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Posted on 10 juillet 2015 in Gastro

Un concours de cuisine, service compris

Un concours de cuisine, service compris

Le 13 mars 2016 se déroulera, en public à Martigny, le premier Grand Prix Joseph Favre, un concours réservé aux jeunes chefs. Le compte à rebours a commencé : délai de dépôt des candidatures au 30 septembre — c’est déjà demain ! — et sélection des six finalistes un mois plus tard. Décodage.

L’organisation de ce concours marque la constitution à part entière de la délégation suisse de l’Académie Culinaire de France, qu’emmène avec enthousiasme Benoît Violier, le seul triple étoilé de Suisse romande, à Crissier. Jusqu’à l’an passé, elle n’était qu’une annexe du grand voisin. D’où le choix de donner le nom de Joseph Favre à ce concours : «Tous les Français ramènent Joseph Favre à eux, mais c’est un génie valaisan, né à Vex, s’exclame Benoît Violier. Il fut le premier à codifier les termes de la cuisine. Dans ses recetttes, tout fonctionne. Il estimait que le meilleur médecin de l’homme était la nourriture. A la fin du 19ème siècle, les chefs suisses ont marqué la gastronomie française», admet sans sourciller ce MOF («meilleur ouvrier de France»).

 

Dans la cuisine de Crissier, B. Violier, à dr., à côté de David Genolet, directeur du Centre d'expositions de Martigny et F. Giovannini, à g.

Dans la cuisine de Crissier, B. Violier, à dr., à côté de David Genolet, directeur du Centre d’expositions de Martigny et F. Giovannini, à g.

Des plats avec service

Ce nouveau concours est ouvert à toute restauratrice et à tout restaurateur professionnel et à toute cuisinière ou cuisinier, «de quelque nationalité que ce soit», âgé de 25 ans ou plus et actif dans un établissement situé en Suisse. Bémol : la quarantaine de membres de l’Académie Culinaire de France et de sa délégation suisse ne sont pas habilités à concourir. Tous les détails du dossier de candidature figurent à l’adresse Internet www.gpjosephfavre.ch.

L’équipe victorieuse empochera 35’000 francs. Car, après leur sélection, les six finalistes se verront attribuer, à Martigny, le jour même — un dimanche, pour attirer un maximum de public ! —, un apprenti de moins de 19 ans, parmi les jeunes Valaisans sélectionnés la veille, et pourront être accompagnés d’un commis «âgé de moins de 22 ans».

Les plats imposés, réalisés avec des produits du terroir suisse, seront servis «à l’anglaise», donc dressés sur plat et servis sur assiette. Ce volet comptera dans l’attribution des prix. «Sans le service, les chefs ne seraient rien», a rappelé Benoît Violier. «Il est important d’intégrer le service au concours : c’est avec ce personnel que nous rencontrons le plus de problème», acquièsce Louis Villeneuve, maître de salle fidèle à Crissier depuis Frédy Girardet, il y a quarante ans. Et que les candidats au titre de MOF viennent consulter pour apprendre à découper un canard en salle, par exemple…

Crissier, creuset à concours

Le gagnant de ce prix «suisse» pourra défendre les couleurs de notre pays au Trophée Passion de l’Académie Culinaire de France. Ce sera une autre première. Ce concours international, qui se déroule tous les deux ans, a été remporté, en 2014, par Jérémy Desbraux, 28 ans, depuis quatre dans la brigade de l’Hôtel-de-Ville de Crissier. Il fut aussi le premier hors France à s’attribuer auparavant le trophée français.

La concurrence des prix de cuisine en Suisse est vive : en 2015 s’est joué le Cuisinier d’or qui revendique le titre de championnat national, remporté par Filipe Fonseca Pinheiro, également de la brigade de l’Hôtel-de-Ville de Crissier. Fondé en 1991, ce «concours Kadi», du nom de son principal sponsor, a été la sélection au Bocuse d’Or, jusqu’en 2010. Franck Giovannini, chef de la brigade de Benoît Violier, a été le seul jusqu’ici à le remporter deux fois, en 2006 et 2010. Et c’est lui, désormais, qui est en charge de l’organisation de la sélection du Bocuse d’Or Suisse qui aura lieu au salon Gourmet à Genève en janvier 2016, pour une qualification à la finale européenne de Budapest, avant la finale mondiale de janvier 2017, traditionnellement au SIRHA de Lyon. Cette année, le Bernois Christophe Hunziker a terminé 16ème de cette finale mondiale. Particularité du Bocuse d’Or : seuls les candidats de nationalité suisse peuvent concourir, ce qui limite le nombre des participants…

Tous ces événements sont liés à des manifestations : il en va de même pour le Grand Prix Joseph Favre, dont la finale aura lieu en public, durant le Salon Your Challenge, où l’ex-Miss Suisse Mélanie Winiger et le Français Vincent Ferniot (qui a fondé avec son frère Simon, diplômé de l’EHL, la chaîne parisienne Boco) «chaufferont» la salle du CERM de Martigny, du FSV Group, partenaire de la fondation qui chapeaute le concours.

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Un Valaisan occulté, spolié puis reconnu !

Mais qui était Joseph Favre ? Né à Vex en 1849, orphelin (d’autres le disent fils de curé…), il est mort à 54 ans, en 1903, après une fulgurante carrière au sommet de la gastronomie française. «Assoiffé de savoir, Favre a consacré sa vie à apprendre, dans tous les domaines, pour comprendre et transmettre. (…) A 20 ans, il était chef chez Bignon, au célèbre Café Riche (réd : sur le boulevard des Italiens, à Paris). (…) Un long siècle durant, son grand œuvre, le Dictionnaire universel de Cuisine et d’Hygiène alimentaire est tombé dans le gouffre de l’oubli, sauf pour quelques érudits, bibliophiles ou pillards nécrophages. Oui, Joseph Favre a été détroussé, on s’est approprié son travail considérable, ses inventions, ses trouvailles, ses recettes, ses recherches, son génie», écrit Jean-Pierre Coffe, en préface de l’édition de 2006.

Réédité chez Omnibus à prix populaire (23 euros), sur papier bible, l’ouvrage comprend 4’500 entrées, 6’000 recettes et plus de 1’000 illustrations dans le texte. Les recettes sont numérotées, de la «formule 1» («apprêts des abatis») à la «formule 5’531» («zwieback, sorte de biscotte très employée dans la Suisse primitive»). Les candidats au Grand Prix devront exécuter la formule 5’000, la sauce échalote, attribuée à la «cuisine ménagère» : «Ciseler une quantité relative d’échalotes ; les faire cuire doucement dans une casserole avec du beurre fin ; ajouter très peu de fécule ; laisser cuire ; mouiller alors avec du jus ; ajouter moutarde, sel, poivre, jus de citron et beurre.».

Dans sa préface, Joseph Favre écrivait : «Je l’avoue humblement, j’écris pour tout le monde. On ne peut écrire pour ceux qui ne veulent pas lire, parce qu’ils ne veulent pas savoir ni apprendre à penser. Il ne suffira donc pas, pour devenir un cuisinier savant, de faire l’acquisition de cet ouvrage. Il faudra le lire, le relire, l’étudier et mettre en pratique les connaissances qu’il renferme. C’est en forgeant qu’on devient forgeron, en cuisinant qu’on devient cuisinier.» A Jean-Pierre Coffe le mot de la fin : «Ce livre a un siècle et son contenu est totalement d’actualité. C’est l’œuvre d’un authentique visionnaire.»

Paru dans Hôtellerie et Gastronomie Hebdo du 9 juillet 2015.