Pages Menu
Categories Menu

Posted on 23 janvier 2015 in Actus - News

Affaire Giroud  Questions pour un champion

Affaire Giroud
Questions pour un champion

Jeudi 22 janvier, l’émission Temps Présent de la TSR est revenue sur les multiples facettes de «l’affaire Giroud», qui secoue depuis un peu plus d’un an le microcosme valaisan. Retour sur le volet vitivinicole, plutôt que sur le contrôle des vins, les impôts et la politique.

Par Pierre Thomas

Le principal intéressé, Dominique Giroud, a refusé toute interview, à la TSR . Il s’en est remis à son communicateur, l’ex-journaliste Marc Comina. Ce dernier, après avoir visionné l’émission du journaliste Pietro Boschetti, a préféré faire retirer les éléments d’interview qu’il avait donnée. Le porte-parole n’apparaît donc qu’en images d’archives. Mais, deux jours avant la diffusion du reportage, sous le double titre de rubrique Tendances/Enquête, un journaliste de Bilan dit avoir interviewé Giroud. A lire cette hagiographie, il occupait jusqu’au millésime 2013, une position centrale du marché du vin du Valais.

Des chiffres, et alors ?

Alors que l’encaveur de Sion, reste propriétaire de 45 ha de vignes (en plus de 15 louées), vinifié par la SA  Château Constellation SA (où il n’apparaît plus), refusait de publier ses chiffres, Bilan les balance à la louche…

A lire la défense et illustration des bienfaits économiques de Dominique Giroud, on se demande pourquoi les quelque 400 fournisseurs de vendange «à un certain moment» (!) ne sont pas descendus en rangs serrés du côté de la Matze pour protéger leur saint patron. Parti de rien (un hectare et demi de ceps familiaux à Chamoson, en 1992), l’homme «cumulait deux métiers, œnologue et trader». «Ses cuves se remplissaient et se vidaient trois ou quatre fois dans l’année, selon les besoins et les commandes». La phrase est répétée dans un tableau des chiffres du «groupe Giroud». On ne sait s’il agit que de vin valaisan, avec ou sans les volumes commercialisés de vin du reste de la Suisse romande.

En liquide, son business a concerné, entre 2002 et 2013, de 1,5 à 9,3 millions de litres de vin encavés à Sion. Le magazine économique ne met pas en parallèle les résultats de la vendange valaisanne : en 2008, les 9,3 millions de litres représentaient un cinquième des 41 millions de litres cantonaux (chiffre qui est aussi la moyenne de la récolte valaisanne sur 15 ans). C’est en 2007, 2008, 2009 et 2010 que la cave «capitalise» le plus de vin, au-dessus de 7 millions de litres. Dès 2011, le volume retombe autour de 6 millions de litres. Et de 2002 à 2007, il avait grimpé chaque année de plus d’un million de litres.

Aucune explication à cette fluctuation des affaires, qui engendrent un c.a. croissant de 9 millions de francs en 2002 à 28 millions en 2005, puis 38 en 2007, avec un plafond à 56 millions de francs, puis un retour à 40 millions dès 2009, et 36 en 2013, ce qui permet au journal économique de titrer (sans rire !) «en progression constante depuis 1996».

Prendre le marché de vitesse

On constate donc une chose : le pic a été atteint largement en 2008, année de tous les records. La cave valaisanne, en jouant le rôle de trader et en répondant à la demande de vrac — sans doute aussi pour le premier vendeur de vins de Suisse, Coop, qui propose des vins sous ses propres marques d’acheteur — aurait ainsi permis d’écouler une masse de vins, y compris achetés à d’autres caves valaisannes, dans le feu de l’action.

Ces opérations de «trading» représentaient deux tiers du chiffre d’affaires du groupe. On notera au passage que 56 millions de francs de c.a. en 2008 pour 9,3 millions de litres, se résument à 6 francs en moyenne au litre. Plutôt que de soutenir l’économie vitivinicole valaisanne, cette manière de vendre a surtout contribué à faire pression sur les prix. Premier arrivé sur le marché, devançant la demande par une offre rapide, l’encaveur sédunois entraînait les prix à la baisse, à sa suite.

Des raisins hors quota vinifiés ?

