Genève (GE) — La Broche/L’Arquebuse
Un concept fait au feu
Il y a deux ans qu'elle tourne, la broche de l'Arquebuse. C'est un peu comme si les vénérables propriétaires de cette fondation, basée sur les exercices de tir, mentionnés dans la chronique genevoise en 1474, avaient troqué l'arbalète contre le lance-flammes… Alimentée à gaz, dressée derrière une élégante paroi de bois où se logent des bouteilles de vin bien choisies, la broche tourne en fin d'après-midi déjà, dorant des coquelets qui, avec l'agneau, constituent les plats de résistance d'une formule mise au point par Philippe Rubod.
Coquelets et compagnie
Ce Genevois, ancien hôtelier — il a réhabilité l'Hôtel d'Angleterre, passé de vieille dame anglaise décattie à un mini-palace en mains sud-africaines —, espère désormais que «La Broche» essaimera dans le monde entier. Il en a protégé le concept, même s'il a dû mettre un peu d'eau dans son jus, servant non seulement les deux viandes de base (à 25 fr le coquelet et 30 fr. l'agneau, garnis), mais aussi magret, aiguillette de bœuf, carré de porc, épaule de veau, saumon d'Ecosse, tous à la broche et dans cet ordre, rituellement, du lundi au vendredi, en plat du jour à 21 francs. Et, pour les non-carnivores, des salades composées, entre 17 et 23 francs.
Le sous-sol du bâtiment genevois faussement moyenâgeux, dans une rue perpendiculaire, entre le pont de la Coulouvrenière et Plainpalais, s'est transformé en «lounge» à grandes tablées: l'autre soir, la formule faisait le plein. Preuve que les restaurants «à thème» sont une des clés du succès de la restauration d'aujourd'hui. Et Philippe Rubod pourrait s'établir prochainement, via un franchisé, à Lausanne, en attendant Paris ou Beyrouth.
Des vins «intelligents»
La formule en appelle plus à Brillat-Savarin qu'à Saint-Laurent ou à Jeanne-d'Arc. Le gastronome voisin du Genevois écrivit: «On devient cuisinier, mais on naît rôtisseur». Forte maxime soulignée par Escoffier: «La cuisson d'un rôti à la broche se fait à l'air libre, dans une atmosphère sèche, qui laisse à la pièce l'intégralité de son fumet sui generis.» On peut l'agrémenter de sauces et le chef Philippe Berzane ne craint pas le choc des goûts, avec des apprêts tantôt marocain ou indien.
Une nourriture solide, aux goûts tranchés à vif, qui peut donner soif… Eric Duret, meilleur sommelier d'Europe 1998 et MOF (meilleur ouvrier de France), a été appelé à la rescousse. Il propose une demi-douzaine de vins blancs et une trentaine de rouges, habilement choisis. Et, en plus, quelques «coups de cœur» saisonniers. Pour peu, «La Broche» se transformerait en «wine bar», avec son ambiance cosy et ses chaises, alternant bois clair et foncé, avec quelques tables haut perchées et un bar.
La bonne adresse
Restaurant de l'Arquebuse
rue du Stand 36, Genève
tél. 022 321 22 60
www.restaurantlabroche.ch
Le vin qui va avec…
Un heureux héritage
Si la jeune et talentueuse œnologue Sarah Perez est née à Genève, où son père, futur rénovateur des vins du Priorat, vivait en exil, un autre vignoble catalan a des liens étroits avec la cité du bout du lac. Derrière les précurseurs déjà mythiques que sont les Clos Mogador, Martinet, Dolfi et de l'Obac, le Mas dels Frares se fraie une noble voie. L'avocat genevois Yves Pirenne en est l'heureux propriétaire et y a installé son fils, Charles. La cuvée principale du domaine, qui se nomma un temps «la perle du Priorat», «Comte Pirenne», a été saluée par la critique, au niveau du quatuor précité. Son petit frère, Clos des Fites, sélectionné par Eric Duret et importé par Mathieu Vins à Aclens (VD), séduit, dans sa version 2000, par son nez d'herbes sèches. Son attaque moelleuse trahit le Sud méditerranéen. Elle est due aux très vieux grenaches, complétés par du carignan et du cabernet, mûris sur sol d'ardoise. La bouche est marquée par des arômes sauvages et de grande maturité. Un vin d'initiation aux mystères du Priorat.
Chronique de Pierre Thomas, parue dans Le Matin-Dimanche, en avril 2004