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Posted on 7 février 2005 in Adresses, Restos

Satigny (GE) — Domaine de Châteauvieux (Ph. Chevrier)

Satigny (GE) — Domaine de Châteauvieux (Ph. Chevrier)

Domaine de Châteauvieux, Satigny (GE)
Une oie sans tartufferie

Lecteurs du «Formidable voyage de Nils Holgersson», fermez les yeux. Car l’oie qui emportait l’adolescent-nain à travers la vaste Suède atterrit ici dans l’assiette, non loin de Cointrin. Comme l’automobiliste lambda qui se demande quelles sensations cela fait de piloter une Ferrari, le gastronome de base aspire à goûter à la «grande cuisine». Une fois, rien qu’une fois… Mais à deux conditions : que l’exercice soit magistral et le résultat unique.
La composition autour de l’oie, l’autre soir, au Domaine de Châteauvieux, près de Satigny, collait parfaitement à cette étroite définition. A 45 ans, Philippe Chevrier est parvenu, à la tête de sa brigade d’une vingtaine de cuisiniers et pâtissiers, à une maturité à laquelle il ne manque que le troisième macaron Michelin. Celui qui rêvait à 15 ans de s’installer dans cette ancienne forteresse, comme l’écrit Jean Lamotte dans les «Histoires gourmandes» que vient de publier le chef genevois aux Editions Jouvence, en est le maître rayonnant.
Son jeu de l’oie brouille les pistes : dans une vaste assiette ovale, le volatile gît détaillé comme le cochon de la Saint-Martin ajoulote. Tout y est : le suprême, rôti rouge comme un pigeon, les abats débités en atriaux et en saucisse à rôtir à la pistache, le gras de la cuisse en mini feuilleté et le pilon, haché menu dans un parmentier — oh, juste trois divines cuillérées.
Une composition qui réalise l’unité de la matière dans la diversité des apprêts et cuissons. A la base, une oie grise élevée par le Bressan Jean-Claude Miéral, puis rassise trois semaines, non plumée. Le chef l’admet volontiers, impossible de boucler seul et dans le délai ce jeu de l’oie ; il faut être deux pros aguerris pour ne pas se planter. Au final, cette démonstration sans tartufferie est à l’opposé des tours de passe-passe de pseudo-chimistes pour attrape-nigauds. Tout est succulent et minutieusement soigné. Seul regret, le plat, vu sa rareté, ne figure que dans le menu dégustation (260 fr. par personne) d’hiver.
A la carte, on peut se consoler avec une version renversante par son minimalisme, la truffe noire cuite entière en chausson, entrelardée de fondant foie gras (160 fr.). 70 grammes de «tuber melanosporum» du Vaucluse ou du Périgord, rabattue à Genève ou Zurich par des spécialistes. C’est l’acmé d’une autre «performance» de l’équipe à Chevrier : un menu complet à la truffe noire (360 fr.), d’une ensorcelante crème d’artichaut et châtaignes à l’ultime dessert au mascarpone à la truffe. Jusqu’en mars, le chef passe une dizaine de kilos du «diamant noir» dans ses assiettes (au cours de 1500 francs le kilo). A s’offrir, une fois, rien qu’une fois…

La bonne adresse
Domaine de Châteauvieux
Peney-Dessus (GE)
Fermé dimanche et lundi
Tél. 022 753 15 11

Le vin qui va avec…
Rare flacon d'un voisin

Quand on lui demande combien d’hectares de vignes il cultive, Nicolas Bonnet répond : dix-sept. Et pour combien de bouteilles ? Vingt mille. Diable, ferait-il mieux (ou plutôt moins!) que la Romanée-Conti (25 ha pour 80'000 flacons) ? Non. Seulement, s’il commercialise si peu de vin sous l’étiquette du Domaine de la Comtesse Eldegarde, à Satigny, Nicolas Bonnet reste fidèle à l’esprit de coopérative de la Cave de Genève, auquel il livre encore du raisin. En voisin, Châteauvieux figure en bonne place dans le cercle restreint des clients du vigneron. Qu’ils soient en cuves ou en barriques, ses vins suivent un parcours œnologique approprié de la vigne au contenant. Parfois, Nicolas Bonnet se fait violence, comme pour cet assemblage rouge : «Je suis en principe contre !». D’une robe soutenue, gras, complexe, avec du fruité bien enveloppé par un boisé discret (40% de fût neuf) et des tanins fins, le Chorus 2002 est le premier du genre. Merlot (44%) et cabernets, franc et sauvignon en parité, le composent. Une formule faite pour durer : les ceps ont été plantés en proportion dans cette perspective. Ca se discute, l’assemblage permettant l’improvisation. Mais Nicolas Bonnet la joue solo et toujours piano.

Paru dans Le Matin-Dimanche du 6 février 2005