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Posted on 5 novembre 2007 in Tendance

Le Petit Nossiter illustré par l’exemple

Le Petit Nossiter illustré par l’exemple

Le Petit Nossiter illustré par l’exemple
Dans un bouquin publié fin octobre 2007 («Le goût et le pouvoir», Grasset, 410 pages), le cinéaste Jonathan Nossiter, auteur de «Mondovino», 46 ans, New Yorkais élevé à Paris, et vivant aujourd’hui à Rio de Janeiro, prolonge l’effet de son film. Aphorismes et formule à l’emporte-pièce ne manquent pas. Florilège d’un auteur qui n’hésite pas à tomber la tête la première dans les panneaux qu’il décrit… Décodage (et joyeux déconnage entre parenthèses). Lire aussi l'excellente critique du journal «Les Echos».

Accord mets et vins (… souvent en vain !)
«Pour moi, c’est un fantasme. C’est essentiellement l’idée que tu te fais de l’accord des vins qui guide ton choix dans 90% des cas. Il y a toujours 10% où le bon vin sera la bonne pioche. C’est d’abord une construction intellectuelle.» (Citation d’André Robert, propriétaire du restaurant La Cagouille, à Paris)
Argent (Vin-argent, couple maudit)
«Le vin est étroitement lié à l’argent, comme tout objet de désir. (…) La classification des vins de Bordeaux en 1855, qui semblait valoriser les terroirs français, était en fait surtout une valorisation, une systématisation des prix d’achat établis par le marché de l’Empire britannique.»
Aveugle (A leur royaume, les borgnes sont rois…)
«Maintenant que je sais ce que c’est (réd: le vin dégusté, donc…), le plaisir redouble! Comme quoi la dégustation à l’aveugle, c’est très bien, c’est l’objectivité jusqu’à un certain point, mais après il y a aussi la connaissance qui aide à comprendre son plaisir.» Et de rappeler la phrase de Kermit Lynch, importateur de vins européens aux Etats-Unis : «La dégustation à l’aveugle est au vin ce que le strip-poker est à l’amour.»
Bio (Tout beau, tout bio)
«Il faut dire qu’aujourd’hui, 70% des producteurs de vins les plus sérieux sont plus ou moins en bio. Dans cinq ans, on devrait atteindre les 99%»
Blabla (Tu causes, tu causes…)
«Le blabla postmoderne autour du vin (et les efforts frénétiques des œnologues pour construire ensuite des vins qui correspondraient à ce blabla) est un produit mondialisé. La volonté à tout crin, mi-maçonnique mi-mafieuse, d’encoder et d’exclure a fait école partout. (…) La pseudo technicité poétique du discours tue le discours, le plaisir, la communication. Les professionnels l’ont accaparée pour éviter d’être compris par les autres. Arrêtez-les !»
Bob Parker (Le G. W. Bush du goût)
«Les Etats-Unis, même (surtout) pour les Français, représentaient, il n’y a pas très longtemps, la tolérance, une idée de liberté partagée et une entente culturelle profonde. Cette noble tradition américaine est trahie de nos jours par Bush dans la politique, comme Robert Parker (et d’autres) dans la déformation du goût américain.» Ailleurs : «Je suis sûr que c’est un homme profondément malhonnête, qui encourage la malhonnêteté chez tout le monde autour de lui. C’est une malhonnêteté fondée sur une croyance intérieure, comme celle de George Bush. C’est mélanger la mauvaise foi avec la certitude d’avoir raison.»
Bourgognes (Le vin soluble dans la littérature)
«Ce sont les vins les plus ambigus de la planète. Ils ressemblent beaucoup plus à la poésie qu’à la prose. (…) Les rouges de Bordeaux ont déjà le poids physique d’un roman, avec leur aspect foncé et riche.»
