Assens (VD) — Le Moulin d’Assens
Noël devant la cheminée
On connaît l’aphorisme d’Anthelme Brillat-Savarin (1826) : «On devient cuisinier, mais on naît rôtisseur». Le Marseillais d’origine et frais quinquagénaire Alain Laval a donc renoué avec ses racines. Lui qui a passé près de vingt ans dans les cuisines de l’Hôtel-de-Ville d’Avenches a investi, à la fin de l’été, le Moulin d’Assens. Relais gastronomique perdu au bord du biennommé Talent, l’adresse a filé à la faillite. Il a fallu de gros et longs travaux pour redorer son blason souligné d’une enseigne lumineuse de «restaurant-rôtisserie». On peut même y loger (trois chambres d’hôtes)…
Pivot de la maison, la cheminée—grill, comme à l’Auberge de l’Onde à Saint-Saphorin, réouverte cet automne. Les Lausannois, à quelques kilomètres, ont de quoi se mettre au chaud l’hiver. La salle de ce moulin ressemble, avec ses poutres apparentes, ses murs blancs, à un grand chalet de montagne surtout si, comme le soir de notre passage, la clientèle avait troqué le veston contre le pull décontracté. Rien d’étonnant à cette ambiance: Alain Laval a aussi tenu un restaurant à Zermatt, avec cheminée, bien sûr…
Un menu à forfait
Le décor, cossu, avec ses épais rideaux aux couleurs provençales, est donc chaleureux, renforcé par la pièce maîtresse. C’est là que le chef tourne ses viandes… Si la carte est courte, on a le choix, avant le plat de résistance, entre plusieurs entrées. Aidé par une petite brigade de trois professionnels en cuisine (et autant en salle), le chef n’a rien perdu de ses tours de main. Rôti sur sa peau, le sandre s’est révélé moelleux. Présenté en deux rouelles entre lesquelles une gelée aux figues assurait un heureux contre-point, le foie gras exhalait des saveurs bien épicées. De même la nage de homard et Saint-Jacques, parfumée au safran. Seul le feuilleté aux champignons rappelait que la saison tirait à sa fin… Ces entrées s’échelonnent de 18 à 28 francs. Avec une grillade et un dessert, le tout vous sera facturé, le soir, au forfait de 75 francs, une formule qui a le mérite de la simplicité arithmétique.
Servis avec une garniture de qualité (spaetzli, châtaignes, courge au vinaigre originale), les viandes, lors de notre passage, fleuraient le retour de chasse: une bonne manière de juger de la justesse de la cuisson de viandes diverses. Une fois les morceaux rôtis à la cheminée, ils sont présentés aux convives, avant d’être tranchés. Arrivées sur la table, les côtelettes de sanglier nous ont paru avoir attendu un poil de trop, tandis que la selle de chevreuil était parfaite. Et le lièvre n’a pas fait faux-bond… Après ce solide repas, le «grand dessert», florilège pâtissier, ne s’imposait pas.
Midi sans cheminée
A midi, possibilité de manger à la carte, mais sans grillade, et menus d’affaire de 28 à 48 francs (assiette du jour à 25 fr.). Le Moulin d’Assens reprend les formules à thème, attractives à Avenches : ainsi, la bouillabaisse servie sur les rythmes de jazz du trompettiste Henri Christinat et ses acolytes, les 29 et 30 décembre. Très belle carte des vins, avec quelques flacons que la patronne, Daniela, originaire de la Forêt-Noire, extirpe de derrière les fagots. Service professionnel mais décontracté. Des fauteuils et canapés, à l’entrée, permettent à la salle d’échapper à la fumée… et aux téléphones portables. Si le réseau est aux abonnés absents, la réservation reste indispensable!
La bonne adresse
Le Moulin d’Assens
Fermé le mardi (et le 31 décembre au soir)
Tél. 021 882 29 50
Le vin qui va avec…
Distingué gewurz'
Le vigneron de Chexbres (VD) Jean-Michel Conne nous l’avait promis «formidable» et il l’est, son gewurztraminer de Lavaux 2004. Riche, gras, complexe, puissant, mais sans lourdeur : voilà un vin d’apéritif osé, mais parfait sur des entrées travaillées, comme le foie gras. Il n’y en a guère que sur mille mètres carrés, de jeunes vignes, replantées à La Tour-de-Peilz. Encore peu connu, le gewurztraminer plaît aux vignerons vaudois. En proportion de plantation depuis 1993, il a autant progressé que le gamaret, le garanoir et le merlot, soit de 200%. En surface, il représente un peu moins de 90'000 m2, contre 2'500 il y a douze ans. Le jury des Sept Ceps, à Bourg-en-Bresse, en novembre, ne s’y est pas trompé, en accordant un trophée d’or à ce vin. Certes, ce genre de concours a des limites : trop de dégustateurs (une centaine), trop de catégories (une vingtaine) pour 209 vins (seulement…) disparates de Savoie, du Jura français, de Suisse romande et de la vallée d’Aoste. Mais il n’a attribué que huit trophées d’or, qui sauvent l’honneur d’une démarche exagérément régionaliste.
Chronique parue dans Le Matin-Dimanche du 25 décembre 2005.