Pages Menu
Categories Menu

Posted on 29 octobre 2015 in Gastro

Benoît Violier et le gibier à plume  Une somme comme ultime signature

Benoît Violier et le gibier à plume
Une somme comme ultime signature

Elu «meilleur cuisinier du monde» par La Liste, classement piloté par la France, naturalisé Suisse en 2015, meilleur ouvrier de France (MOF), Benoît Violier a mis fin à ses jours le dimanche 31 janvier 2016, dans son appartement de Crissier, sans doute avec un de ses fusils de chasse. Il devait se rendre à Paris où était présenté, le 1er février, le Guide Michelin France.

Il était né le 22 août 1971 à Saintes, en Charente-Maritime, dans une famille de paysans-viticulteurs (il avait perdu son père au printemps 2015). Il avait rejoint l’Hôtel de Ville à Crissier en 1996, après avoir parfait sa formation auprès notamment de Joël Robuchon, qui l’avait recommandé à Fredy Girardet. Ensuite, en 2012, il avait succédé, à Crissier, à Philippe Rochat (décédé d’un malaise cardiaque à vélo, à 61 ans, en été 2015).

2012, premier portrait sous l'enseigne rebaptisée.

2012, premier portrait sous l’enseigne rebaptisée.

Le chef arrivé au faîte de la gloire (19/20 selon Gault et Millau, 3 macarons Michelin Suisse) laisse une veuve, Brigitte, qui avait repris l’Hôtel-de-Ville à ses côtés — leur site Internet les montrait côte-à-côte, «chefs d’orchestre» — et un jeune fils, Romain, 12 ans.

En trente ans (il avait commencé son apprentissage à 14 ans), Benoît Violier avait atteint le sommet, soit la tête du palmarès des «mille tables d’exception» de La Liste, un classement qui répondait au 50 Best d’obédience britannique, où la haute cuisine française ne brille pas particulièrement.

Dans Paris-Match, l’hommage d’Emmanuel Tresmontant, journaliste culinaire du titre, explique que Paris n’avait jamais accordé au Franco-Suisse la place qu’il méritait… Et c’est à la veille d’aller dans la capitale française à la présentation du Guide Michelin France 2016 (qui ne le concernait pas directement!) que le chef de Crissier a eu son geste fatal.

En décembre 2015, Benoît Violier avait accordé une grande interview au quotidien Le Temps. Il y défendait avec brio ses idées, sa passion pour le produit, pour le  terroir, notamment suisse, qui n’a pas (encore) su se positionner à l’égal des Nordiques, son attachement à la culture gastronomique française et son allergie à la cuisine moléculaire.

Il avait jeté les fondements d’une Académie de cuisine et avait lancé un prix pour cuisiniers, au nom de Joseph Favre, le Valaisan auteur du Dictionnaire universel de cuisine pratique. Le prix aurait dû se dérouler en public à Martigny, en mars; il a été repoussé à décembre prochain. Et il nous avait confié vouloir éditer un livre sur «ses» 25 cartes à Crissier, chiffre atteint en cette année 2016 (lire ci-dessous).

Le mardi 2 février 2016, le restaurant a ouvert, avec une brigade conduite par le chef de Crissier, Franck Giovannini, 40 ans, engagé en 1995 par Fredy Girardet. En 2007, il était troisième du Bocuse d’Or mondial, une première pour un chef suisse, et présidait, en janvier, à Genève, la sélection suisse du Bocuse d’Or. Filipe Fonseca Pinheiro, de la brigade de Crissier, avait remporté cette finale suisse.

Crissier pourrait donc retrouver les deux légendaires lettres FG à son frontispice.

Les obsèques de Benoît Violier ont été agendées au vendredi 5 février, à la cathédrale de Lausanne, là où tout le microcosme de la gastronomie suisse avait rendu un dernier hommage à feu Philippe Rochat (61 ans) le samedi 11 juillet 2015.

Luxe et sophistication au service du goût.

Luxe et sophistication au service du goût (novembre 2015, Lauriers de Platine Terravin).

En 2015, Benoît Violier avait publié «La cuisine du gibier à poil d’Europe». On était à Crissier pour la sortie de l’ouvrage… Voilà qu’il a repris du poil de la bête pour «La cuisine du gibier à plume d’Europe». Une somme encyclopédique qui fait le tour de la question d’une manière magistrale, sur le fond comme dans la forme.

