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Posted on 31 octobre 2021 in Tendance

«111 vins suisses à ne pas manquer», le «making off»

«111 vins suisses à ne pas manquer», le «making off»

Texte paru sur le site les 5 du vins…le 30 octobre 2021.

Le 31.10, il était épuisé sur Amazon.fr, mais sur Fnac.ch, il était proposé avec un rabais de 10%.

Mon livre devait sortir le 21 octobre : Amazon, la Fnac et d’autres sites l’annonçaient à cette date depuis plusieurs mois. On est le 27 et je ne l’ai toujours pas vu : un gros paquet attend devant ma porte de bureau, alors que je suis dans le train qui me ramène de Zurich et d’une série de dégustation du millésime 2011 des vins suisses, les Swiss Wine Vintage Awards.

J’ai hâte de le «toucher» et j’avoue avoir une sorte de «babyblues»… Arrivé, je suis rassuré : il fait très bonne impression (!), avec ses 500 grammes répartis en 250 pages.

Publier un livre n’est pas donné à tout le monde. Je le signale à dessein : à moins de s’auto-éditer, chose certes aisée aujourd’hui, il faut trouver un éditeur. Ou répondre à une sollicitation… Ce que j’ai fait un jour de l’automne 2020. Par téléphone, une jeune femme me proposait d’écrire un livre : «111 vins suisses à ne pas manquer», pour une collection des éditions emons:, à Cologne (Allemagne). Même si je suis un amateur assidu de guides en tous genres (touristiques, de restaurants, de vins… et que j’en ai rédigé certains), je ne connaissais pas cette collection, forte de 400 titres. Comme exemple à suivre, j’ai reçu un livre, en allemand, sur les «111 Weine aus Oesterreich die man getrunken haben muss», une injonction plus directe qu’en français, puisque c’est une incitation à boire les vins conseillés (et ce sera aussi le titre de la version allemande des vins suisses, annoncée pour fin novembre). L’une des deux autrices, Luzia Schrampf, est une journaliste viennoise que je croise souvent dans mes voyages en Italie. Elle m’a donné de précieux conseils, que j’ai essayé d’appliquer.

Question préalable : pourquoi ce chiffre, 111 ? La réponse n’est pas mathématique, mais historique : l’éditeur l’a choisi en fonction de la date du Carnaval de Cologne, qui s’ouvre le 1er novembre de chaque année.

Un choix cornélien

Avec un peu moins de 15’000 ha, soit trois fois moins que l’Autriche, et autant que la seule Alsace, le vignoble suisse, me semblait-il, pouvait être largement couvert par 111 illustrations de sa diversité. J’ai donc pris une feuille de papier vierge et aligné les cépages (plus de 250 sont répertoriés par l’Office fédéral de l’agriculture…), les régions (on fait du vin dans pratiquement tous les 26 cantons et demi-cantons), les noms de tel ou tel vigneron. Rapidement, j’ai sorti 150 références qui me paraissaient toutes incontournables. Il a donc fallu réduire la sélection, sachant qu’il existe au bas mot 1’500 caves ou domaines, deux ou trois hectares suffisant pour vivre de la vigne, en Suisse. Je me suis tenu à une vision cartésienne du vignoble. En fonction du nombre d’hectares, j’ai affiné ma sélection, plus large dans le principal canton viticole, le Valais (33 vins), puis le deuxième, Vaud (22 vins – par un curieux hasard, deux multiples de 11 !), puis 13 dans la région des Trois-Lacs, 10 à Genève, 10 au Tessin et 23 en Suisse alémanique.

Pour 111 vins, je cite plus de 50 cépages, le pinot noir, le chasselas et le merlot (qui vient de détrôner le gamay), les trois cépages les plus répandus, ayant droit à plusieurs entrées. Et à chaque fois que je me disais «mais je devrai plutôt prendre celle-ci ou celui-ci»… je me demandais qui éliminer. Finalement, je m’en suis tenu à ma première liste.

Le COVID, ai-je cru, n’allait pas m’aider. En trente ans de journalisme viticole, après un guide de 170 vignerons de Suisse romande (80% des vins suisses produits en région francophone), en 1998, puis un album admirablement illustré par Régis Colombo, «Vignobles suisses», en 2003, j’ai arpenté toutes les régions, millésime après millésime… En hiver 2020-21, les vignerons ne pouvaient pas recevoir, ou du moins pas faire goûter toute leur gamme.

