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Posted on 6 janvier 2005 in Vins espagnols

A quand la résurrection du Xérès?

A quand la résurrection du Xérès?

A quand la résurrection du xérès?
Tous les deux ans, Vinoble, le salon de dégustation des vins liquoreux du monde, se tient à Jérèz de la Frontera, au sud de l’Espagne. L’occasion de découvrir l’univers mystérieux d’un vin en perte de vitesse, le Xérèz. Mais qui pourrait renaître.
De retour de Jérèz : Pierre Thomas
L’édition de cette année, qui s’est terminée fin mai, annonçait 120 régions de production de vins doux et liquoreux des cinq continents (Japon et Nouvelle-Zélande compris !). Mais personne ne s’y trompe : si ce salon, qui en est à sa quatrième édition biennale, a lieu à Jérèz, c’est bien pour promouvoir les vins locaux. Il faut dire que l’Andalousie n’a pas son pareil pour l’accueil : climat exceptionnel, sous les palmiers, et hôtellerie de qualité. Sans oublier un rythme de vie dépaysant : déjeuner vers 15 h., sieste en fin d’après-midi et dîner au-delà de 22 h. 30. Ajoutez-y une corrida, un spectacle de flamenco et quelques tapas…
Un vin d’histoire
Pourtant, le xérès doit plus aux étrangers qu’aux Espagnols, même si, au contraire du porto, chez leurs voisins lusitaniens, le marché local reste traditionnel.
Le xérès raconte une histoire, fabuleuse, évoquée dans un magistral spectacle audiovisuel, à deux pas de l’autre joyau touristique de la ville, l’Ecole de dressage de chevaux et son musée. Ce vin est né avec l’arrivée des Phéniciens à Cadix, un peu plus de mille ans avant Jésus-Christ. Il est lié à tous les hauts faits de la Péninsule ibérique. Ainsi, les Anglais prirent la place des juifs, chassés d’Espagne à la fin du XVème siècle, et le commercialisèrent sous le nom de «sherry», tiré du nom arabe de la ville, Seris.
Après le départ de Christophe Colomb pour l’Amérique, le xérès fut le premier vin qui franchit l’Atlantique. Non sans péripéties : Francis Drake, le redoutable pirate anglais en arraisonna quelques pleins navires, déroutés sur Londres. Puis, Anglais et Espagnols se livrèrent des guerres impitoyables, au XVIIIème siècle, avant que le vin reprenne sa place à la fin du XIXème siècle. Jamais, on en produisit autant : plus de 70’000 gros fûts, les botas.
Des marchés effondrés
Aujourd’hui, le rôle du «sherry» dans le monde s’est considérablement réduit. Le Bordelais Bertrand Nouel, consultant de la maison Pedro Romero, explique : «Le xérès souffre d’abord d’une image démodée. Ensuite, il a vécu sur de gros marchés qui lui assuraient son succès, l’Angleterre et la Hollande, devant l’Espagne et l’Allemagne.»
En trente ans, les ventes se sont effondrées à un tiers du volume. Le vignoble lui-même a été réduit de moitié, à 12’000 hectares. Parallèlement, les Andalous ont obtenu des succès : ils ont réussi à proscrire l’appellation «sherry» de Chypre et d’Afrique du Sud, en attendant de faire de même avec l’Australie et l’Amérique du Sud, pour préserver une «dénomination d’origine» contrôlée dès 1935.
Sauvé par les tapas et El Bulli ?
Le breuvage, dont la déclinaison est complexe (lire l’encadré), reprend ses lettres de noblesse, avec des produits hauts de gamme. Et, pronostique Bertrand Nouel, la mode des tapas, aux ingrédients aussi divers que le jambon (espagnol de préférence !), les fruits de mer ou d’autres préparations hétéroclites, exige un vin qui supporte des alternances de goûts. Le fino, solide blanc à 15° d’alcool, tient cette promesse : «C’est le seul vin qui va avec tout». Même avec les extravagances de Ferran Adria en son El Bulli. Et avec toute la cuisine de sushis et sashimis japonisante.
A l’heure où à Marseille, autre ville phénicienne, le pastis force à exagérer, le fino et la manzanilla sont de prodigieux révélateurs. On vous apprend alors que les tapas sont nées en Andalousie, lorsque les musulmans ne pouvaient boire qu’à condition de manger. Ils posaient leurs amuse-bouche sur le verre (d’où le mot tapas, couvercle en espagnol). Quant à la tempura, cette fine friture chère aux Japonais, elle a été exportée par un jésuite andalou. Peuchère! Si avec de tels arguments, le xérès ne revient pas à la mode, ce serait un miracle à l’envers…Eclairage
Un monde complexe de vins secs ou doux

Le raisin paraît moins important dans le xérès que le processus d’élaboration. A 95%, le vin de base est issu d’un cépage blanc local, le palomino. Les jus de raisin sont séparés : d’abord, le jus de goutte, qui donnera le fino, vin jaune clair, frais, à l’arôme de noisette, voire de camomille, le synonyme de manzanilla, le vin concurrent et voisin du fino de Jérèz ; ensuite, le jus de presse, destiné à l’oloroso.
Le premier, le fino, restera dans des tonneaux remplis au cinq sixièmes : sur la surface du moût remontent les levures, qui forment la flor, soit un voile. Le vin restera ainsi jusqu’à huit ans, protégé de l’oxydation par le voile. Chaque cave définit son style de vin, assemblant une partie des tonneaux de différentes années, selon un système appelé solera.
A l’opposé, l’oloroso ne connaît pas la fleur, mais une lente concentration par évaporation, dans des caves hautes et ventilées. Pour corser le tout, un fino qui perd la flor durant l’élevage donne un amontillado. Et l’on peut assembler de l’amontillado avec de l’oloroso, pour un vin bâtard, pourtant souvent plus complexe, le palo cortado. Tous ces vins développent des arômes de  noisettes, de noix, propres aux vins liquoreux, mais sont rigoureusement secs. L’ajout de raisins séchés (passerillés) de la variété pedro ximénès donne des vins plus doux.
Les Anglais ont popularisé une version douce du xérès, le cream. Et quelques vieux vins sont précieusement gardés en cave : ils prennent le nom de vins de sacristie. Secs ou doux, à 20 ou à 30 ans, ils ont droit, depuis l’an 2000, au sigle de VOS very old signatum ou VOAS very old rare signatum. On produit également à Jérèz du brandy, cognac local, velouté, et du vinaigre de Xérès AOC, aussi réputé que l’authentique aceto balsamico de Modène.

Article paru dans Hôtel + Tourismus Revue en juin 2004