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Posted on 25 avril 2013 in Tendance

Vins valaisans hauts de gamme: élevage ou terroir?

Vins valaisans hauts de gamme: élevage ou terroir?

Les deux principales entreprises vitivinicoles du Valais, la coopérative Provins et les Domaines Rouvinez complètent leur assortiment par des vins haut de gamme, à l’historique singulier. La première, avec sa ligne de cinq vins blancs et rouges, Les Titans, que Luc Sermier définit comme des «vins d’élevage» d’une grande originalité. La seconde, avec deux assemblages «Cœur de domaine», en blanc et en rouge. Des vins mis au point par Dominique Rouvinez et, pour le suivi du processus qualitatif, par sa nièce Véronique Besson, marquant ainsi la transmission entre deux générations.

Par Pierre Thomas

Où commence le terroir? Comment se définit un vin où le travail de l’œnologue est prépondérant? Ces deux gammes «hautes» par leur prix (35,90 francs pour Les Titans, 48 fr. pour le «Cœur de domaine» rouge, 38 fr pour le blanc) affichent des similitudes jusque dans leurs étiquettes, coniques et incurvées.

Des étiquettes très semblables: même arrondi, même caractères argentés et non dorés...

Des étiquettes très semblables: même arrondi supérieur, même caractères argentés (et non dorés)…

Le meilleur de plusieurs domaines

Si tous les vins des Domaines Rouvinez sont élaborés à Martigny, dans les caves d’Orsat, que les frères Rouvinez ont rachetées il y a quinze ans (1998, fondée en 1874), les domaines, grâce au rachat d’Imesch à Sierre (2003, fondée en 1898) et de Charles Bonvin et Fils à Sion (2009, fondée en 1858), se sont étoffés, sur 120 hectares, répartis de Loèche à Fully.

Chaque domaine porte un nom et a été réaménagé, avec un cépage phare. Les deux nouveaux assemblages sont le fruit d’une sélection dans ces vignes, un premier tri pour «piquer» les meilleures grappes de six cépages tardifs. Curieusement, l’étiquette porte en sous-titre: «Cru de terroirs exceptionnels». Un seul cru donc et plusieurs terroirs! Curieuse définition, que Michel Dovaz, dans son «Dictionnaire Hachette du vin» légitime : un cru est certes le reflet d’un seul terroir, mais le mot, non protégé, est «polysémique» (a plusieurs sens…).

L’assemblage rouge, tiré à 15’000 bouteilles du millésime 2011, renferme 70% de cornalin de Montibeux (Leytron), 20% d’humagne rouge d’Ardévaz (Leytron) et 10% de syrah de Crêta-Plan (Sierre): un vin d’une belle structure, aux tanins bien intégrés, riche (il frise les 14% d’alcool), encore un peu refermé sur lui-même, même si le fruit du cornalin et l’élégance dominent. Le blanc, tiré à 7’000 bouteilles, assemble 70% de petite arvine des Seilles (Fully), de païen de La Leyraz (Saxon) et 10% de marsanne de Prafalcon (Sierre). Focus immédiat sur les fruits exotiques, le grapefruit et la pomme verte, pour une belle vivacité, avec une note finale légérement boisée. Chez les Rouvinez, l’élevage est tout en nuances, pratiqué non pas dans des barriques (au contraire des assemblages rouge Le Tourmentin, 30ème millésime en 2013, et blanc La Trémaille), mais une année dans des foudres de chêne suisse. Ces grands fûts — une dizaine, tous récents — sont logés à la Colline de Géronde.

Les fruits des entrailles des Alpes

Chez Provins, Les Titans sont nés de la passion de Luc Sermier, œnologue et maître caviste, pour les vins, bien sûr, mais aussi pour la montagne. La coopérative a perdu le parrainage de la Patrouille des Glaciers — où Luc Sermier a pris une belle revanche sportive en terminant deuxième en 2010, après huit participations au grand parcours ! —, mais a conservé l’idée de cuvées élevée dans la montagne, la première en 2004. Aujourd’hui, la gamme représente 30’000 bouteilles (entre 4’000 et 8’000 par vin).

Luc Sermier en pleine séance d'assemblage: plus de 120 échantillons pour 5 vins.

Luc Sermier en pleine séance d’assemblage: plus de 120 échantillons pour 5 vins.

