisses. Car Bovard est de toujours de tous les coups… en attendant je jeunes loups.
                   
Paru dans Hôtellerie & Gastronomie Hebdo du 28 mars 2012.