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Posted on 21 mai 2007 in Vins italiens

Le Piémont, B & B (Barbera, Barolo, Bed & Breakfest)

Le Piémont, B & B (Barbera, Barolo, Bed & Breakfest)

Vins, gîte et couvert
Le Piémont, version B & B

L’un est simple, l’autre un grand classique. Les deux vins piémontais que sont la Barbera et le Barolo (B & B donc) se disputent les rayons des supermarchés suisses. Verdict d’une dégustation pour le magazine de consommationromand Tout Compte Fait (édition de mai 2007).

Cette dégustation, on l’a partagée en deux (lire le palmarès ci-dessous). D’abord six Barberas, puis six Barolos. Ce sont les extrêmes du vignoble du Piémont. La Barbera (généralement au féminin, en italien comme en français) occupe les collines du Monferrato, et les environs des villes d’Alessandria et d’Asti. Plus à l’ouest, dans les Langhe, la région d’Alba, ce cépage est planté là où le Nebbiolo ne convient pas. Pour simplifier, la Barbera est un vin de cépage, accessoirement de terroir, sanctionné par des DOC (dénomination d’origine contrôlée). Le Barolo, lui, est non seulement une DOC (depuis 1966), mais de surcroît une DOCG (dénomination d’origine contrôlée et garantie, depuis 1980), toujours issu de pur Nebbiolo, comme son «concurrent» le Barbaresco.
Deux Barberas reconnues
Les meilleures Barberas se vendent aux prix du bas de gamme des Barolos. Notre jury, formé de cinq sommeliers et experts, a dégusté ces vins à l’aveugle. Précision utile quand on sait que les deux Barberas arrivées en tête sont gratifiées de deux verres (sur trois) dans le guide «Vini d’Italia 2007», vingtième édition du Gambero Rosso, la référence en matière de vins italiens. Le premier, «La luna et i falô» («La lune et les feux»), porte le titre du testament nostalgique du grand écrivain Cesare Pavese, né en 1908 dans le vignoble, à San Stefano Belbo, mort par suicide à Turin en 1950. Ce vin, tiré à 320'000 bouteilles, est aussi un ambitieux projet vitivinicole qui mobilise une petite partie des 4'000 hectares (davantage que le vignoble vaudois !) de la coopérative Terre di Vino. Celle-ci a mis les moyens, dès la vigne, pour faire un «superbarbera», à la fin des années 1990. Dauphine, une cuvée d’un autre géant, Fontanafredda, qui écoule chaque année plusieurs millions de bouteilles.
Derrière, les 2005 ne déméritent pas, tandis que le classique Fontanafredda n’émeut guère et que le seul 2001 s’est révélé décevant. Il faut dire que Barbera et Nebbiolo sont loin d’être des cépages faciles, tant à travailler, à la vigne qu’en cave, qu’à déguster…
Le nebbiolo, cépage difficile

Le nom de nebbiolo évoque le brouillard dans lequel les collines se drapent au printemps et en automne. Ce climat rend difficile la viticulture : au départ, mauvais développement à la vigne et à l’arrivée, des conditions de vendanges aléatoires, selon la météo. Issus d’un cépage cité en 1303 déjà — «puro vino nebiolio» (sic) —, le Barolo partage avec son voisin le Barbaresco la réputation d’être un des plus grands vins d’Italie. Depuis près d’un siècle, on y a défini des crus, ou plutôt des «climats» comme en Bourgogne. Par sa difficulté, par sa couleur, pâle, et par son potentiel de garde, le Nebbiolo rappelle, du reste, le pinot noir.
Le jury de TCF a bien aimé trois vins. Le premier, dans le style opulent du millésime de la canicule (2003), marque le retour d’une maison historique du Piémont, Bersano à Nizza Monferrato, réputée notamment pour ses… Barberas. Le deuxième, de Fontanafredda, qui appartint à l’épouse du roi Victor Emmanuel II de Savoie, avant de tomber dans le bas de laine d’une banque toscane, est étonnant de fraîcheur pour un 2000, certes inférieur, au Piémont et en Toscane, à 2001. Quant au troisième, il remporte l’oscar du rapport qualité-prix (moins de 16 fr.). Plus simple, moins puissant que les deux premiers, il est aussi le plus typé Nebbiolo, avec des tanins fondus, alors que pour les plus grands Barolos, il faut avoir la patience d’attendre. Les meilleurs peuvent s’épanouir sur quarante ans, et les prix ont explosé depuis les 1985, 88, 89, 90, 96 et 99. Aujourd’hui, les grands Barolos de ces millésimes d’anthologie valent plus de 100 francs suisses le flacon.
Eclairage
Une Barbera au parfum de scandale

