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Posted on 8 septembre 2005 in Vins suisses

Valais — Provins fête ses 75 ans

Valais — Provins fête ses 75 ans

Provins-Valais fête ses 75 ans
La coopérative qui tire le Valais

«Quand Provins éternue, le Valais s’enrhume», disent les vignerons du Vieux-Pays. La réunion en coopératives des viticulteurs valaisans a marqué durablement l’essor de la vigne. Retour sur trois quarts où l’Histoire balbutie.
Par Pierre Thomas
Aux origines de Provins, la crise économique des années 1929-30. Le vin suisse n’échappe pas à la déconfiture. Pour quatre raisons, selon André Guex, auteur d’un ouvrage historique en 1980 : la diminution de la consommation, le succès des vins rouges, le rôle des sociétés d’abstinence et l’absence de mesures protectionnistes en faveur des vins suisses. Etrange retour en arrière ! Car, 75 ans plus tard, on déplore toujours une tendance de la consommation à la baisse. Même si le vin blanc suisse résiste plutôt bien, les consommateurs préfèrent le rouge. Les «sociétés d’abstinence» ont fait place au 0,5 pour mille : deux causes pour un même effet… Les barrières douanières, érigées peu à peu, se sont effacées. Mais les Suisses continuent à boire deux tiers de vins importés, comme en 1930, une constante historique qu’on oublie!
Le Valais propulsé en tête
Alors, qu’est qui a changé ? Le mouvement coopératif voulu par l’Etat, et son homme fort, Maurice Troillet (1880 – 1961), a fait passer le vignoble valaisan, alors trois fois plus petit que le vaudois ou le tessinois, au premier rang des cantons viticoles. Des chiffres: de 1900 à 1920, le vignoble suisse diminue de 30'000 à 18'000 hectares, gangrené par le phylloxéra. A l’inverse, le Valais se convertit à la vigne, qui augmente de 2'600 ha en 1900 à 5'200 ha aujourd’hui. Sur les 15'000 que compte la Suisse, le Vieux-Pays en cumule un peu plus d’un tiers. C’est la seule région du pays où la viticulture tient le premier rôle agricole.
Si, en 1944, des négociants sont prêts à acheter la totalité du vin à condition que Provins renonce à «faire de la bouteille», aujourd’hui, la coopérative est un acteur à part entière du circuit commercial. Provins vend 59% de ses 12 millions de flacons à la grande distribution, 27% au secteur horeca, 11% aux privés et 3% à l’export (un chiffre multiplié par quatre en trois ans). Son chiffre d’affaires se montait à 74 millions de francs l’an passé. Les trois quarts des vins sont vendus en Suisse alémanique.
Malgré le succès des vignerons-encaveurs, les cinq mille sociétaires livrent 23% de la production valaisanne. Et si les coopérateurs, en 1952, défendaient âprement le fendant, contre l’avis de leurs dirigeants, obligeant Provins à écouler 75% de blanc pour 25% de rouge, un demi-siècle plus tard, c’est l’inverse : 68% de rouge pour 32% de blanc.
«Respecter le consommateur»
Engagé par le visionnaire Jean-Marc Amez-Droz, Roland Vergères, directeur depuis trois ans, n’a qu’une crainte : «Qu’on ne respecte pas le consommateur, alors qu’on est en train de créer une image de nos produits et que nous avons progressé dans un marché baissier.» Un avertissement clair à ceux qui voudraient tricher. Avec la quantité livrée et avec la qualité, notamment des «spécialités valaisannes», soit 25% des bouteilles, mais plus de 35% du chiffre d’affaires. Ainsi, chez Provins, on défend l’idée de la «capsule congé» sur chaque bouteille mise en marché, pour garantir au consommateur la «traçabilité» du vin, de la vigne au verre. Car Provins s’est toujours battu pour la qualité, en imposant la vendange en cagette, la délimitation du vignoble en zones plus ou moins favorables, puis en pénalisant les kilos de raisins excédentaires (dès 1984, une révolution !) et en développant les «contrats de culture», avec un suivi qualitatif du raisin à la vigne. La coopérative propose aussi de louer des vignes que les propriétaires ne peuvent plus travailler : 22 métayers cultivent ainsi 2500 parcelles sur 160 ha.
Un pari colossal
Et la suite ? Après la mise en commun avec Orsat-Rouvinez, à Martigny, des installations d’embouteillage, après la réunion des sociétés coopératives en une seule entité, le directeur technique Gérald Carrupt rêve d’un site unique de vinification. «Nos caves, dispersées dans sept lieux de Sierre à Charrat, datent de l’époque où l’essentiel du vin se répartissait entre le fendant et la dôle. Nous devons adapter les caves à la vinification de deux tiers de rouge.» Les moyens modernes permettent de prendre en charge la vendange dans des lieux de réception, de la trier, de la transporter dans des «palox» sur le lieu de pressurage et de vinification. Deux sites sont en lice : Martigny et le bâtiment de la centrale de Sion. Le choix définitif devrait être annoncé sous peu, pour un chantier de plus de 20 millions de francs, à entamer en 2006. Une bonne manière de sceller 75 ans d’existence, en pariant sur l’avenir des vins valaisans!

Eclairage
Barriques, féminin pluriel

Elle le confesse : «Si on me l’a donné à moi, ce secteur, c’est qu’on n’y croyait pas». Madeleine Gay, 51 ans, est à la tête des «nouveaux vins» de la coopérative depuis vingt-cinq ans. Les Valaisans n’ont pas osé baptiser leur haut de gamme «maîtresse de chais»… Les flacons «Maître de Chais», des «vins sans concession», sont réservés aux œnothèques et aux restaurants. Au départ, cette signature attestait que le vin était élevé en barriques. Provins fut la première cave de Suisse à utiliser du fût neuf, pour un pinot noir, en 1973. Il y en avait alors quarante barriques. Aujourd’hui, la cave en loge vingt fois plus et devrait en aligner, bientôt, plus de deux mille. Mais ce qui compte, pour l’œnologue, ça n’est pas «le goût de chêne», dont la mode passe, mais «l’équilibre du vin». Il s’agit alors de mettre tous les moyens, de la vigne, par des contrats de culture pour une matière première irréprochable, jusqu’à la cave, où «l’élevage est modulé». Ces dernières années, les vins de Provins ont récolté la bagatelle de 223 médailles dans des concours internationaux et nationaux. Parmi les plus titrés, l’assemblage blanc «Vieilles Vignes». Le 1995 décrocha la première médaille d’or internationale, aux Vinalies de Paris 1997. Mais aussi des liquoreux, comme le «Grains de Malice». Et les assemblages rouges, tel ce «Clos Corbassières», dont le 2001 a raflé, ce printemps, une grande médaille d’or à Bruxelles, à Paris et à Ljubljana. Une forme de vin parfait : «On ne parle plus de cépage, plus de barrique, plus de millésime», rêve Madeleine Gay. (PT)

Paru dans Hôtel + Tourismus Revue en été 2005.