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Posted on 27 février 2014 in Vins suisses

Assemblages rouges suisses Mono, bi ou multi, telle est la question !

Assemblages rouges suisses
Mono, bi ou multi, telle est la question !

La mode des assemblages a conquis la Suisse romande vinicole. Où débute un tel mariage, pour le meilleur, et non le pire ? Etude d’un cas pratique, avec la Cuvée 1858 de Charles Bonvin  Fils SA, à Sion.

Par Pierre Thomas

Bien qu’elle ait été acquise par la famille Rouvinez, en juin 2009, et qu’elle encave ses raisins chez Orsat à Martigny, la maison revendique d’être la plus ancienne du Valais. Elle a conservé ses propres domaines (24 hectares, augmentés en 2013 des vignes du Domaine de Diolly), son directeur, André Darbellay, et son œnologue Thierry Delalay, et un Bonvin, Christophe, ex-footballeur, directeur adjoint.

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La Cuvée 1858 est née pour marquer les 150 ans du négoce sédunois, en 2008, avec trois millésimes, 2003, 2004 et 2005. En février 2014, une verticale de dix millésimes a été présentée, au Beau-Rivage, à Lausanne, à des sommeliers et des journalistes. Elle était conduite par un médecin-oenologue français, Alain Raynaud (à droite ci-dessous), et par Jacques Perrin. Le premier, ancien président de l’Union des Grands Crus, copropriétaire d’un domaine à Saint-Emilion, est un des fondateurs du Cercle Rive Droite, à Bordeaux. Il est œnologue-expert pour quelque 200 domaines, et considéré comme un ami du gourou américain Robert Parker. Le second est le fondateur du CAVE SA, à Gland, un club de vente de vin par correspondance, qui fête ses 30 ans cette année, par une série de dégustations de prestige (dont plusieurs affichent déjà complet).

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Une règle arithmétique

La scène et les acteurs étant posés, au-delà de cette dégustation, la question des assemblages se pose. Où commence l’assemblage ? L’éventail est vaste: il peut s’agir d’un vin d’un seul cépage, mais dont les raisins ont été récoltés sur plusieurs parcelles aux caractéristiques différentes. Ou de plusieurs cépages, de deux à une dizaine. Et de plusieurs parcelles ou cépages, voire mélangeant les styles de vinification, par exemple. Une seule règle prévaut: la somme des qualités obtenue doit sublimer celles des vins de base pris individuellement. Du strict point de vue gustatif, c’est l’essentiel !

La Cuvée 1858 est un binôme, oscillant entre 50% à 80% de cornalin, complétés par la seule syrah, des raisins récoltés sur les domaines et donc contrôlés de A à Z par l’équipe viticole de la maison Bonvin. D’emblée, Alain Raynaud a pipé le jeu : arrivé l’automne passé, pour conseiller les cuvées de prestige des domaines Bonvin et Rouvinez, il a marqué son intérêt pour l’humagne rouge, un cépage qui, souvent, enthousiasme les dégustateurs français. De binôme, la cuvée pourrait passer au «ménage à trois», avec une part d’humagne, au détriment du cornalin. Celui-ci, comme la syrah, est vinifié séparément, dans des fûts neufs de 500 litres, puis les deux vins sont transférés dans des barriques neuves de 225 litres pour un élevage de 12 mois au moins. Disons-le tout net : le cornalin tire rarement profit du bois. Son élégance, sa finesse, son originalité aromatique, se diluent au contact du contenant. Le risque, c’est aussi d’accroître l’amertume finale du vin, sans ajouter de «bonus», sinon dans la jeunesse, quand les arômes torréfiés et vanillés du fût se manifestent, avant de se fondre…

Les assemblage suisses ? Un monde nouveau !

Le problème avec les assemblages suisses, au-delà de la dôle et du salvagnin, réside dans le manque de recul : une verticale de dix millésimes, c’est très peu… On est, dans ce registre, au niveau du Nouveau Monde, avec des vignes souvent jeunes — des syrahs certes de 30 ans, mais des cornalins de 15 ans. Les premiers millésimes de cette cuvée 1858 paraissaient en retrait par rapport aux plus récents. Sans compter la climatologie qui, par exemple, en 2012, a conduit à choisir, dans une année difficile, marquée par l’oidium, 50% de cornalin pour 50% de syrah.

La masse critique de tels vins (de trois à une douzaine de barriques) ne permet pas non plus, comme dans un château bordelais, de séparer le «grand vin» d’un vin moins qualitatif, selon les millésimes. Ni de choisir plus de deux tonneliers — alors que la qualité et la diversité du chêne sont essentiels…

Monocépage contre assemblage ?

Jacques Perrin travaille avec un ami d’enfance, Sierrois comme lui, le vigneron-encaveur Maurice Zufferey. Complices, ils vont sortir des assemblages originaux, à base de pinot noir, de cornalin et d’humagne, ou de l’humagne légérement «teintée» de cornalin. Au Grand Prix du Vin Suisse 2011, leur assemblage Orchis 2009 s’était paré du prix Vinissimo consacrant le meilleur vin rouge de Suisse. La cuvée était composée de 40% de merlot, de 30% de cornalin et de 15% de syrah et d’humagne. Quatre cépages donc… D’autres assemblages, comme L’Ardévine, de la cave de Michel Boven, ont exploré cette voie, rejoints plus récemment par des cuvées de prestige de Provins, de Rouvinez (Le Tourmentin, Cœur de Domaines), de Taramarcaz ou de Giroud.

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«En Suisse, constate Jacques Perrin, on est obnubilés par le cépage. On se situe à la croisée des chemins et je milite pour les assemblages. On peut faire plus grand, avec beaucoup de variétés au départ. Car le grand vin s’éloigne du cépage comme l’enfant de sa mère». «Ces vins permettent de concourir sur l’ensemble de la scène internationale», soutient Alain Raynaud. Avec un risque : que le goût du plus noble des cornalins se fonde dans la technologie la plus sophistiquée.

Et puis, qu’un Bordelais défende l’assemblage est une évidence, quand un Bourguignon soutiendra la pureté du chardonnay et du pinot noir sur les plus grands terroirs. Même débat en Italie, avec un Piémont monocépage — le nebbiolo des barolos et barbarescos — et une Toscane qui hésite entre les «supertoscans», dans la Maremma, contre le brunello di Montalcino, condamné par un scandale à retrouver sa pureré originelle, celle du sangiovese grosso. C’est sûr, la dispute n’est pas close. Et elle va au-delà de la querelle entre anciens et modernes!

Paru dans Hôtellerie & Gastronomie Hebdo, le 27 février 2014.