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Posted on 19 janvier 2005 in Tendance

Vins suisses — Les copeaux menacent-ils la Suisse?

Vins suisses — Les copeaux menacent-ils la Suisse?

Vins suisses
Les «vins de copeaux» menacent-ils la Suisse?

Où il y a du chêne, il n'y a pas toujours du plaisir. La France vient de lancer dans deux régions des essais d'intégration de copeaux de bois dans les vins. Pourquoi la Suisse ne s'y mettrait-elle pas elle aussi?
Par Pierre Thomas
Officiellement, la France est le premier pays de l'Europe communautaire à se lancer à visage découvert dans un procédé qui a cours en Australie, au Chili et en Afrique du Sud. Tout le monde ne s'en offusque pas. L'Anglaise Jancis Robinson, dans «Tout apprendre sur le vin» (Editions TF1), écrit: «Les copeaux ne sont pas nécessairement un mal: ils donnent au vin le type de saveur que le consommateur recherche pour un prix infiniment moins élevé qu'une maturation en véritable fût de chêne.»
Les chercheurs français, qui ont déjà conduit deux ans d'essais en vase clos, estiment eux aussi que l'adjonction de copeaux enrichit gustativement un vin. Déjà très officiellement, à Cognac, on a le droit d'utiliser des macérations de bois dans l'alcool pour améliorer l'eau-de-vie. Pourquoi ce qui est bon pour le cognac ne le serait-il pas pour le vin?
Réservé aux petits vins
Jusqu'ici, l'Union européenne s'est refusée à inclure une telle pratique dans la règlementation, exprimée par une «liste positive des pratiques autorisées», explique Anne-Marie Goutel, à Paris, au Service de la répression des fraudes. C'est ce service qui a mis au point un protocole d'autorisation, réservé aux seuls vins de table et vins de pays, au bas de gamme, donc. Deux régions sont concernées, le Val de Loire et le Languedoc.
L'interprofession des vins de Pays d'Oc participe à cet essai, avec l'Union française des oenologues. A Montpellier, Sylvie Ellul, directrice du syndicat des vins de pays d'Oc et coordinatrice de l'opération explique que les conclusions ne sont pas attendues avant deux ans. «De tels vins, qui sont des vins de cépages, visent des marchés bien spécifiques, à l'exportation vers les pays anglo-saxons et le Japon». La Suisse, affirme Mme Ellul, n'entre pas en ligne de compte: «C'est un marché très fidèle aux appellations d'origine contrôlées (AOC)».
La loi suisse est vague
Pourtant, les vignerons suisses pourraient être tentés de s'y lancer eux-mêmes… Ce d'autant qu'il paraît plus facile de doser le boisé d'un vin à l'aide de copeaux qu'en lui faisant subir une lente maturation dans une barrique. Et comme le principal reproche fait aux vins suisses logés en bois, c'est, précisément, d'être trop marqués par leur séjour en fût…
La législation helvétique, qui ne reconnaît pas l'européenne, est muette sur le sujet: le tonneau n'est qu'un contenant. L'aromatisation par copeaux, estime le chimiste cantonal vaudois Bernard Klein, pourrait être soumise à autorisation de l'Office fédéral de la Santé publique, si l'on reconnaît qu'elle est un procédé nouveau pouvant modifier de manière décelable les caractéristiques physiologiques ou la composition du vin, selon l'Ordonnance sur les denrées alimentaires (art. 14).
Chez Provins, la grande coopérative valaisanne, Jean-Marc Amez-Droz ne voit «pas d'intérêt» aux vins nourris de copeaux. «Le procédé ne s'appliquerait guère à nos cépages, chasselas ou gamay, où l'on recherche du fruité. Le goût de boisé est associé au cabernet-sauvignon et au chardonnay. Mais le peu de chardonnay que nous vinifions, nous l'écoulons sans peine comme vin de haut de gamme. Donc, si je comprends la démarche commerciale qui sous-tend le procédé, elle ne concerne pas la production suisse», estime le Valaisan.

Eclairage
Touche pas à mon cru

Par Sucellus, le dieu gaulois de la tonnellerie, touche pas à mon vin! Car si l'on redécouvre aujourd'hui les vertus de la barrique neuve pour les grands vins de garde, «le tonneau et le vin ont une histoire commune de deux mille ans», constate Emile Peynaud, l'auteur de «Le vin et les jours». Malgré toutes les vertus du bois, dans l'oxygénation lente et harmonieuse du vin, «la barrique ne fait pas le vin, pas plus que l'habit ne fait le moine», ajoute le professeur bordelais. Aujourd'hui, moins que d'habit, il s'agit de déguisement… Le consommateur le distinguerait-il? Les Anglo-Saxons permettent aux vins de copeaux de porter sur leur étiquette les mentions «oak ageing», «oak influence» ou «oak maturation», mais en aucun cas les mots fûts ou barriques. L'ODAl suisse interdit, elle aussi, la tromperie. Mais rien n'empêcherait de mentir par omission: l'étiquette n'explique pas, actuellement, comment les vins sont élaborés. Demain, à quoi donc le consommateur moyen attribuera-t-il le subtil boisé de tel ou tel vin, si même les spécialistes s'y méprennent? Les vins de copeaux, s'ils contentent des consommateurs peu regardants, devraient rendre méfiants les connaisseurs et les rapprocher des producteurs fiables.

Article paru dans Hôtel + Tourismus Revue en avril 2000.