Boxe, boxe… (On ne sait plus sur quel pied danser)
«S’il existe une guerre dans le monde du vin, c’est entre la tendance de la cuisine plus intelligente et le vin stupide. Les gens cherchent une cuisine de danseuses classiques et les vignerons font des boxeurs pleins de stéroïdes. Ce n’est pas un joli couple. L’un est littéralement mis KO par l’autre.»
Classements (Affaire classée… vraiment?)
«Un classement existe de manière empirique, dans la géographie, puis dans le temps. Ce qui est le contraire des classements de goûts construits par des dégustateurs — critiques ou sommeliers, cinéastes ou amateurs, Ce sont des hiérarchies bâties uniquement selon des critères de goût, de préférence… qui sont valables en soi, pour soi-même, honorables et nécessaires mêmes, mais qui ne valent rien dès qu’on essaie de les imposer comme vérité aux autres. Tous ces classements de goût, pour moi, ne sont fondés sur rien.» (Citation de Jean-Marc Roulot, vigneron à Meursault).
Communautaire (Aux armes, citoyens !)
«Un vin — ou un tableau — de terroir comprend l’expression de l’individu qui ne devient noble que dans sa relation avec le temps. Le terroir est la liberté de l’individu, mais à l’intérieur de quelque chose de communautaire. Et donc dans ce cas-là, je suis un co-citoyen. Le seul fait de boire le vin me place dans le monde. Je n’ai pas besoin d’être son propriétaire. C’est pour cette raison que le terroir est aussi démocratique qu’un musée. Ce n’est pas une affaire de possession ancestrale, d’inégalité. Au contraire. C’est le partage, justement, d’un privilège avec le monde entier.»
Critique (Toujours plus difficile que l’art, c’est bien connu…)
«Presque personne n’oserait dire d’un vin : «il m’a ennuyé» ou «je l’ai trouvé déplaisant, je n’ai pas aimé son goût», comme on dirait naturellement d’une personne, de la cuisine, d’un film, d’un livre (pour le peu de lecteurs qu’il reste).»
Critiques (Cause toujours!)
«Le discours non pas des vrais vignerons, mais des techniciens, des œnologues, qui savent comment construire (et déconstruire) un vin, le discours des marketeux, le discours des critiques qui n’ont presque jamais de vraies connaissances pour justifier leur position mais adoptent avec bonheur les formules toutes faites des endoctrinés.»
Critiques du goût (Mieux vaut ne rien en penser qu'exprimer un avis)
«Ce livre, en un sens, est une charge polémique contre tous les critiques et les arbitres du goût, qui à vouloir imposer leurs opinions gâchent tout le plaisir du vin et en détruisent la culture.»
Cynisme (Chassez les marchands du temple)
«Près de trois quarts des vins de Bourgogne, comme dans toutes les régions et appellations contrôlées d’ailleurs, sont faits d’une façon moyennement ou totalement cynique, soit par des négociants industriels, soit par de faux artisans ou des domaines familiaux encore plus cyniques. (…) Comme partout dans le monde, la majorité des vins d’appellation trahit leur patrimoine (notre patrimoine).»
Difficile (Tout fout le camp…)
«Il devient de plus en plus difficile pour le grand public, notamment dans des pays comme le Brésil ou l’Angleterre, mais aussi en France et en Italie, désormais, d’avoir accès au vin dans toute sa richesse et d’apprendre à en goûter les subtilités, la complexité et la spécificité selon sa provenance.»
Guides (Qui m’aime ne me suive pas)
«Je suis contre les guides du vin, contre une culture qui nous pousse à soumettre nos goûts personnels à la loi des experts — ce qui est pervers et grotesque. Confierez-vous le choix de vos préférences sexuelles à un expert, à un guide ?»
Hollywood (A chacun son cinoche)
«Je fus frappé par le parallèle entre leur vision du cinéma et ma vision du vin californien (…). Ce modèle (réd.: d’industrie efficace) laisse peu de place, dans le vin comme dans le cinéma, aux plaisirs accidentels et aux affinités historiques qui, du moins pour moi, sont essentiels au bonheur.»
