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Posted on 6 janvier 2005 in Vins français

Champagne  — Cinq idées reçues sur le champagne

Champagne — Cinq idées reçues sur le champagne

Pourquoi ne le boire qu'en fin d'année?
Cinq idées reçues sur le champagne

Les chifffres le montrent: en Suisse, les trois quarts des ventes de champagne se font en fin d'année. Pourtant, la Champagne, vignoble deux fois plus vaste que la Suisse viticole, produit des vins mousseux, certes, mais de tout type et pour toute circonstance. La preuve en cinq affirmations qui ne tiennent pas la route.Par Pierre Thomas
1) Le champagne n'est pas un vin

Dans le champagne, c'est la «technique» qui fascine. Il a fallu la compréhension du phénomène de la refermentation, en 1836, pour développer la «prise de mousse». On ne le dit jamais assez: en Champagne, les bulles se développent dans chaque bouteille, élevée individuellement. Au contraire des méthodes modernes, notamment italiennes, où il suffit d'un récipient fermé («cuve close») pour obtenir le gaz carbonique qui fait «pschitt»… Mais attention: la «champagnisation» a fait école, sous le nom de «méthode traditionnelle», la même technique est utilisée dans le monde entier.
Il y a du mystère qui s'échappe de la bulle. Et qui s'explique par le détail des opérations de cave, complexes: vin de base d'abord, puis ajout de sucre et de levures pour la «prise de mousse»; mûrissement en cave pour que les levures nourrissent le vin d'arômes, d'où le «remuage» régulier des bouteilles; ensuite le «dégorgement» pour éliminer ces dépôts; enfin, le «dosage», pour arrondir le vin par une «liqueur d'expédition». Cette cascade d'opérations fait du champagne un produit original.
Question perfide: y a-t-il du bon vin à la base? Si la Champagne, vignoble septentrional, produit ce vin-ci, ça n'est pas un hasard. Mais la nécessité de valoriser un raisin parfois ingrat. Star montante, Jean-Hervé Chicquet, de Jacquesson, ne le cache pas: «Il y a encore beaucoup à faire dans le vignoble quand on pense que nous avons les mêmes cépages que les Bourguignons». 2) Le champagne ne se boit pas à table
Si l'on considère le champagne comme un vin à part entière, par quel ostracisme l'exclure de table? Je me souviens d'un tête-à-tête amoureux à Montmartre où, pour claquer les derniers francs français, nous nous étions offert une bouteille de champagne sur des fruits de mer. Souvenir vivace: le champagne escorte a merveille huîtres et coquillages. Ou ces poissons en sauce dégustés jadis à Nyon avec du Bollinger RD (lire au paragraphe suivant): un régal indiscutable. Mais qui se perd: les grands champagnes pour tout un repas sont hors de prix au restaurant et leur valeur exprimée excède la «folie» qu'on s'autorise avec un vin rouge.
Fin décembre, le critique gastronomique Alain Giroud a relaté avec lyrisme, dans la Tribune de Genève, les accordailles entre des plats de haut vol et le Dom Pérignon, champagne millésimé phare du géant Moët & Chandon. L'œnologue Richard Geoffroy et le chef Philippe Rochat se sont assis à la même table à Crissier. Et tout s'est passé à la perfection, avec l'apothéose d'un Dom Pérignon 1959 sur un vieux gruyère d'alpage: «La vinosité du vin tient tête à cette pâte sublime qui pensait mourir en compagnie d'un vin jaune», écrit le chroniqueur.
Champagnes millésimés, cuvées haut de gamme, crus d'un vignoble précis et champagnes rosés crèent la surprise à table. Il suffit d'essayer! Car, comme l'exprimait un fin palais français, «l'harmonie des vins et des mets est une question trop complexe pour se plier à des règles rigides et absolues». 3) Le champagne ne se conserve pas en bouteilles
Le champagne ne devrait pas être gardé en cave car il est prêt à boire dès sa mise en marché. Cette maxime s'appuie sur le dégorgement, soit l'opération qui élimine le dépôt.
Deux théories s'opposent. Bollinger s'est fait le champion du «RD», le «récemment dégorgé». J'ai dégusté à Epernay un «RD» du millésime 1990 préparé pour l'expédition en février 2003: un très beau vin, à la fraîcheur indéniable, marqué par l'élégance du pinot noir. «Le 1981 n'a été dégorgé qu'en 1999», me confiait alors fièrement Ghislain de Montgolfier, le patron de cette maison prestigieuse. Il faut aussi préciser que chez Bollinger, pour assurer une oxydation ménagée du vin, les bouteilles stockées avant dégorgement sont toujours bouchées avec du liège, et non par une capsule d'acier.