Indéniablement, ici, c’est l’élevage qui fait la différence ! Non pas que les vins ne soient pas d’un terroir : par définition tout raisin naît quelque part et la coopérative exploite elle-même 236 des 980 hectares encavés. «Ces vins sont tous parcellaires», explique Luc Sermier. Toutefois, le choix du lieu de la vendange peut varier en fonction des millésimes. Ainsi, le pinot noir, naguère récolté au Domaine de Corbassière, à Sion, est originaire désormais du Domaine du Séminaire, à Sierre. C’est de là que viennent aussi les raisins de l’assemblage «Défi noir», pour la bonne raison que ce domaine est certifié «bio Bourgeon», comme le vin qui en découle, assemblage, en 2011, de 60% de syrah, 20% de cornalin et 20% de merlot, un rouge ample, riche, empyreumatique, poivré et gourmand.

Remarquable aussi, le merlot pur, élevé en barriques neuves durant vingt mois, comme les trois autres vins de la gamme (outre le «Défi noir», les purs pinot noir et petite arvine), seul le «Défi blanc» passant un an en fût. Et ces fûts ne sont pas stockés en plaine, mais en altitude, à 1’500 mètres, dans le Val d’Anniviers, dans une galerie servant d’amenée d’eau du barrage de Moiry.

Des vins plus frais en altitude

«En Valais, les gens ont tous un mayen. Quand j’étais petit, on m’a toujours dit que le vin d’en haut était meilleur que celui bu en plaine», se souvient Luc Sermier, 50 ans en juillet. «Quand j’ai demandé aux propriétaires du barrage de Moiry de pouvoir stocker mes fûts là-haut, ils m’ont pris pour un fou !» Restait à démontrer l’effet réel de l’altitude sur les vins. L’œnologue s’appuie sur des analyses d’échantillons prélevés à 1’500 mètres comparés au «témoin», un fût de chaque vin, gardé à Sion : «Les deux vins sont totalement différents! La galerie est à 7 degrés constants toute l’année. En-dessous de 13 degrés, les vins ne travaillent plus. Ainsi, on gagne du temps: l’évolution est plus lente. Les vins gardent davantage de fraîcheur et la prise bois, dans une atmosphère saturée à 100% d’humidité, n’est pas la même qu’en plaine.» L’expérience a intéressé Nicolas Vivas, œnologue et consultant à Bordeaux, qui lui consacre un chapitre dans «L’élevage des vins rouges», à paraître aux éditions Féret cet été. En conclusion de son encadré, basé sur la dégustation d’un pinot noir, il écrit: «L’altitude assure, par la pression atmosphérique, une action sur l’évolution de la composition et la qualité du vin. A la dégustation, les vins gagnent en élégance, en expressivité, avec une remarquable fraîcheur en bouche et dans la perception du fruité.» Cela s’explique parce que «l’altitude et ces conséquences au niveau de la faible pression de l’air agit comme un moteur de l’évolution du vin ; lent et doux, mais respectueux du vin et susceptible d’en modifier les qualités gustatives.»

Le maître caviste Luc Sermier dans la gallerie de Moiry, 300 m. de profondeur à 1'500 m. d'altitude, 7° toute l'année et 100% d'humidité (photo Provins).

Le maître caviste Luc Sermier dans la galerie de Moiry, 300 m. de profondeur à 1’500 m. d’altitude, 7° toute l’année et 100% d’humidité (photo Provins).

Cette jeunesse, cette «niaque», est encore magnifiée sur les vins blancs. La petite arvine 2011 reste encore refermées sur des arômes boisés, mais s’avère ample, grasse et souple. Le «Défi blanc», assemblage original de muscat à 80% et de pinot gris à 20% fait son effet: le 2011, à la fois ananas frais et noix de coco, avec une sucrosité bien présente, est épuisé et laisse place à un 2012 explosif, puissant, aux arômes entêtant de fruit de la passion.

Défi et passion, voilà bien deux mots qui caractérisent ces «nouveaux» vins valaisans. Et pour que la boucle soit bouclée, Rouvinez élève aussi un assemblage blanc dans une grotte du glacier du Petit-Cervin, à 3000 m. d’altitude, à Zermatt, l’«Altissima». Motus et bouche cousue : Dominique Rouvinez promet une «verticale» comparative des dix millésimes l’an prochain.

Paru dans Hôtellerie & Gastronomie Hebdo du 25 avril 2013.