Impuissance (Là où la bonne réponse n’est pas Parker)
«Après trois mille ans d’écriture sur le vin, j’ai l’impression que personne n’a réussi à décrire ce que c’est le vin. Qui peut parler du vin ? Qui a l’autorité pour en parler ?»
Infidèle (Grands crus, cocus qui s’ignorent)
«L’idée de l’infidélité me semble essentielle dans le vin. C’est peut-être d’ailleurs la seule divergence entre l’amour et le vin.» (A propos de l’acheteur de Ducasse, qui s’occupe de 35 cartes, 5'000 références et 150'000 bouteilles, Gérard Margeon ; il se dit «un infidèle absolu en tant qu’acheteur, c’est une règle d’or.»)
Individualité (C'est moi qui ai toujours raison, na, na, na)
«Le combat pour la défense de l’individualité du vin, pour la survie du goût individuel face aux forces de nivellement du pouvoir impersonnel (surtout lorsqu’il est exercé par une poignée d’individus.»
Jancis Robinson (La bave du crapaud n’atteint pas la blanche colombe)
«Elle est manifestement plus cultivée et plus intelligente que son grand rival, Parker. (…) C’est quelqu’un qui s’est transformé en marque. Elle n’est plus critique. Elle fait du Jancis Robinson. (…) Finalement, elle ne peut pas médire sur tous ces vins parce qu’elle fait trop d’argent en les conseillant.»
Jargon (J’aime ou j’aime pas, point c’est marre !)
«Est-il possible d’éviter de tomber dans les pièges du jargon, du snobisme, du pouvoir de la connaissance et de maints autres péchés associés au vin aujourd’hui ? (…) Sommes-nous capables de nous replonger dans un état d’innocence pour recevoir les vins ? Et d’ailleurs, est-il souhaitable de recevoir un vin de façon «innocente» ?»
Mondovino (Comment, vous ne l’avez pas encore bu, pardon vu ?)
«Comédie noire sur le monde du vin, tournée sur trois continents». «Cinq cents heures de tournage, deux ans de montage».
Notes (Un cas d’école classique)
«Le système numérique à points (sur 20 ou sur 100, peu importe) implique par définition une forme de certitude mathématique. Pour absurde qu’elle soit, cette scientificité de pacotille correspond parfaitement à une culture ayant du mal à accepter que le jugement critique averti puisse faire bon ménage avec l’ambiguité et la complexité. (…) Assigner des chiffres à un vin, alors que le vin est vivant et change constamment selon son environnement, est pour moi aussi répugnant que d’assigner des chiffres ou une valeur numérique aux êtres humains.»
Nouveau (Tout beau, tout neuf)
«Ceux qui vendent des objets impliquent une question de goût, et leurs bruyants animaux domestiques, les critiques, ont toujours un intérêt personnel à croire que ce qui se fait de plus nouveau est aussi ce qui se fait de meilleur. Comment après tout pourraient-ils vendre leurs produits autrement ?»
Parker (Coucou, le revoilà!)
«Parker est le parfait exemple de cette heureuse conjonction: le type qu’il faut, au bon moment, au bon endroit. Du haut de ses cinq petites années d’expérience depuis sa découverte du vin, ce parangon d’arrivisme américain se décerna à lui-même le titre d’expert et d’avocat des consommateurs.» (En 1976, après le «jugement de Paris», qui mit les cabernets sauvignons de Californie devant les bordeaux classés…)
Passé (Se conjugue toujours décomposé)
«Ce à quoi nous assistons aujourd’hui, c’est la destruction systématique et globale de nos liens avec le passé. (…) Dans un climat où le passé n’a plus aucune signification, ce qu’on dit ou fait un jour n’a plus aucune importance le lendemain. (…) Le respect du terroir exige qu’on ait le sens de la responsabilité éthique vis-à-vis du passé (lequel à son tour exige que ses usages et ses significations fassent l’objet d’une réévaluation en constante évolution.)»
