Défayes-Crettenand, Leytron (5)
Une famille à la vigne
Parmi les professionnels de la vigne en Valais, un tiers sont des vignerons-encaveurs. A Leytron, Défayes-Crettenand occupe une position particulière. Toute la famille est occupée à la vigne ou en cave.
La cave de Leytron fête cette année ses cinquante ans. Sa particularité, c’est d’être centrée, depuis 1964, sur les «spécialités valaisannes». «Dans la famille, on travaillait déjà la vigne. Mon père, Marc Crettenand, était contre-maître au Domaine du Grand-Brûlé. Famille radicale, on livrait tout à Orsat, dont nous étions actionnaires», raconte Ida Défayes-Crettenand, 88 ans, qui a «tenu la maison» durant près de 40 ans. «J’étais opposée à ce qu’on mari, Edmond, se lance dans la cave», confie-t-elle.
Une cave sans fendant ni dôle
Pourtant, Edmond Défayes (décédé en 2001) avait décidé de tenter cette aventure économique avec son beau-frère Jean Crettenand (décédé en 2011). Ce dernier était une forte personnalité, qui a enseigné la dégustation — «une école de modestie» — à des centaines d’élèves de toutes les filières de Changins, durant trois décennies. Il fut le seul à porter le titre d’«œnologue fédéral», inofficiel mais conforme à la place centrale qu’il occupait en Suisse.
Faire du vin, ça démangeait l’enseignant en éternelle blouse blanche! Au pays de la dôle et du fendant, en 1964, les deux beaux-frères, préfèrent des cépages historiques, en voie de disparition. «Ils voulaient faire ce que les autres ne faisaient pas», explique Ida. Leurs premiers vins sont donc une humagne blanche et une rouge, et un muscat. Suivent la syrah, le cornalin, la petite arvine, le riesling, puis le cabernet franc. Lausannois, Jean Crettenand assure les conseils de cave et retourne régulièrement à Leytron. De ses neveux, l’un, étudiant en agronomie à Zurich, fut emporté par une avalanche. Et c’est le cadet, Stéphane, 54 ans, qui a repris la cave et un peu moins de 6 ha de vignes, après avoir suivi l’Ecole de Châteauneuf et le cours principal d’œnologie à Changins.
Un métier masculin pour l’«œnologue cantonale»
Corinne, son aînée de trois ans, après le bac en latin-anglais, partit à Genève s’inscrire en sciences politiques. «Trop théorique pour moi !» Elle demanda donc à son oncle Jean Crettenand, qui était aussi son parrain, de pouvoir suivre Changins. «Pas question, ça n’est pas un métier de femme !, m’a-t-il répondu. Mais il m’a quand même ménagé un rendez-vous à l’école.» Elle sera la première femme de Suisse titulaire du diplôme d’ingénieur œnologue en 1979. A Changins, elle rencontre son mari, Pierre Clavien, devenu lui aussi vigneron-encaveur. Puis elle entre à l’Etat du Valais où, en 2008, elle obtient le titre d’«œnologue cantonale», le seul de Suisse. Corinne Clavien travaille dans l’ombre : elle déguste 20 à 30’000 échantillons (!) par an et dispense ses conseils «toujours en discutant avec l’encaveur». Ce travail d’équipe, elle l’assure aussi au Domaine du Grand-Brûlé, terrain expérimental au service de l’Etat, et pour la cave familiale.
De cette famille vigneronne, la sœur aînée, Claudine, était «la rebelle : je ne voulais pas entendre parler de vignes !». Cette année (2014), elle récolte les raisins de sa… trentième vendange, à Fully, parmi les ceps de son mari, Yvon Roduit. Cet ancien directeur d’Imesch à Sierre s’est lancé comme vigneron-encaveur à 50 ans, il y a dix ans. A l’enseigne de la Rodeline (Ro pour Roduit, De pour Défayes, ine pour Claudine…), le couple vient d’inaugurer une cave moderne et signe plusieurs cuvées remarquables, dans ces cépages valaisans qu’on appelle «spécialités».
Mères de famille, Claudine et Corinne n’ont pas d’enfant qui se destinent à la vitiviniculture. Mais François, le fils de Stéphane, à 28 ans, est déjà bien installé, après une formation à Changins, l’école d’œnologie que s’apprête à rejoindre sa sœur, Julie, 25 ans. A Leytron, l’histoire continue…
Site Internet : www.defayes.com
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