Quand la photo est bonne…

Voilà qui tombait bien : je ne devais sélectionner qu’un seul vin pour illustrer à la fois le domaine et mon propos. Et la bouteille choisie devait être photographié par Tobias Fassbinder, un œil et un objectif pro qui a son studio en Allemagne, puis publié pleine page (le texte à gauche, la photo à droite). Le plus simple eût été de centraliser les bouteilles en Suisse et de faire venir le photographe à Bâle, par exemple, pour le «shooting». Mais l’éditeur préférait que les bouteilles soit envoyées chez lui… Et c’est là que j’ai pu mesurer les réticences des vignerons suisses à sortir de leur coquille. On sait que moins de 1% des vins suisses sont exportés — selon les derniers chiffres, 300’000 litres par an à tout casser. Pour les découvrir et les apprécier, il faut donc venir sur place — d’où l’intérêt d’un guide, précisément ! Expérience faite, il est plus facile d’envoyer une palette que deux flacons en Allemagne. Des papiers douaniers mal remplis et des bouteilles «égarées», d’autres qui ont été cassées par le transporteur, d’autres qui ne sont jamais arrivées et même certaines qui n’auraient pas été récupérées et ont été renvoyées à l’expéditeur… à ses frais : une galerie de déboires en tout genre qui m’ont même obligé à amener 24 bouteilles en voiture à Luxembourg, où avait lieu le concours Mondial de Bruxelles (initialement prévu en Chine), pour les remettre en main propre à mon éditrice. Un seul producteur s’est fâché et j’ai dû le remplacer, puisqu’il rechignait à fournir la bouteille à photographier et ne proposait qu’un cliché de mauvaise qualité. Bref, l’illustration a posé son lot de problèmes.

Une nouvelle génération plus verte

Pour les textes, je vous laisse juge… J’ai essayé de mettre en avant la jeune génération — j’avais bien connu, il y a trente ans, leurs parents, qui ont mon âge —, de nombreuses femmes — elles se comptaient sur les doigts d’une main en 1990 —, de petits vignerons — plutôt que des négociants ou des coopératives —, des enthousiastes qui pratiquent le bio — la Suisse a sa propre législation, différente de celle de l’Union européenne, à laquelle elle n’appartient pas, faut-il le rappeler —, des cépages parfois traditionnels ou alors exotiques — comme ce riesling du Haut-Valais! Une grande variété pour un panorama très contrasté, vivant, de toute la viticulture helvétique, aux pratiques très libérales.

Et je me suis rendu en Suisse alémanique, au moment où les hôtels rouvraient, dans les Grisons, sous une neige tardive, et, enfin, au Tessin, pour rencontrer les vigneron(ne)s portraituré(e)s à travers un de leurs vins. Au final, j’évoque plus de 365 vins : je ne les ai pas comptés. Un vin suisse par jour? Quelle riche idée ! C’est un livre que j’avais vu, réalisé par un sommelier espagnol, et qui m’aurait à vrai dire davantage convenu que ces «111 vins» pour lesquels je me suis créé plus du double de mécontents, tous ceux que je connais et qui ne me pardonneront pas de n’avoir pas parlé d’eux…

Ainsi va la vie, faite de choix ! Je vous recommande sincèrement toutes celles et ceux que j’ai cité(e)s. La rencontre la plus improbable ? J’avais envoyé un mail, en allemand, à la cave du couvent d’Einsiedeln, dans les Préalpes schwytzoises, en Suisse centrale. Pas de réponse… et c’était le dernier texte à remettre, le temps pressait. Arrive un courriel dans un français impeccable : l’œnologue, que j’avais rencontré un an plus tôt sur place, lors d’une tournée de la Mémoire des vins suisses , venait en vacances quelques jours, avec sa famille, à… Lausanne. Il allait m’amener une bouteille du vin choisi, un rarissime Elbling blanc. Nous nous sommes retrouvés dans ma cuisine, à déguster un Blaufränkisch saint-gallois, en respectant la «distanciation sociale», seyant au fichu virus.

A vous, désormais, de découvrir «mon choix» de vins suisses. Bonne lecture !

«111 vins suisses à ne pas manquer», emons :, 250 pages, 16,95 euros, ISBN 978-3-7408-1291-1