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Posted on 6 octobre 2015 in Vins suisses

Castello di Morcote  Une forteresse du merlot bio-redynamnisée

Castello di Morcote
Une forteresse du merlot bio-redynamnisée

La vue aérienne du vignoble du Castello di Morcote, qui domine le bourg dans un méandre du lac de Lugano, a fait le tour du monde. C’est un des domaines les plus spectaculaires de Suisse. Il doit davantage ses formes, suivant les courbes de niveau de l’éperon rocheux, au bulldozer, tandis que l’Homme, aujourd’hui, l’a converti à la biodynamie. Ou plutôt, la femme : Gaby Gianini a repris il y a peu les rênes de la propriété de sa famille, depuis quatre générations.

Texte : Pierre Thomas

C’est une de ces aventures humaines qui se racontent en «saga». Depuis 1400 et la construction de cette «rocca» (forteresse), défilent en chassé-croisé les familles des ducs de Milan, les Visconti et les Sforza, et les seigneurs de Côme, les Rusca et les Sanseverino. Le château, en ruines, mais avec des parties utilisées pour mettre en valeur les vins produits sur le domaine, est un héritage de la bataille de Marignan. En 1515, les Suisses y ont perdu leurs illusions militaires, et la portée historique de cette débâcle est sujette à polémique, en cette année de commémoration du demi-millénaire.

Pourtant, le nom de Paleari, l’«héritier» de la forteresse après la bataille, est lié au renouveau viticole du Tessin, membre de la Confédération depuis 1803, après que les Suisses l’eurent administré durant plusieurs siècles. En 1906, le Tessin adopte le merlot, plutôt que le nebbiolo piémontais ou la bondola locale, mise à mal par le fléau du phylloxéra. Pour guider ce choix, l’ingénieur agronome Giorgio Paleari, de la même famille, plante ce cépage originaire de Bordeaux, à l’essai durant plusieurs années.

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Un vignoble remodelé il y a 25 ans

Au 20ème siècle, le vaste domaine de 172 hectares de pâturages et de forêts, devient la propriété d’une famille tessinoise établie à Milan, les Gianini. Dès 1942, on y replante des vignes. Mais il faut attendre l’arrivée de Claudio Tamborini, chargé de gérer ce patrimoine, pour que la vigne retrouve de la vigueur. Le négociant luganais fait planter 20’000 pieds de vignes sur des «banquettes» aménagées au bulldozer, en 1989. C’est à ce moment-là que les 8 hectares d’un seul tenant prennent leur contour, si spectaculaire vu du ciel. S’y ajoutent des oliviers et, au sommet, un restaurant, Vicania.

Tamborini fait du domaine une marque dans son portefeuille de merlots tessinois. Dès le premier millésime, en 1993, l’étiquette noire du Castello di Morcote s’impose comme unique vin. Pour les 20 années suivantes… Et puis, la famille Gianini reprend la main. Gaby, 50 ans depuis l’automne passé, historienne d’art de l’Université de Lausanne, décide de s’investir à fond dans le domaine viticole. Elle a l’appui de l’œnologue Michele Conceprio. Il signe, avec un des «mousquetaires» du renouveau du merlot de qualité au Tessin, le Bernois Adriano Kaufmann, des vins reconnus parmi les meilleurs du Malcantone, cet extrême-sud du Tessin où, parfois, au détour d’une vallée touffue, on se croirait en Amérique du Sud.

Les successeurs du mousquetaire Kaufmann

Le Castello di Morcote connaît une résurrection de plus. De marque, il devient une exploitation viticole. Sur les conseils de Kaufmann, pionnier en la matière — comme le relevait ici-même Philippe Tanner (lire le portrait du vigneron dans «Les vignerons de Plaisirs»), Gaby Gianini transforme la conduite des vignes. «On est certes d’un seul tenant, à 450 m. d’altitude, avec un micro-climat dû à cette situation exceptionnelle. Selon les sols et les expositions, on a constaté qu’on dispose de six à huit parcelles bien distinctes. Désormais, on les cultive, puis on les vinifie, chacune séparément.»

L’âge de la retraite sonnant, Adriano Kaufmann remet ses 4,5 hectares de vignes disséminées dans le Malcantone à l’équipe du Castello di Morcote, l’an passé. S’y ajoutent encore d’autres apports de raisin de la région. Le tout est vinifié à Melide, dans l’ancienne cave de Anna-Barbara Kopp-von der Crone, mais la construction d’une cave de vinification au pied de la forteresse, qui abrite déjà un chais à barriques, devrait démarrer cette année encore, explique Gaby Gianini. Son dynamisme a été récompensé par sa désignation, par un jury de GaultMillau et Swiss Wine Promotion, de «rookie» (néo-pro) de la «promotion» 2015, en automne dernier. Et, avec l’œnologue Michele Conceprio, qui avait déjà un œil averti sur la cave, elle est entrée dans le projet de la Mémoire des vins suisses (www.mdvs.ch) ce printemps, en prenant le relais d’Adriano Kaufmann avec le «Pio della Rocca», un assemblage de merlot (75%) et de cabernet sauvignon (25%), que Philippe Tanner qualifiait de «cru de haute tenue à attendre patiemment». Son sauvignon subsiste, lui aussi.

Une gamme étendue

D’un seul merlot en barriques, complété par 10% de cabernet franc (aujourd’hui vinifié séparément), la gamme de Morcote s’est étoffée: deux blancs, tiré des raisins de merlot cueillis précocement, puis pressés en blanc, l’un en inox, Bianca Maria, complété par 15% de sauvignon, en IGT Svizzera italiana, et un Castello di Morcote, DOC, complété par 10% de chardonnay, fermenté puis élevé (18 au moins) en barriques neuves de chêne français. «Ce vin a fait un vrai tabac dès le premier millésime, 2012. On va en produire 5’000 bouteilles», se réjouit Gaby Gianini. L’éventail des rouges est plus large. «Il Rubino» de Kaufmann devrait rejoindre «Il Moro», un merlot pur du Malcantone, en inox. L’assemblage «Pio della Rocca» demeure, évidemment. Et le Castello di Morcote, à côté de l’étiquette noire «classique», produit, depuis 2011, une Riserva, issue d’une triple sélection : les meilleurs raisins à la vigne, une longue macération, et une sélection de barriques. «C’est la réserve de la réserve», commente Gaby Gianini.

Après trois années qualifiées de «très bonnes» (2009, 2010 et 2011), le Tessin a connu des hauts et des bas: «2012 était normale, puis 2013, où on a eu de tout un peu, mais pas trop, et sur un long cycle de maturation, est, pour nous, l’année du siècle.» Il faudra en profiter, car 2014 a failli être un «millésime blanc» : le Tessin a connu, dès la floraison, des conditions climatiques épouvantables, avec, en prime, la mouche suzukii. «C’était notre première année en biodynamie, dans le vignoble certifié bio suisse. On a coupé à la vigne et trié ensuite en cave, énormément. Il n’y aura pas de Riserva. Et on se demande même si on ne va pas sauter le millésime pour le Castello di Morcote classique», confie la productrice. La qualité est à ce prix!

Castello di Morcote, Strada del Castel 27, 6921 Vico Morcote

091 996 12 30, www.castellodimorcote.com

Paru en octobre 2015 dans Plaisirs et Gastronomie Magazine.