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Posted on 10 janvier 2005 in Tendance

Les Belges débarquent en Suisse

Les Belges débarquent en Suisse

Les Belges débarquent en Suisse
Si Swiss Wine Communication a choisi la Belgique comme seul marché privilégié d’exportation, avec l’Allemagne, et ouvert un bar à vins (suisses) au centre de Bruxelles, les Belges débarquent dans notre pays et proposent des assortiments originaux de vins du Nouveau Monde.
Par Pierre Thomas
Coincé entre la défense des intérêts des vins indigènes et le «trend» du «zapping» des consommateurs pour les vins étrangers, le négoce helvétique paraît souvent les fesses entre deux chaises. Les Belges, producteurs sur quelques hectares, n’ont pas cette gêne. Au cœur de l’Union, ouverts tant sur l’Angleterre que sur l’Europe du Nord et l’Allemagne, favorisés par le port d’Anvers, passage obligé depuis des siècles des grands vins de Porto, de Bordeaux, puis du Nouveau Monde, ils s’attaquent au marché communautaire sans a priori.
Paradoxalement, le marché belge (21 litres de vin par habitant, soit la moitié de la consommation en Suisse) reste très conservateur. Malgré leur recul de 10% en dix ans, les vins français demeurent largement en tête, avec 73% du marché. Le Nouveau Monde a doublé sa part, passant de 5 à 10% en dix ans. Mais l’Italie et l’Espagne, bien placés en Suisse, sont loin derrière.
«Small is beautiful»
«Gusto World» a été lancé par de jeunes pros, dont Christophe Heynen, 30 ans, diplômé de l’Ecole hôtelière de Lausanne (EHL). Fils d’un cadre belge de l’industrie pharmaceutique, aujourd’hui retraité à Zoug, il s’est familiarisé avec les vins du monde entier, grâce à un diplôme en marketing de l’Organisation de la vigne et du vin (OIV). Son idée, et celle de son équipe de trois œnologues basés près de Maastricht, est de sélectionner à la propriété des vins originaux, hors des grands domaines. «On goûte cent échantillons pour en sélectionner un seul», dit-il. La société signe des contrats avec les producteurs, quitte à sauter un millésime «comme 2003 en Nouvelle-Zélande, où la grêle et la pluie n’ont pas permis d’élaborer de bons vins». En général, les producteurs préfèrent des agents fidèles à des acheteurs occasionnels: «C’est une difficulté, mais en travaillant avec des petits producteurs, on met l’accent sur l’image et non sur le volume.»
L’offre ne suit pas la demande
A l’autre bout de la chaîne, des «grandes tables». En engageant un jeune restaurateur lausannois, Jacques Ballois, la société belge veut démarcher ce même créneau en Suisse. «A part le fait que vous produisez des vins, les conditions sont semblables à la Belgique», remarque Christophe Heynen. «La restauration manque de dynamisme dans la diversité des vins proposés et il y a un clivage, dans les habitudes de consommation, entre la Suisse alémanique et romande. La demande du consommateur pour des vins originaux du Nouveau Monde est plus grande que l’offre de la restauration. Plutôt que de fournir des cuvées prestigieuses de marques connues, nous allons chercher nos produits chez de petits vignerons qui élaborent des vins moins techniques, moins standardisés, différents d’un millésime à l’autre», expliquait le jeune «manager» lors d’une dégustation de lancement à l’EHL.
Des vins ciblés jeunes
Cette démarche est aussi celle de «Master winemakers», un groupe de sociétés lancées par Mark Schiettekat à partir de Bruxelles. Mais plutôt que d’acheter des vins, la société les élabore sur place, aux quatre coins du monde, par le biais d’une équipe de vingt-huit œnologues, placés sous la direction d’un Languedocien, Jean-Marc Lafage, et d’un Italien, Georgio Flessati. Quatre centres conditionnent les vins et les distribuent depuis le Languedoc, la Bourgogne, la Moldavie (où un domaine de 700 hectares est cultivé en bio, certifié par un label… suisse !) et le Chili. Le but est de proposer des vins à 2,5 euros (3,75 CHF) à la grande distribution, «de beaux vins à prix raisonnable et bien emballés».
Pour chaque acheteur, «Master winemakers» réalise des cuvées en fonction de la «cible». Premiers visés, les jeunes. «Ils ne boivent plus assez de vin. Le consommateur vieillit sans cesse. Il faut donc élaborer des bouteilles ludiques pour amener de nouveaux clients au vin.» Exemple : «Scusi», un rouge et un blanc italiens à l’étiquette provocante par le nom («Excusez !») et l’étiquette très BD (bande dessinée).

Eclairage
Mondialisation en technicolor
Pour Christophe Heynen, la mondialisation du vin est «une évolution inévitable que ni les producteurs européens, ni les médias ne peuvent contrôler. Les jeunes consommateurs, sur qui repose l’avenir du vin, veulent plus de diversité et appliquent le principe «à qualité égale, prix égal». C’est plus qu’une mode, c’est une tendance à long terme !».
Remarqué au Festival de Cannes, un film, actuellement sur les écrans suisses, brosse le tableau de ces enjeux: «Mondovino», de Jonathan Nossiter. En deux heures de reportages, il décrit les états d’âme d’une vieille garde européenne face aux nouveaux maîtres du monde, incarnés par les Mondavi, avec la complicité des «faiseurs» de vins (l’œnologue bordelais Michel Rolland) et de réputation (le critique américain Bob Parker).
Mais le film — à voir absolument ! — a déjà un coup de retard. Rongé par la succession de Robert Mondavi, 91 ans, son «empire» a décidé de vendre tous ses domaines prestigieux (Ornellaia et Lucce en Italie, Opus One à Napa Valley et Caliterra au Chili) pour se concentrer sur des vins de grande consommation. Coup de bluff ou démantèlement d’une entreprise qui vaut plus d’un milliard de dollars ?

Article paru dans Hôtel + Tourismus Revue, Berne, en novembre 2004