Outre ces affaires de vrac, où la cave se substituait aux courtiers en vins traditionnels, elle recevait une moyenne annuelle de 3 millions de kilos de raisins. D’où provenaient-ils? D’emblée, Bilan cite une phrase sibylline de l’interviewé : «Je n’aurais jamais dû accepter d’entrer dans ma comptabilité des excédents non déclarés.» C’est un des volets les plus intéressants de Temps Présent : devant les enquêteurs fiscaux de Berne, l’encaveur admet avoir émis une vingtaine de «fausses factures» pour du «raisin au noir». Les raisins acquis étaient payés cash, sans quittance, et, pour faire entrer l’opération dans la comptabilité, des fausses factures étaient émises au nom de «producteurs fictifs», le tout transitant par des sociétés à Zoug et aux Caraïbes…

Sur combien de kilos annuels portent ces activités ? Dans L’Hebdo, le journaliste François Pilet se pose la question. Au final, les enquêteurs fiscaux fédéraux, dans leur rapport cité par Temps Présent, écrivent : «Les soustractions commises (…) ont permis à ces sociétés de pénétrer in fine le marché du vin avec des marges plus basses, car non imposées, créant ainsi une distorsion du marché et une concurrence déloyale envers les autres producteurs de vin.» Et l’administration conclut son rapport du 27 août 2013 par cette appréciation : «On relèvera le cynisme égocentrique de Dominique Giroud (…) Le besoin de reconnaissance, de pouvoir et de domination de Dominique Giroud, son aversion pour l’autorité en général et celle du fisc en particulier, l’ont poussé à commettre sans vergogne les infractions décrites.»

Eclairage

Vendange, du noir au gris… légal

C’était il y a une quinzaine d’années… A l’heure de la raclette, les responsables du secteur avait décidé de parler ouvertement du «marché gris» du vin valaisan, évalué à un bon quart de la vendange, soit 10 millions de litres, qui viendraient s’ajouter bon an, mal an, aux statistiques officielles. Cela va des «vignerons du samedi» qui gardent un ou deux tonneaux dans leur cave, vinifié pour les parents et amis, à une possibilité de système aux «deux paniers» : on en remplit un à hauteur du quota pour le livrer officiellement, et l’autre s’en ira dans une cave moins regardante. On imagine quel est le prix de cette livraison en catimini : celui qui l’accepte le fixe au plus bas, puisque c’est «tout bénéf» pour le livreur hors quota et hors comptabilité (et impôts), et le paie cash pour éviter toute trace chez le fournisseur comme chez l’encaveur.

Depuis 2004, l’Interprofession de la vigne et du vin du Valais a mis en place un contrôle des vignes, la deuxième quinzaine d’août. C’est ce contrôle qui doit indiquer quelle est la charge des ceps et sanctionner ceux qui produisent trop, en regard d’un arrêté annuel. Les Valaisans sont les seuls en Suisse à faire ce contrôle avant vendange.

En plus, et partout ailleurs, il y a les «acquits», soit un bordereau qui mentionne le «quota» de vendange pour une surface donnée. Les conséquences de l’affaire Giroud ont montré que les deux services valaisans concernés, celui du cadastre des vignes, chargé de déterminer la surface des parcelles, et celui du contrôle de la vendange, ne communiquaient pas entre eux! Le conseiller d’Etat Jean-Michel Cina a assuré vouloir remédier rapidement à cet état de fait qui jette le discrédit sur le respect des quotas. Le Valais laissait aussi aux propriétaires de vignes en reconversion l’acquit pour le cépage arraché… dans l’attente de la récolte sur les nouveaux plants (une transition de trois ans). Et puis, pour les spécialités, le Valais connaissait la globalisation des acquits. En clair, pour arriver à déclarer un kilo au mètre carré, on pouvait produire 500 grammes de petite arvine et 1,5 kilo de païen/heida, sur une surface égale. De 2004 à 2013, la surface de petite arvine est passée de 115 à 165 ha et celle du païen/heida de 40 à 98 ha, celle du cornalin, moins productif, de 79 à 127 ha et celle de l’humagne rouge, plus productif, de 99 à 134 ha.

On écrit tout cela à l’imparfait… car ces pratiques viticoles approximatives — avec tant de zones grises ! — devraient disparaître dès le millésime 2015, selon les promesses du conseiller d’Etat Jean-Michel Cina et de son administration, qui doivent encore recevoir l’aval des acteurs économiques.

@thomasvino.ch