Portugal — Le porto revient à la mode
Out, le porto? Le vin fortifié le plus prestigieux du monde passe pour une liqueur de grand-maman. De jeunes Portugais — manager, marque et marketing… — le remettent au goût du jour.
Par Pierre Thomas
La tequila et la salsa font meilleur ménage dans les bars branchés que le (vieux) porto et le (sombre) fado. Principal produit d'exportation depuis 1703, quand les Anglais signèrent un traité pour donner aux Portugais des passe-droits dont les Français — ennemis viscéraux de la perfide Albion — étaient privés, le porto s'est longtemps bu dans les clubs sélects et strictement masculins de Londres…
Quand des Portugais croient au porto
Mais tandis que les entrepôts de Villa Nova de Gaia, où vieillissement durant des dizaines d'années de vieilles «pipas» (tonneaux) de liquide ambré et sucré, se déglinguent, des investisseurs locaux croient à nouveau à l'avenir de ce vieux vin, vin de vieux. Ainsi la maison Burmester, passées aux mains de la dynastie Amorim. Ces Portugais sont les leaders mondiaux du bouchon de liège, avec les Français Sabaté. C'est la cadette de la famille, Luisa, 28 ans, qui se colle aux portos. Elle fait confiance à une poignée de jeunes collaborateurs, tout justes trentenaires, comme l'œnologue Jaime Costa et le «product manager» Nuno Mota. Ils relancent la marque Gilbert's, bardée, comme toutes les enseignes de porto, d'une lourde histoire. Ils la dépoussièrent d'abord en «G», à prononcer «dji». Ensuite, ils demandent à deux Londoniens, Liz Wren et Michael Rowe, de dessiner une bouteille de 50 cl (au lieu de 75 cl) où le «G» est moulé dans le verre.
Une image revue et corrigée
La marque – déposée jusqu'au design de la bouteille! — s'autoproclame «la première de vin de porto destinée au consommateur jeune». «En 2002, alors que les ventes globales de porto ont baissé de 7%, celles de Burmester ont augmenté de 12%», se félicite Nuno Mota. Surtout, le producteur a simplifié la hiérarchie des portos en donnant à chacun une couleur distinctive à la capsule: rouge pour le ruby, un porto jeune et fruité, vert néon pour le blanc, moins sucré (extra dry) que d'ordinaire, orange pour le «tawny» (qui veut dire précisément rousseâtre en anglais…), au goût plus mûr et évolué, doré pour le 10 ans d'âge, dans la même veine, riche et plein, carmin pour le «late bottled vintage», un millésimé mis en bouteille après six ans de fûts, à la fois fruité et mûr, et, enfin, noir pour le «vintage», un millésimé pur et dur — en l'occurrence un 1999, moins structuré que les 1997 ou 2000.
Convaincre les jeunes
«On a simplifié au maximum la gamme. Car on sait qu'il est très difficile d'éduquer les jeunes, de 25 à 35 ans, à boire du porto», explique le «product manager». Qui ne dédaigne pas boire un doigt de porto ruby avec une rasade de tonic… «Au 19ème, on le mélangeait bien à de la limonade!» Nuno Mota rêve d'une alignée de six dés à coudre de porto différents. «Ca changerait des «shots» vodka-red bull, non?»
A Londres, assure le Portugais, les jeunes s'y (re)mettent. Fort de ce succès, le porto pourrait bien faire son grand retour, dans la foulée des whiskies désormais déclinés en cuvées singulières… Exactement comme le porto! Dans les barriques (vidées) duquel, de surcroît, certains whiskies vieillissent, pour acquérir des arômes qu'un alcool de grain ne saurait prétendre développer, au contraire d'un vin. Avec un avantage au porto: bien que «muté», pour bloquer la fermentation de tout son sucre, par ajout d'alcool pur jusqu'à 20°, il est deux fois moins «chargé» que le whisky… Mais ni les services de santé ni ceux de police ne conseillent d'en boire deux fois plus, évidemment!
Article paru dans Edelweiss, Lausanne, en octobre 2003