On ne voyait plus guère de Barbera dans les rayons des supermarchés. Mais les vins rouges italiens ont la cote. Les Suisse en ont bu 46 millions de litres en 2006, contre 38 mios de rouges français, 28 mios de rouges espagnols et 51 mios de litres de rouges suisses, légèrement devant les blancs, pour la première fois de toute l’Histoire!
La Barbera a mis vingt ans pour revenir d’un scandale de vins frelatés qui vida les caves dans la rivière Tanaro colorée en rouge en une nuit, selon un témoin de l’époque… Depuis trois ans, la Barbera a même son concours international, sponsorisé par la Région Piémont, à Alessandria, en novembre. Ce cépage occupe un tiers du vignoble piémontais, vaste comme la Suisse (15'000 hectares). Deux Barberas d’Asti Superiore ont remporté le titre de champion: le «Tre Roveri» 2003 du domaine Pico Maccario à Mombaruzzo, en 2005 et le «Païon» 2004 de la Tenuta La Fiammenga, à Cioccaro, en 2006. Pour Donato Lanati, œnologue-vedette piémontais (www.enosis.it), la Barbera produit «des vins très divers : tout dépend de la qualité du raisin au départ.» Ces dernières années, la région, en cartographiant ses terroirs et en étudiant plusieurs clones, a fait un gros effort. Payant!

Barberas et Barolos: le palmarès
Barberas

La luna et i falò
, Barbera d’Asti Superiore 2004, Terre da Vino, Coop, 14,90 fr., 15.2/20
Raimonda, Barbera d’Alba 2004, Fontanafredda, Aligro, 10,60 fr., 14/20
Barbera d’Alba 2005, Cascina Riveri, Denner, 6,95 fr., 12.8/20
Barbera d’Alba 2005, Tenuta Cappallotto, Coop, 11,90 fr., 12.5/20
Barbera d’Alba 2004, Fontanafredda, Carrefour, 14,90 fr., 11.8/20
Barbera d’Asti Superiore Caplot 2001, Manor, 16,95 fr., 11.8/20
Barolos

Barolo 2003, Bersano, Aligro, 26,80 fr., 16.5/20
Barolo 2000, Fontanafredda, Carrefour, 29,90 fr., 16.2/20
Barolo 2003, Borgo dei Laneri, Denner, 15,95 fr., 14.5/20
Barolo 2003, Quasso, Selectvini, Coop, 16,90 fr., 13.5/20
Barolo 2002, Manfredi, Denner, 14,95 fr., 13,2/20
Barolo 2003, Tenuta Cappallotto, Coop, 21,50 fr., 11.8/20

Carnet de route
Le Piémont de long en large
A un peu plus de trois heures de route de la Suisse romande (par le tunnel du Grand-Saint-Bernard et la Vallée d'Aoste), le Piémont vaut la visite. Plutôt que d’aller s’enferrer dans la «circonvolazione» (autoroute péiphérique) de Turin, mieux vaut bifurquer à Ivrea, en direction de Santhia. Sortir de l'autoroute à Vercelli-ouest et pointer tout droit dans le sud. A peine le Pô franchi, les premiers virages mènent de colline en colline au gré de l’inspiration. En voiture ou à vélo…
Ici ou là, les agritourismes (sorte de «bed and breakfest» — on retrouve le B & B ! — ont fleuri depuis quelques années. Producteurs de vins et agriculteurs, Franco et Cristina Carossa offrent (50 euros la nuit pour deux) le gîte et le couvert (sur réservation ou le week-end) à Albugnano, qui possède son propre cru, classé DOC. Les cinq chambres, sur la salle à manger, sont toute neuves. Et comme le dit la carte de visite «Si consiglia la prenotazione» : www.letrecolline.com. Tél. 0039 011 992 20 38.
La Freisa à l'honneur

