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Posted on 15 avril 2013 in Vins du monde, Vins suisses

Le Tessin a aussi son «rouge du pays»!

Le Tessin a aussi son «rouge du pays»!

La mode est aux cépages autochtone et authentique. Mentionnée pour la première fois en 1785, la Bondola «incarne» cet idéal au Tessin. Face au 850 hectares de merlot d’origine bordelaise, implanté dès après la première vague de phylloxéra en 1906, et qui fait le succès du vin tessinois, elle ne représente qu’une douzaine d’hectares.

Giorgio Rossi (photo Hanspeter Siffert, mdvs)

Giorgio Rossi (photo Hanspeter Siffert, mdvs)

Une paille! Que soignent avec amour Giorgio Rossi et ses associés, en aval de Bellinzone, à Sementina, entre Monte Carasso et Gudo. Derrière Giorgio Rossi, installé sur un éperon rocheux dominant la plaine, au fond du paysage, il y a le vaste chantier du percement du tunnel ferroviaire de base du Monte Ceneri. Le vigneron a tourné le dos aux grands travaux de génie civil, alors qu’il est ingénieur. Avec son frère, et un œnologue, également économiste formé à la haute école de Saint-Gall, il a préféré renouer avec le «contact direct avec la nature». Il y a vingt ans cette année, les Rossi ont commencé à réunir la trentaine de parcelles du domaine viticole qui les fait vivre. «Mes parents, qui avaient eu cinq enfants, n’étaient pas contents», sourit Giorgio Rossi, dans la petite cave fonctionnelle, qu’il a aménagée en 1999.

Du merlot en cuve rotative

Ici aussi, le merlot est roi : 70% de la production, de 40’000 bouteilles par an. Le merlot, connu sous l’étiquette de Ronco dei Ciliegi («colline aux cerises»), est vinifié en 5 à 6 jours dans deux cuves rotatives, un modèle d’autopigeage importé du Piémont, moins «invasif» que certaines cuves vues en Valais. On a beau être au nord du Monte Ceneri, le réchauffement climatique se fait aussi sentir, sur ces vignes plantées en terrasses, dans les rochers, orientées plein sud. «On vendange le merlot plus tôt et on doit jouer sur les effeuilles, par exemple, pour ne pas laisser brûler les raisins…» Mais ça n’est pas le pire fléau: sangliers, chevreuils et cerfs raffolent du raisin et piétinent allègrement les ceps… Le domaine propose aussi un peu de blanc, de cépages «nordistes», comme du chardonnay et du sauvignon, et vient de planter des cépages rouges tardifs, comme l’arinarnoa (croisement de merlot et de petit verdot, réalisé en France en 1956), le cabernet sauvignon et le petit verdot.

Et puis, il y a la Bondola. C’est celle «del Nonu Mario», du grand-père en dialecte, qui a valu à l’Azienda Mondo de figurer parmi les 51 vins choisis par la Mémoire des Vins Suisses pour illustrer la richesse vitivinicole helvétique. Jusqu’en 2008, ce vin rouge rustique présentait un caractère parfois trop boisé, masquant le fruit croquant et l’acidité qui, comme pour l’humagne ou le cornalin, en font aussi leur originalité profonde. La Bondola 2009, tirée à quelque 4’000 bouteilles, plus près de son caractère variétal, est d’un commerce agréable.

Le renouveau de la Bondola

Le généticien José Vouillamoz rappelle qu’avant l’implantation forcée du merlot, la Bondola «était le cépage le plus répandu du Sopraceneri». Il n’en subsiste donc que 11,8 hectares au Tessin et 0,4 ha aux Grisons. On sait aussi depuis un test ADN pratiqué en 2006 que la Bondola a été ramenée du Tessin au nord des Alpes: le vieux cépage alémanique Briegler, répandu autrefois dans les cantons de Zurich, Aarau, Lucerne et Berne, est la réplique exacte de la Bondola. La Bondola (rouge), croisée naturellement avec le Completer (blanc), a même donné deux «enfants» l’un à Lucerne, le Hitzkircher, l’autre au Tessin, la Bondoletta, soit la «petite» Bondola.

José Vouillamoz ne conteste pas l’origine tessinoise de la Bondola, citée nommément comme «cépage fin» en 1785. Aux siècles passés, le Tessin connaissait sous des noms locaux de très nombreux cépages, souvent d’origine italienne, recensés en 2007 par un ancien avocat bernois, Marcel Aeberhard. Sans compter les «producteurs directs», les hybrides résistant au phylloxéra, importé des Etats-Unis, comme le Clinton, le Noah, le Taylor ou l’Isabella Nera. Les Tessinois qui, comme les Valaisans, ont tous un carré de vigne, «noyaient» ces rouges dans le «nostrano», mélange de cépages, presque toujours avec de la Bondola. Quand ils ne les distillaient pas pour en faire une redoutable «grappa americana»!

Paru dans Hôtellerie & Gastronomie Hebdo du 15 avril 2013.