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Posted on 25 juin 2014 in Vins suisses

Le «storytelling» du vin à l’assaut du Valais

Le «storytelling» du vin à l’assaut du Valais

Raconter des histoires, comme un «conte de faits». C’est la définition du «storytelling», qui part à l’assaut du Valais ces temps-ci. Comme si «des histoires», il n’y en avait pas assez, dans le monde du vin…

Par Pierre Thomas

Ce lundi, les journalistes ont rebondi sur la prose envoyée par un aimable «communicateur» : «Château Constellation : le début d’une histoire». Quatre jours auparavant, la coopérative Provins, qui refuse, pour des questions d’image, d’apparaître comme la génitrice d’Electus, la locomotive des vins rouges valaisans, annonçait que le siège de sa cuvée d’exception sera le Castel d’Uvrier, rénové pour l’occasion. Il s’agit désormais de passer «de l’industriel à l’émotionnel».

Une succession peu crédible

Aucun journaliste n’a été convaincu par les arguments avancés à Sion, lundi. «La société qui succède à Giroud Vins veut tourner la page sur les affaires. Mais l’entreprise reste la propriété du vigneron engeôlé» (remis en liberté le 25 juin, à Genève), attaque d’emblée 24 Heures. L’éditorialiste du Matin ne croit pas une seconde que l’ancien patron, qui reste propriétaire des quelque 60 hectares de vigne et des immeubles loués à la nouvelle raison sociale, renoncera à la moindre parcelle de son pouvoir. Du reste, son père demeure chef de culture des vignes.

Dans Le Temps, le directeur et président (PDG) de Château Constellation SA, Charles-Albert Fumeaux, affirme qu’il ne sait pas «qui sont les autres propriétaires» de la société, qui succède à Wine Universe SA. La journaliste Marie Parvex, qui suit de près le dossier pour Le Temps, souligne que les nouveaux responsables «ne communiquent pas plus sur les chiffres que ne le faisait Dominique Giroud. Ils promettent de démarcher de nouveaux clients dans le monde entier sans préciser les budgets à disposition, ni les quantités destinées à l’export.»

Le PDG tout neuf affirme : «Un jour, on dira que la page D. Giroud est tournée». Et n’exclut pas la vente de l’entité vitivinicole, qui fait partie de la holding Torcularia, qu’administre l’ancien candidat au Conseil fédéral Peter Hess. Car, dit-il à 24 Heures, «il y a de l’intérêt pour reprendre ses biens immobiliers. Il n’y aura jamais de faillite de Château Constellation.»

Le mystère Constellation

Pourquoi, du reste, ce terme venu… d’ailleurs (et pas du ciel) ? Constellation n’est rien d’autre que le nom du plus grand acteur du monde du vin, fondé en 1945, sous le nom exact de Constellation brands, qui est propriétaire ou distribue des marques aussi connue que la bière Corona, mais aussi les vins Mondavi, Clos du Bois et Franciscan Estate, réputées aux Etats-Unis, ou l’italien Ruffino. Un empire qui a réalisé en 2013 plus de 3,1 milliards de dollars de ventes, pour un cash flow de 500 millions de dollars.

Mais Constellation est un mot commun, déposé par exemple par Omega, pour un de ses modèles. Au registre suisse des marques, Constellation tout court a été enregistré le 13 avril 2010, pour des «boissons alcooliques (à l’exception des bières), vins». Ce mot a servi d’étiquette à un assemblage à cépages mi-valaisans et mi-bordelais de Giroud Vins. Le précurseur d’Electus, même si Provins s’en défend, vendu autour de 100 francs le flacon (contre 190 fr. pour Electus). Château Constellation et son logo ont été enregistrés le 9 avril 2014. Les deux dépôts de marque n’ont fait l’objet «d’aucune opposition». Chez Constellation Brands, on ne semble pas connaître ces marques helvétiques. Et on nous renvoie, par courriel, une dépêche de l’AFP, en anglais, signalant que les autorités locales se sont opposées à Château Constellation SA.

Un château mystificateur

Voilà une autre pierre d’achoppement. Pourquoi avoir choisi un nom de château pour une cave viticole ? «C’est clair que ça n’a pas du tout le même impact à la vente que le nom cave», admet, dans 24 Heures, le nouveau pdg. Le dossier serait au niveau du Tribunal fédéral, à l’instar d’un autre valaisan, le Château de Munoz.

