Champagne — La boisson du lendemain
Le champagne du lendemain
En Suisse, les deux tiers des bouteilles de champagne sont écoulées dans le commerce entre novembre et décembre. Mais les grandes marques veulent prolonger le plaisir toute l’année.
par Pierre Thomas
Un lendemain de gueule de bois, rien ne vaut un petit-déj’ au champagne. Des experts le prétendent, férus de la méthode Coué ou adeptes, sinon de la Faculté, du moins de soigner le mal par le mal… Vous allez donc faire comme la majorité des Suisses, grands buveurs de champagne, toujours situés en tête des consommateurs «per capita» (1 bouteille par habitant et par an, nourrissons compris…), et boire votre coupe ces prochains jours. A l’apéritif de fin d’année du bureau ou à celui pré ou post-Réveillon.
Pourtant, la notoriété du champagne décroît, également en Suisse où le noble breuvage se dévoie parfois dans les bars interlopes. La moitié du champagne consommé chez nous l’est encore dans un établissement public. C’est énorme, et fait douter que le champagne soit considéré comme un «vrai» vin, puisque seulement 15% du vin se boit en Horeca (hôtels, restaurants, cafés).
Les grandes maisons — la grosse masse des 220 millions de bouteilles produites par an — regorgent d’astuces pour corriger cette image. Le géant Moët & Chandon (30 millions de bouteilles à lui tout seul), qui s’y entend rayon luxe — c’est le M de LVMH, encadré par le bagagiste Louis Vuitton et l’éleveur de cognac Hennessy — prépare la parade. Le groupe d’Epernay multiplie les cuvées de prestige. Sur le fond, ça ne fait que quelques petits pour-cents des ventes ; sur la forme, ça entretient l’image de produits haut de gamme. Depuis quelques mois, en Suisse, toutes les marques du groupe dépendent de la même structure marketing. Ainsi, Veuve Clicquot a rejoint la famille Moët. Et selon ses archives, c’est pour la Suisse, en 1775, que cette maison de Reims a élaboré le premier champagne rosé. L’Union européenne, quand elle n’était que Communauté, a légalisé sur cette base historique le mélange de vin blanc avec du rouge. Même si la consommation du rosé décline en Suisse, notre pays demeure un marché intéressant, qui s’est fait brûler la politesse, toutefois, par le Japon, où la douce couleur est vénérée. On y teste, actuellement, les réactions des consommateurs à un Veuve Clicquot rosé basique. Les Helvètes doivent se contenter d’un millésimé. Et qui dit millésimé (le 1998) dit cher — autour de 80 francs la bouteille. C’est, certes, deux fois moins que le Dom Pérignon, emblème luxe de Moët & Chandon, six fois moins que le Brut Collection de Krug mais davantage que le Blanc de Blancs de Ruinart, deux maisons dans le giron LVMH…
Les Suisses ont encore d’autres tours dans leur seau à glace. Vingt-cinq hôtels et bars testent une version «on the rocks» du champagne. L’idée est venue du service marketing helvétique : pourquoi ne pas boire un mousseux plus doux (un «sec», alors qu’un vrai sec est «brut» — vous suivez ?) comme un vermouth ou un whisky. Mais comment doser la glace pour ne pas anesthésier le champagne ? Il suffisait d’inventer un verre étroit, assez haut, sablé sur ses derniers centimètres. Vous y glissez trois glaçons, puis un déci de «Nectar impérial» de Moët, et voilà le «long drink» «relooké». Et ça marche : même à Epernay, on n’en revient pas… Au point que mon petit doigt (toujours bien informé) me dit que pour le retour du printemps, le 21 mars, le géant de la bulle va présenter un verre canaille pour imposer le rosé au pique-nique. En attendant, santé, joyeux Noël et bonne année!
Billet paru dans l'Agefi, Lausanne, en décembre 2004