Chine — Comment faire aimer le vin aux Chinois?
Comment faire aimer
le vin aux Chinois ?
Ah si les Chinois buvaient deux fois moins, soit 20 litres de vin par habitant et par an, que les Suisses, cela ferait 260 millions d’hectolitres de vin… Soit l’équivalent de la production mondiale. Mais on oublie que les Chinois produisent déjà davantage de vin qu’ils n’en consomment.
De retour de Shanghai :
Pierre Thomas (août 2005)
Sur les tables, rondes et qui tournent, d’un des meilleurs restaurants de Shanghai, les mets se succèdent, succulents et variés, dans un ordonnancement bien précis. Après le dernier féculent, on ne boit plus. Mais avant, entre invités, on ponctue le déjeuner de sonores : «Kampé !» La tablée se lève, tend son verre. On regarde son voisin en buvant cul-sec. Traditionnellement, «du vin». Mais du «vin de riz», fabriqué dans des usines ultramodernes, où l’on n’a conservé les jarres en terre cuite que pour vieillir le produit industrialisé.
Arrêter de boire… du riz
Si la langue française fait la différence entre les céréales fermentées — les bières — et le jus de raisin transformé en alcool — le vin —, le chinois n’a qu’un mot pour les deux, «jiu». Il y a mille ans, durant la dynastie Tang, le vin eut un grand pouvoir évocateur… En 1996, le premier ministre Li Peng donnait un sérieux coup de pouce en recommandant d’abandonner la tradition du «Kampé !» à l’alcool de riz. Au «pays de l’enfant unique», qui a de la peine à nourrir toutes ses bouches, le riz conserve une fonction essentielle. La viticulture, encouragée dès 1980, a donc redémarré à la vitesse grand V. La vigne couvrirait près de 400'000 ha, soit deux fois moins que la France ou l’Italie, mais autant que les Etats-Unis. Et la Chine, et ses 4,5 millions d’hectolitres de vin, est déjà en état de surproduction, de 20% par rapport à sa (modeste) consommation.
L’argument «santé» décisif
Rien ne dit que les Chinois vont se mettre à boire massivement du vin. En sa faveur, les bienfaits d’une consommation modérée. Un argument décisif, quand on sait que même le repas le plus simple possède des vertus salutaires. Et qui joue pour le vin rouge. Pourtant, la cuisine chinoise paraît mieux s’harmoniser avec des vins blancs. Sauf que les Chinois abhorrent la sensation d’acidité… De fait, à l’image de Grace Vineyard, un domaine de 70 hectares, non loin de la capitale du Shaanxi, Taiyuan, conduit depuis cinq ans par l’œnologue français Gérard Colin, les cépages rouges internationaux tels le cabernet-sauvignon, le cabernet franc et le merlot (plus de 90% du domaine) ont la cote.
Traditionnellement, la Chine cultive d’autres variétés. Ainsi, les vignes sauvages du nord, les «vitis amurensis» ou le «longyan», l’œil du dragon. Elle a aussi croisé des variétés européennes et autochtones, comme le «gongniang» (vitis vinifera X amurensis). Et elle a importé toutes sortes de cépages européens, y compris des hybrides. Ses vignes sont plantées dans des régions continentales (comme le Shaanxi), à l’hiver si rigoureux qu’il nécessite d’enterrer les ceps, avec, à la clé, un cycle végétatif très court, dans des régions d’altitude (à 1000 m. et plus) ou désertiques, ou encore en bord d’océan, dans le Shandong, où Qingdao est aussi la capitale… de la bière.
Coca et vin dans le même tonneau
C’est bien la concurrence de tout ce qui peut se boire qui risque de freiner le vin dans l’Empire du Milieu. Gérard Colin cite l’exemple de la France : la consommation du vin et de l’eau minérale s’est exactement inversée en trente ans. Et si les Français buvaient 150 litres par habitant et par an de diverses boissons alcooliques (dont la bière) en 1970, contre 60 litres de sans alcool (dont l’eau minérale), en 2000, les premières sont tombées à 100 litres, contre un bon à 214 litres pour les secondes.
En Chine, la consommation de vin n’est que 0,36 litre par habitant. Il y a donc de la marge. Gérard Colin l’estime limitée : le litre pointe à l’horizon 2010… Une progression modeste réalisée moins dans les campagnes que dans les villes, à l’économie dite «de marché», où, selon un observateur, les nouvelles générations rêvent «d’un frigo, d’une voiture et d’une bouteille de vin sur la table». Du vin chinois prioritairement, même si les parvenus préfèrent une caisse de bordeaux. Dans une cave climatisée : il fait, l’été 40° pour 90% d’humidité, à Shanghai…
Perspective
Du chasselas (suisse) pour les Chinois ?
Fin août 2005, l’Association Vaud-Shaanxi organise un voyage de prospection centré sur l’arboriculture et la viticulture. Michel Duboux, d’Epesses, président de l’Association suisse des vignerons-encaveurs, fera le déplacement : «Le but, ce serait de vendre des vins là-bas. Il n’y a pas que les industriels qui peuvent espérer faire des affaires avec les Chinois, les terriens aussi.» Le Vaudois Claude Dizerens, Monsieur Export de Provins-Valais, s’est rendu plusieurs fois en Chine: «Si le pays représente un marché potentiel énorme, il est trop grand pour les producteurs suisses. On doit se limiter à des actions ciblées, par exemple sur Shanghai.» La capitale économique de la Chine — plus de 15 millions d’habitants, organisatrice de l’expo universelle de 2010 — est le plus grand port de fret du monde. Elle s’impose en porte d’entrée de l’Empire du Milieu. Et comme Provins-Valais exporte déjà avec succès ses vins à Singapour, Tokyo et Kuala Lumpur… «A Shanghai, je n’ai pas encore trouvé d’importateur fiable», souligne M. Dizerens. Les plus gros encaveurs suisses envisagent de créer trois cuvées, rouge, rosée et blanche, pour conquérir la Chine. «Le goût des Chinois est celui des consommateurs des pays émergents : ils aiment les vins ronds, fruités, faciles à boire, ni complexes, ni compliqués. Nos chasselas et pinot noirs entrent dans la cible», salive Claude Dizerens.