Il y a peu de bonne table alentour. Pour varier l’ordinaire, aller, trois collines plus loin, à Moncucco Torinese. On est encore dans la province d’Asti mais au loin se découpe la coupole de la basilique de Superga, qui surplombe Turin, plongée dans un éternel smog. La Trattoria del Freisa est tout à la gloire de ce cépage méconnu du Monferrato, qui peut être d’Asti ou de Chieri. Au rez, dans un décor peint d’un petit palais du 18ème siècle, on sert un menu dégustation d’antipasti succulents, suivis de primi, de secondi et de dolce. Mais on n’est pas obligé de commander cette suite de plats conçus au plus près du terroir… Au sous-sol, une cave à vin qui justifie le titre de la Bottega del Vino, comme dans les principales localités du Piémont. Cette oenothèque propose les vins des vignerons de la région, à table ou à l’emporter — bien pratique quand on ne veut pas acheter plus de trois bouteilles d’un même propriétaire et varier les plaisirs, par exemple avec la rare Malvasia di Castelnuovo don Bosco, un rouge doux. www.trattoriadelfreisa.it, tél. 0039 011 98 74 765.
Chambre(s) avec vue
Et puis, on rêve, en balançant le volant un peu plus bas, entre Asti et Alba, par la rive sud du Tanarao, d’un havre de paix face aux collines… Un portail au bord de la route, juste avant la bifurcation de Barbaresco et de Tre Stelle, en venant de Neive. La maison est une ferme restructurée il y a trois ans. Les jeunes patrons, trentenaires, sont des enfants d’agriculteurs et de viticulteurs de la région. Ils ont pu acheter la bâtisse, presque en ruine, aux héritiers d’un comte — coincidence: l'histoire est identique au Tre Colline! — et de sa compagne, d’où le nom qui tintinnabule à l’oreille de Carlin Carlota, www.carlincarlota.it, tél. 0039 0173 36 90 51. C’est d’abord un agritourisme, mais un «agriturismo con camere» — cinq chambres (65 euros pour deux), répartis dans ce qui fut la grange avec ses arceaux typiques. La restauration a été menée avec goût, les matériaux choisis avec soin, le confort est moderne, même s’il n’y a pas de piscine… Au rez, donnant sur une belle terrasse couverte — il fait chaud, l’été dans les Langhe ! — embrasse un amphithéâtre de vignes.
La tour de Barbaresco pointe à l’horizon, juste devant le feston des châteaux qui coiffe chaque colline de la rive gauche du Tanaro. Tous les produits de la ferme son maison, du yoghourt au gorgonzola, en passant par la délicieuse «crescensa», fromage frais et crémeux, et la «tuma» d’Alba, fromage de chèvre. Roberta et sa maman sont en cuisine et apprêtent la «bagna cauda» (poivron jaune, huile d’olive, ail, anchois, servis tièdes, en version classique piémontais ou en variante de miettes de noisettes grillées sur poivron rouge), le lapin au Barbaresco (exquis, mitonné et confit), les raviolis «al plin» (minuscules, repliés à la main) et le «bunet» (flan chocolat-noisettes), le tout servi avec des vins des frères, le domaine Luigi Voghera, 22 hectares et une cave juste en-dessous. Des vins servis à table à des prix quasiment de sortie de cave…
Alba, son marché, ses vins…

Alba et son marché, le samedi matin jusqu’à 13 heures tapantes, est à 8 km, Treiso et son restaurant gastronomique, à côté de l'église, La Ciau del Tornavento, tél. 0039 0173 63 83 52, à 4 km et Barbaresco, ses caves et ses oenothèques (le tout neuf «wine bar» Arsivolì, à l’entrée du bourg) à 2 km. Cette dernière adresse, dans un décor hyperbranché, vend des produits du terroir, des livres (dont les excellents de Slow Food Editore, par exemple le tout récent et indispensable «Barolo e Barbaresco, Le Langhe dei grandi vini») avec des itinéraires à pied et à vélo et de bonnes adresses), des vins (d’Angelo Gaja, Barbaresco générique 2003 à 120 euros la bouteille, millésimes historiques de la fin des années 90 et de cru, près de 300 euros!) et des amuse-bouche accompagnés de vins prestigieux au choix heureusement plus large et moins dispendieux… Bonne route !
©Pierre Thomas, 21 mai 2007
PS
Au retour, juste avant le tunnel ou le col du Grand-Saint-Bernard, versant italien, arrêtez-vous à l’Hôtel du Mont Velan, repris depuis l’automne dernier par le tandem de l’Hôtel Suisse à Saint-Rhémy. www.montvelan.it, tél. 0039 0165 78 524