Petits prix (Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse…)
«5-6 euros, pour des vins parfois exquis, parfois étranges ou ratés, mais toujours vrais, vivants, intrigants.»
Pouvoir (L’arroseur arrosant)
«Il est très primitif, Parker. Il y a chez lui une hypocrisie profonde. C’est drôle : le critique qui ne veut pas être critiqué. (…) Il est devenu lui-même, avec Rolland, l’expression du pouvoir bordelais qu’il avait critiqué au début de sa carrière. Il réécrit l’histoire.»
Régionalisme (Tous contre les forces du mal!)
«Renoncer à défendre bec et ongles la différence régionale, c’est renoncer à une notion essentielle : celle de l’identité humaine face aux puissances transnationales du marketing et de l’homogénéisation.»
Michel Rolland et le vin brésilien (Nouveau massacre à la vendangeuse)
«Il fallut moins de dix ans à Michel Rolland pour rompre radicalement avec trois cents ans de traditions viticoles en Argentine ; était-il surprenant qu’il ait mis moins de deux ans à transformer la culture brésilienne du vin, à peine trentenaire ?»
Sceptique (… mais sans tomber le nez dans la fosse)
«Ne pas savoir, mais ressentir; croire, mais rester sceptique; posséder des connaissances, mais ne pas croire qu’elles représentent une vérité absolue. Voilà me semble-t-il les marques principales de l’âge adulte. Pour moi, le vin a toujours été le dépositaire parfait des joies de l’indéfinissable et de l’ambigu. (…) La faut majeure, c’est sans doute d’avoir introduit l’idée de compétition dans la pratique de la dégustation à l’aveugle, (…) élevée au statut de vérité scientifique pour la majorité du public, les critiques soucieux de leurs propres intérêts et les vignerons appâtés par le gain.»
Terroir (Pour que la bonne terre accouche d’un bon vin)
«Un vigneron se situe entre la sage-femme et le magicien. Sans sa baguette magique, le terroir ne s’exprime pas. Donc, entre auteur et terroir, faut-il choisir? Non, car il faut les deux. L’homme, sans contexte culturel, est perdu, et toute culture, sans expression individuelle, est morte.» Ailleurs : «On peut dire que les grands terroirs n’existent pas sans de grands hommes, mais il faut dire également que les grands hommes dans des petits terroirs ne feront jamais plus qu’un bon vin.»
Valeur du vin (Les repères, ça se perd…)
«La valeur d’un vin — pour nous (amateurs), pour le vigneron ou pour le marché (trois lieux distincts) — est une chose compliquée et contradictoire.»
Vignerons espagnols (Olé, traîtres à la patrie!)
«Leurs paramètres de goût sont dictés par le goût international et par les champions de ce goût, Robert Parker, le Wine Spectator et certain critiques espagnols comme José Penin. Ils sont ensuite mis en œuvre par les fonctionnaires de ce goût comme Michel Rolland et des centaines d’œnologues autochtones comme Telmo Rodriguez. Il faut construire instantanément un vin qui puisse se vendre instantanément, ce qui signifie des vins au goût instantanément reconnaissable. (…) Le vin espagnol représente le triomphe de la vision busho-aznaro-blairo-berluscono-sarkozienne du marché mondial.»
Vrais terroirs (Ou pour le terroir à tiroirs)
«Les vrais terroirs ne peuvent pas être mis en valeur en France ou ailleurs, sans qu’il y ait une appréciation, une mise en valeur des terroirs des autres. C’est une idée qui va de soi à Tokyo ou à New York, mais tant qu’elle ne fera pas partie de la conception française, la perte de ses parts sur le marché mondial se poursuivra.»
Citations choisies et commentées par Pierre Thomas, 05.11.2007