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Posted on 8 mai 2006 in Vins européens

Portugal — Les 250 ans du Douro

Portugal — Les 250 ans du Douro

Spectaculaire reconversion du vignoble
Le Portugal se réapproprie «son» vin
La reconversion du Portugal en pays producteur de grands vins rouges va bon train. Sans tirer un trait sur l’Histoire : la vallée du Douro s’apprête à fêter, en septembre, les 250 ans de la première appellation d’origine délimitée au monde www.250rdd.utad.pt. Reportage.
De retour du Portugal
Pierre Thomas
Le Portugal a tout pour plaire. Un climat influencé par les courants atlantiques, mais continental dans l’amplitude des températures dans la vallée du Douro (hiver froids et humides, été très chauds et secs), et méditerranéen plus au Sud, où poussent les chênes liège, dont le pays est le leader mondial. Une histoire où le vin a joué un rôle important dans les échanges commerciaux, dès le 14ème siècle, quand l’Angleterre importait du vin portugais au détriment du français, en contre-partie de l’achat de tissus, et permit ainsi au pays de résister aux voisins espagnols.
Visionnaire, Sébastiao José de Carvalho e Melo, fonde en septembre 1756 la Compagnie générale d’agriculture des vignobles du Haut-Douro. Le dictatorial marquis de Pombal, non content de fixer des règles strictes pour commercialiser le porto, délimite le vignoble. Avec le Chianti italien et le Tokay hongrois, le Douro partage cette antériorité de la sacralisation du terroir. Mais il fut la première région précisément délimitée, comme en témoignent des bornes de granit posées en 1761.
La renaissance du Douro
Aujourd’hui, le Portugal se réapproprie «son» vin. La chute de la dictature de Salazar le 25 avril 1974, puis l’entré dans l’Europe, ont ouvert de nouveaux horizons. Pour la présidence de l’Union assumée par le Portugal en septembre 2007, le ministre de l’agriculture Jaime Silva a d’ores déjà annoncé qu’il inviterait ses homologues dans le Douro… C’est une véritable renaissance qui marque désormais cette région. Inscrite au patrimoine mondial, elle a vécu dans la pauvreté et la servitude. Les viticulteurs se contentaient de produire du raisin, transformé en vin jeune muté à l’alcool, qu’ils envoyaient par bateau à Vila Nova de Gaia, rive gauche du fleuve à son embouchure dans l’Atlantique, à Porto. Tout le reste leur échappait : l’élevage, le commerce et la mise en valeur des vins.
Entre granit et inox
Aujourd’hui encore, le porto reste un des vins les plus fascinants qui soit. Et cela fait juste vingt ans qu’il est possible de l’élever dans la région de production et de l’exporter sans passer par Vila Nova de Gaia. Rozès, propriété du producteur (belge) de Champagne Paul-François Vranken (propriétaire de la Maison Pommery), fut le premier à s’établir à Peso de Regua.
Bien sûr, pour le folklore, le jeune directeur de la production, Luciano Madureira, fait visiter les «lagrares», ces bassins de granit où des vendangeurs, les «rogas», foulent le raisin au pied, jour et nuit. Les «vintage», les plus prestigieux parmi les portos, ont encore droit à ce traitement. Mais le gros de la production est élaboré dans des cuves mélangeuses rotatives — un équipement qui a fait florès en Valais, il y a dix ans ! Pièce par pièce, douve par douve, Rozès a déplacé de Vila Nova de Gaia à Peso de Regua tout une batterie de fûts, des énormes «balseiros» aux petites «pipas», nécessaires à l’assemblage et au vieillissement des portos. Ces installations, qui mêlent ancien et moderne, ont été inaugurées en février. Et, face aux «tanks» en inox, identiques à ceux d’Australie, du Chili ou de Californie, Luciano Madureira martèle : «Ce qui fait la différence, ce sont les cépages propres au Portugal. L’œnologue doit aller dans le vignoble. Nousreplantons dans nos domaines des cépages sélectionnés, pour faire des produits de haute qualité.» Et il est fier de faire déguster des vins secs et droits, qui doivent autant aux schistes des maigres terrasses du Douro, qu’aux cépages, «touriga nacional», «tinto cao» ou «tinta franca», et à l’élevage en barrique.
Déjà des vins culte
Car déjà, des vins cultes naissent dans cette région, dans le sillage du légendaire «Barca Velha». Tombé dans l’escarcelle du géant SOGRAPE («Mateus»), il est toujours fait selon les règles de l’art et longuement vieilli en fûts. Ainsi, le 1999 arrive actuellement sur le marché. Une partie des vignes qui servaient à ce vin légendaire donnent le remarquable «Quinta do Vale Meao». En 2003, année caniculaire au Douro aussi, le «touriga nacional», que certains considèrent comme «le plus grand cépage rouge mondial», exhale des arômes de pivoine exceptionnels, comme celui de «Quinta do Crasto», vraie bombe aromatique. «Pintas», «Quinta de Roriz Reserva» ou «Duas Quintas Reserva Especial» visent l’excellence. Comme «Chrysea», que Bruno Prats (ex Cos-d’Estournel), associé à la famille Symington (porto Taylor’s, Dow’s, etc.), présentait à Arvinis, à Morges, en voisin vaudois. Ou, d’une autre inspiration bordelaise, le «Xisto», qui associe la famille Roquette de «Quinta do Crasto» et Jean-Michel Cazes, du Château Lynch Bages, et le «Esteio», né de la collaboration entre les viticulteurs Lavradores de Feitoria et les frères Jacques et François Lurton. Des partenariats qui font évoluer les rouges portugais de l’anonymat national vers de grands vins internationaux, qui n’ont pas perdu leur âme. Et les blancs pourraient suivre…

Eclairage
Les Suisses, des clients sérieux
Les meilleurs vins portugais se vendent à partir de 45 – 50 francs la bouteille. Dans la statistique publiée par l’Institut des vins du Douro et du Porto, dont les appellations sont depuis peu réunies sous un même chapeau, la Suisse apparaît en bonne place, troisième importateur en valeur, derrière le Canada et les Etats-Unis, et septième en volume. Confirmation que les Suisses achètent peu, mais cher. Au chapitre des importations de vin en Suisse, le Portugal pointe au sixième rang, avec 4 millions de litres importés en 2005, en très légère progression, après un saut important entre 2003 et 2004. L’Italie (62 millions de litres), la France (54) et l’Espagne (34) sont loin devant. Le Portugal se situe derrière les Etats-Unis (7) et l’Australie (5), mais devant le Chili (3 millions de litres, en forte régression de 25%) et l’Afrique du Sud (3, moins 19%). Importés notamment, pour les meilleurs, par Gomes à Bâle, ou la Cave de Reverolle (VD) («Chrysea»), les vins portugais font une percée remarquée dans les supermarchés, ce printemps. (PT)

Article paru dans Hôtel+Tourismus Revue du 11 mai 2006.