Bordeaux tient à sa réputation
Bordeaux tient son rang
Région emblématique, Bordeaux a souffert de surproduction et de mévente. Elle veut désormais offrir des vins de qualité à prix abordables. Vérification.
Notre dégustation s’est basée sur la liste des «80 bordeaux abordables», déjà triés par un jury alémanique, à Zurich, en février (www.80bordeaux.ch). Deux handicaps à ce «palmarès» : le jury ne révèle ni ses notes, ni la petite centaine des vins non retenus. Par cette opération, la Suisse rejoint la promotion orchestrée par le Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB) et la Sopexa, l’organisme du soutien des produits français à l’exportation. Sur les 12 vins achetés en grandes surfaces et que nous avons dégustés, seuls deux ne figurent pas parmi les «bordeaux abordables» et ne se sont guère distingués.
Une moitié bien classée
En revanche, rarement dans une de nos dégustations, des notes aussi élevées (de 14 à 16) ont été attribuées à autant de vins. Le gagnant est un cru bourgeois connu, le plus cher aussi de notre «panier» : sur 36 hectares, Jean Chaufreau produit son Château Fonréaud, à base de 53% de cabernet sauvignon, de 43% de merlot et de 4% de petit verdot. Même dans un millésime délicat comme 2002, il réussit un joli vin, bien typé du Médoc. Cette région représente un petit tiers des bordeaux importés en Suisse, contre 45% de bordeaux et bordeaux supérieur. A cette dernière catégorie appartient notre dauphin, la cuvée prestige du Château Seguin (cabernet sauvignon, merlot, cabernet franc) du caniculaire millésime 2003.
Deux vins «déçoivent en bien»: à moins de 10 francs, les châteaux Coucheroy et Bonnet, le premier en 2003, le second en 2002, répondent au «bon rapport qualité-prix» qu’encourage le tout neuf président du CIVB, Alain Vironneau (lire l’encadré). Ce prix s’explique par les longues relations d’affaires entretenues par Denner et André Lurton, patriarche aux idées claires, figure charismatique de Bordeaux. Coucheroy 2003, moitié cabernet, moitié merlot, s’avère logiquement plus charmeur, voire méridional — il a parfaitement escorté une pizza après la dégustation ! — que le Bonnet 2002, qui ne transige pas avec le classicisme un rien austère d’un millésime ingrat. Entredeux, un Cadet-Boisrond 2004, un saint-émilion (entre 10 et 14% des importations suisses), à dominante merlot (70%) comme il se doit rive droite, bien fait en 2004 par le négociant Cordier, un opérateur important de la place bordelaise.
Une offre pléthorique
En queue de classement, il n’y a guère de mauvaises surprises. Tout au plus la présence de la marque Mouton-Cadet (retenue par les «bordeaux abordables») et de deux «crus bourgeois» (non retenus). Revu en 2003, le classement des bourgeois, les meilleurs hors du classement des grands crus qui date, lui, de 1855 (!), a été contesté, non pas par les 250 vins élus, mais par près de 80 propriétaires laissés sur le carreau et qui veulent conserver leur titre. Le 27 février 2007, la cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé ce classement, au motif de partialité du jury, avec pour effet un «préjudice commercial» pour les déclassés. Saint-Emilion et les Graves disposent aussi de leur propre hiérarchie. Si le consommateur ne s’y retrouve pas forcément, le revendeur n’a aucune excuse à ne pas choisir un vin satisfaisant, en fonction du prix, dans une si vaste offre.
Même si la part d’importation des vins français en Suisse s’érode (au profit de l’Italie et de l’Espagne), les Bordelais affirment avoir inversé la tendance en 2006. La Suisse figure parmi les six premiers acheteurs de bordeaux, selon la valeur, et au septième rang, en volume, dans une course menée par l’Angleterre, les Etats-Unis, la Belgique, l’Allemagne, le Japon et, en volume, par la Hollande, acheteur historique à Bordeaux.
Pierre Thomas
Eclairage
Un pilote dans l’Airbus bordelais
Ce serait faire injure à Alain Vironneau, président du CIVB depuis l’été 2006, que d’affirmer qu’il n’y a pas de pilote dans l'appellation Bordeaux. Car ce propriétaire de deux châteaux en Côtes-de-Bourg et Fronsac est un ex-pilote de l’armée de l’air française, reconverti dans la vigne. Ces dernières années, Bordeaux a frappé les esprits par la crise cyclique de son vignoble. En vingt ans, il a perdu la moitié de ses surfaces en cépages blancs, tandis que les appellations d’origine contrôlée (57 AOC pour 123'000 hectares) progressaient en rouge. Ce vignoble, huit fois plus vaste que celui de la Suisse, a produit entre 6,8 millions d’hectolitres en 2000 et 5,5 en 2003 (5,9 en 2005). Selon le président du CIVB, l’équilibre est à 5,5 millions d’hectos : «On baisse les rendements pour n’avoir à vendre que ce qu’on produit». Et la qualité ? «Cette course aux bas rendements est une course pour être meilleurs ! Les bordeaux n’ont jamais été aussi bons. Nous misons sur la qualité du produit en rapport avec son prix. Ainsi, Bordeaux peut se positionner sur tous les marchés.» Bordeaux, comme le reste de la France, vient aussi de lancer des «vins de pays». «Ils ne représentent que 26'000 hl en 2005. Les gens veulent des AOC (appellations d’origine contrôlée)», assure Alain Vironneau.
La dégustation du jury de «Tout Compte Fait»
1) Château Fonréaud 2002, ex-Cru Bourgeois, Listrac-Médoc, Coop, 19,90 fr., 16/20
2) Château Seguin 2003, Cuvée Prestige, Bordeaux supérieur, Manor, 15,95 fr., 15,5/20
3) Château Coucheroy 2003, Pessac-Léognan, Denner, 10,95 fr., 15/20
4) Château Cadet-Boisrond 2004, Saint-Emilion GC, Denner, 14,95 fr, 14,3/20
5) Château Bonnet 2002, Réserve, Bordeaux, Denner, 9,95 fr., 14/20
6) Château Pierrail 2003, Bordeaux Supérieur, Globus, 16,80 fr., 14/20
7) Château David 2004, ex-Cru Bourgeois, Médoc, Aligro, 12 fr., 12,5/20
8) Château Bardis 2004, ex-CB, Haut-Médoc, Hyper Casino, 15,90 fr., 11,8/20
9) Château Cardaillan 2003, Graves, Coop, 12,90 fr., 11,5/20
10) Château La Guillaumette 2003, Prestige, Bordeaux, Manor, 12,95 fr., 11,5/20
11) Château Laffitte-Laujac 2004, Médoc, Coop, 15,50 fr., 10,8/20
12) Mouton-Cadet 2004, Bordeaux, Aligro, 14,30 fr., 10,3/20
(vins achetés en supermarchés de Suisse romande, en février 2007)