Un spécialiste, le biennommé Olivier Marcq (!) expliquait, dans Droit Magazine, en 2007 déjà, qu’il y a «une indépendance entre, d’une part, la légitimité à utiliser le terme château en raison des règles issues du droit rural et des activités vitivinicoles, d’autre part, la faculté à pouvoir désigner à titre de marque un vin avec le terme château, au regard du droit des marques et des dispositions du code de la propriété intellectuelle.» Selon un communiqué du 5 septembre 2014, émis par le responsable des relations publiques du Château Constellation, le Tribunal fédéral a autorisé l’utilisation de ce nom et la mention sur les étiquettes de «Château Constellation SA, 1950 Sion» sans y voir une confusion pour le consommateur.

Giroud Vins a été remplacé par Château Constellation sur la cave ultramoderne de Sion (©Paul Vetter, www.valaisduvin.com)

Giroud Vins a été remplacé par Château Constellation sur la cave ultramoderne de Sion (photo tirée du site www.valaisduvin.com)

En septembre 2012, des producteurs américains, qui avaient obtenu de pouvoir apposer la mention «château» sur leurs bouteilles exportées en Europe entre 2006 et 2009, ont voulu faire ancrer cette pratique dans le droit communautaire. Ils se sont heurtés à un veto de la France, mais, selon une dépêche d’agence d’alors, «Paris est néanmoins isolé». L’affaire a toutes les chances de revenir sur le devant de la scène avec le traité de libre échange entre l’Union européenne et les Etats-Unis.

AOP stricte contre marque

Quelle nuance entre un château français (et par extension valaisan ou vaudois) et américain ? Le premier exige que le vin soit produit exclusivement à partir de raisins récoltés dans les vignobles de l’exploitation nommée château (et, en droit français, plus strict encore, et reconnu par l’Union européenne depuis 1981, que la vinification soit entièrement effectuée dans cette exploitation). Le vin du château américain peut, lui, être élaboré avec des raisins de divers fournisseurs.

Le premier est donc une mention relevant des «appellations d’origine protégées», le second, une marque, qui a intérêt à être déposée pour ne pas être copiée… Mais nombre d’observateurs, en France, avaient fait valoir que les châteaux, notamment bordelais, ont, depuis longtemps, adopté une attitude commerciale de marque sur le marché international. On se souvient aussi du désarroi de Bruno Prats, ex-propriétaire du Château Cos d’Estournel, grand défenseur de la «mise en bouteille au château», à la présentation de Clos, Domaines et Châteaux, il y a dix ans au Château de Vufflens (VD), quand il avait appris que cette association, pilotée par le groupe Schenk, n’exigeait pas ce gage d’authenticité. Son texte, vantant les mérites de la «mise en bouteille au château» avait même été retiré du dossier de presse !

Ô dingos, ô châteaux !

Bref, le consommateur devrait retenir que le mot «château» est définitivement galvaudé, que la justice tranche «hic et nunc» ou demain en fonction d’accords internationaux plus souples. Il suffit de déguster les vins pour se convaincre qu’il y a de bons et de moins bons vins, qu’ils viennent de caves ou de châteaux!

Et d’autres menaces pèsent sur l’univers virtuel du vin, avec l’arrivée des suffixes .vin ou .wine, contre lesquels les Français s’élèvent désormais. L’éditorialiste économique François Lenglet explique : « Trois sociétés grossistes vendront ces nouveaux noms de domaine. Or aucun d’eux n’a l’intention de respecter les appellations contrôlées. Du coup, rien n’empêchera un producteur de mousseux étranger d’acheter le domaine champagne.vin. Ainsi, il pourra tirer profit de la notoriété mondiale du champagne de façon abusive. Avec ces nouveaux noms de domaines, toutes les fraudes et tous les abus sont possibles aux détriments des consommateurs et des producteurs authentiques.»

Qui déposera le nom «chateau-constellation.vin» (après .ch, déjà en ligne) ? Les futurs acquéreurs de l’ex-Giroud Vins? Pourquoi pas des Chinois, pour qui toute vigne est digne d’un château, et dont le Valaisan se disait si proche qu’il servait à qui voulait le répercuter le même discours d’un exportateur confiant, sans le moindre chiffre de succès à la clé?

On peut rêver aux contes de… fée, non ?

©thomasvino.ch