Démonstration inverse le lendemain à Reims, chez Lanson, un des grands exportateurs. Le maître de chais Jean-Paul Gandon avait tiré de la collection de la maison une série de millésimés (1989, 86, 79, 69) dégorgés à l'époque et fait préparer, dans les mêmes millésimes, des récemment dégorgés. Dans tous les cas, les bouteilles bouchées d'époque se sont révélées plus complexes, plus riches, que les récemment dégorgées! Explication chirurgicale de l'œnologue: «Nous appelons le dégorgement, l'opération: on opère plus facilement un jeune homme qu'un vieillard.»
Au-delà de la querelle technique d'experts, on peut retenir qu'un champagne stocké dans une bonne cave n'est pas «mort» après quelques mois.4) Le champagne ne mérite que les grandes occasions
Avec une bouteille par an et par habitant, la Suisse figure en bonne place parmi les importateurs de champagne, derrière l'Angleterre et les Etats-Unis. Par tête, à part les Français, seuls les Luxembourgeois et les Belges font mieux. Une étude de consommation de 1997 montrait que les Suisses boivent du champagne surtout à Noël et à Nouvel-An, parfois lors d'un anniversaire et plus rarement encore lors d'un cocktail.
Pourtant, toute heure est favorable au champagne, même s'il a de la peine à se défaire de son image d'exception. Celle-ci, pour être juste, fait aussi sa force commerciale: le consommateur est prêt à débourser davantage pour un produit peu courant. Toutefois la position du champagne en Suisse se fragilise. «Les Suisses, au contraire des Anglais qui ont un profond respect pour lui, ne considère pas le champagne comme un vin. Qu'il soit le ticket d'entrée à la vie nocturne nuit à son image de marque», constate Jacques Dabère, le directeur export de Lanson.
De fait, l'Italie, avec des produits bon marché (le «prosecco», très à la mode à Zurich!), talonne la France, en volume importé. L'Espagne (et ses «cava») a reculé. Un bon tuyau: les sites www.effervescents-du-monde.com et www.oenologuesdefrance.fr (pour le palmarès des Vinalies de Paris) révèlent des marques et des régions émergentes. La maison Bisol et fils, près de Trévise, région du «prosecco», collectionne les trophées dans ces concours, tant avec des «spumanti» en cuve close qu'avec des «méthode traditionnelle». 5) Il n'y a presque pas de champagne 2003
L'an passé avait très mal débuté: en avril, gel, surtout dans la «Côte des blancs», réservée au chardonnay. Ensuite, la grêle s'est abattue sur certains villages. Et puis, à l'instar de toute l'Europe, le vignoble a subi quinze jours tropicaux. Comme le champagne nécessite de la fraîcheur de fruit et de l'acidité, les vendanges ont été avancées en août. Du jamais vu depuis 1822. Et comme ailleurs, la vigne a très peu produit.
Alors, peu de champagne en 2003? On ne sait pas s'il y aura du millésimé, réservé aux meilleures années: les maisons ont trois ans pour réfléchir… Pour le reste, les aléas de 2003 ne se percevront pas. Car, un des traits de génie attribué au moine Dom Pérignon (au 17ème siècle), c'est d'avoir institué l'assemblage. Celui des provenances (les 320 communes de la zone de production), des cépages (pinot noir, pinot meunier et chardonnay) et des années. Les maîtres de chais élaborent la cuvée la plus courante — le non millésimé — en puisant dans les stocks de plusieurs années. Ils signent un vin au style de la maison, régulier et reconnaissable.
Et pour éviter d'être à court de matière première, les viticulteurs champenois ont adopté un système de compensation: les bonnes années, ils peuvent produire davantage que le quota légal. Ce vin, dit «de réserve», n'est libéré qu'après une récolte de petite quantité ou de piètre qualité. Mais, dit-on au Comité interprofessionnel des vins de Champagne (CIVC), gare à la vendange 2004: la «réserve» ne permet de tenir le coup qu'une petite année.
Article paru dans TYPE, Lausanne, en avril 2004