Par Pierre Thomas

Souvent, les chiffres résument mieux les choses qu’un long propos. L’inventaire de 92 volatiles chassables en Europe, selon une liste réactualisée de l’Union Européenne, tient en 300 recettes sur 1088 pages pour un volume pesant près de 6 kilos. Le précédent opus avait été publié il y a six ans à Paris, aux Editions du Gerfaut, puis réédité par l’éditeur lausannois Pierre-Marcel Favre. Il s’est déjà vendu à 27’000 exemplaires. Ce nouveau «pavé» paraît chez Favre.

Des planches dignes des peintres flamands

S’il assouvit depuis bientôt trente ans sa passion pour la chasse avec ses propres fusils, dans des voyages organisés sur mesure par un spécialiste de l’Ain, Benoît Violier, comme dans sa cuisine de l’Hôtel-de-Ville de Crissier, aime travailler en équipe. Il s’est donc entouré, entre autres, de son chef, Frank Giovanini, du chef Benoît Guichard, «meilleur ouvrier de France» (MOF), pour la relecture des recettes, et du photographe Pierre-Michel Delessert, embarqué dans quelques parties de chasse où il a dû faire le deuil de ses ambitions de photographe animalier, parfois…

Le livre a été «croqué» au départ par le chef lui-même. Et le photographe s’est contenté de piéger la lumière. Certains croquis sont devenus, sous l’œil du photographe, des tableaux dignes des grands maîtres de la peinture flamande, sombres et lumineux à la fois, un vrai régal pour les yeux… Les textes de cette encyclopédie doivent autant à Benoît Violier lui-même, qui dit admirer la cuisine du 19ème siècle, qu’au Dr Albert Mudry, également diplômé en lettres, avec un mémoire sur la médecine au 19ème siècle.

Des étoiles au Michelin (trois), mais pas que... (2014).

Des étoiles au Michelin (trois), mais pas que… (hiver 2014). Et bientôt le retour des initiales FG?

Du tétras à la vapeur

Richissime, l’ouvrage multiplie les entrées. Dans sa partie culinaire, il s’ouvre sur «la perdrix des neiges aux cèpes et foie gras selon Frédy Girardet», le maître de Crissier, qui, sur un coup de téléphone de Joël Robuchon, fit venir le jeune Charentais dans ses cuisines, au titre de compagnon, inscrit au Tour de France dès 1988, puis aspirant en 1994. Le jeune cuisinier décida de présenter son «chef-d’œuvre» après avoir décroché le col tricolore de MOF en 2000. En 2003, cette épreuve utlime comprenait trois plats de gibiers froids et trois chauds. L’admirateur des cuisiniers du 19ème siècle les traitait de façon moderne, comme ce tétras lyre à la vapeur, qu’il cite aujourd’hui.

Comme l’a dit Albert Mudry, lors du vernissage à Crissier, agrémenté de plats, miniatures de gibiers à poil et à plume exquises, l’ouvrage traite à la fois de cuisine, de chasse, d’ornithologie, d’histoire, mais est avant tout «un livre d’art». Le représentant du Comité international de la chasse et de la conservation du gibier (CIC), organisation qui compte 1500 membres dans 86 pays, dont 160 membres en Suisse, a salué le travail du chef. Le CIC tiendra ses assises annuelles internationales à Montreux en 2017.

Trente ans dans la vie d’un chasseur

Benoît Violier, qui dédie l’ouvrage à son père, décédé ce printemps 2015, a passé son permis de chasse à 14 ans. «En 28 années, j’ai voyagé dans 33 pays», confie-t-il. Et il en a chaque fois ramené des recettes, avec deshg_cover_gibierplume ingrédients locaux. Et un témoignage sur le long terme : «L’agriculture a changé. Certains oiseaux ont disparu. Le trafic aérien, par exemple, a modifié les couloirs de migrations, du nord de l’Europe à l’Afrique. Et il y a l’urbanisation qui fait des dégâts…»

Des 92 volatiles retenus, Benoît Violier en a chassé et cuisiné une septantaine. Pour apprécier la place qu’occupe, année après année, le gibier sur la table de Crissier, on attendra le livre que le chef prépare pour célébrer ses 25 cartes dans «sa» maison. Ce sera courant 2016 et l’ouvrage paraîtra en 2017, promet l’entreprenant triple étoilé Michelin, au sommet de son art.

«La cuisine du gibier à plume d’Europe», album richement illustré de 1088 pages, Favre, 200 fr.

«La cuisine du gibier à poil d’Europe», album de 360 pages, réédité par Favre, 128 fr.

©thomasvino.ch