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Posted on 19 septembre 2013 in Tendance

AOC-IGP françaises et suisses:  des dossiers sulfureux

AOC-IGP françaises et suisses:
des dossiers sulfureux

Le nouveau groupement de défense des appellations d’origine et des indications géographiques oriGIn France, fondé le 17 septembre 2013, a porté à sa présidence Claude Vermot Desroches, président du Comité interprofessionnel du Gruyère de Comté. Un dossier d’IGP (Gruyère de France IGP) qui reste un peu sur l’estomac des Suisses, détenteurs de l’AOP Gruyère.

Par Pierre Thomas

Et pas seulement des Suisses ! Puisque dans son Dictionnaire impertinent de la gastronomie, François Bourin éditeur, le critique Périco Légasse, sous «gruyère, fromage peinant à faire son trou», écrivait : «Le plus lamentable est que la France ait osé prétendre à un label qu’elle ne pouvait en aucun cas revendiquer. Alors que notre pays (la France toujours, donc…) doit être le gardien de l’éthique de l’appellation d’origine, le gouvernement s’est ridiculisé, voire déshonoré, en validant cette forfaiture morale.»

Le Comté verni en «Gruyère de France»

Les producteurs du Comté — un nom qui aurait pu suffire à la défense du produit originel et original, non ? — de Langres aux portes de Grenoble, sont parvenus à obtenir une reconnaissance en IGP européenne, à condition de respecter la grosseur des trous (alors que le Gruyère suisse AOC a des fentes ou des trous minuscules).

Bon point, toutefois, en ce mois de septembre: la marque Gruyère, respectivement Gruyère Switzerland, vient de réussir à se faire protéger aux Etats-Unis et en Afrique du Sud, où ces noms sont désormais enregistrés, ouvrant la porte à des actions contre les contrefacteurs.

En Europe, selon un accord de réciprocité, les AOP-IGP suisses et européennes sont reconnues désormais d’office. Ce qui veut aussi dire que la Suisse n’avait rien à redire au Gruyère de France IGP. Le 19 septembre, l’Office fédéral de l’agriculture soulignait que : «protéger les produits emblématiques, issus des terroirs helvétiques, contre les imitations et mieux les positionner sur les marchés tant suisse qu’extérieurs, constitue un des piliers de la stratégie qualité des filières agricole et alimentaire.»

La section française de oriGIn fait partie de l’Organisation pour un réseau international d’indications géographiques, ONG sans but lucratif, basée depuis dix ans à… Genève. Elle doit notamment «lutter contre la contrefaçons des IG ainsi que contre tout type d’usurpations», ce qui rend d’autant plus corrosifs les propos de Périco Légasse ! Dans un communiqué, la section française note que «10 ans après la création d’oriGIn monde, il est nécessaire de mieux structurer la représentation des IG françaises, notamment pour permettre un travail en bonne intelligence entre les services de l’Etat (INAO, ministère de l’Agriculture) et les filières professionnelles.» Le gruyère n’est pas le seul fromage en quelque sorte transfrontalier : le vacherin Mont-d’Or l’est aussi, avec deux AOP, l’une suisse, l’autre française, en pleine réflexion, comme l’a démontré notre enquête récente

AOP-IGP: France- Suisse, 677 à 32!

En France, les indications géographiques se répartissent en plus de 400 AOC/AOP de vins, cidres et eaux-de-vie, 75 IGP viticoles, 50 AOC/AOP laitières, 45 AOC/AOP agroalimentaires (14 fruits et légumes, 13 olives et huiles d’olives) et 107 IGP alimentaires.

La Suisse est un nain en ce domaine, avec, sans compter les AOC viticoles, qui ont des cahiers des charges différents, et souvent non conformes au droit européen (comme les AOC vaudoises!), 22 AOP (12 fromages, 5 eaux-de-vie, dont en dernière date les kirschs de Zoug et du Righi, 5 produits agroalimentaires, poire à botzi fribourgeoise, cardon épineux genevois, maïs de la Vallée du Rhin, pain de seigle valaisan et safran de Mund) et 9 IGP, dont 7 charcuteries et saucisses et les deux viandes séchées des Grisons et du Valais.

Le cas litigieux de l’absinthe

L’IGP «absinthe» est dans le pipeline : le Tribunal fédéral administratif a débouté cet été trois recourants français, la Confédération européenne des Producteurs de Spiritueux, la Fédération Française des Spiritueux et la distillerie Les Fils d’Emile Pernot, estimant qu’aucun de ces trois n’a qualité pour s’opposer à la décision d’enregistrement des IGP par la Suisse. En août 2012, l’Office fédéral de l’Agriculture à Berne avait donné l’appellation IGP à « L’Absinthe », « La Fée verte » et « La Bleue », de sorte que seules les eaux-de-vie de ces types fabriquées dans la région suisse du Val-de-Travers (Neuchâtel), considérée comme le berceau de l’absinthe, pourront être commercialisées sous le nom d’absinthe.

Et cela n’empêche pas que le 24 octobre prochain, le Comité régional du tourisme de Franche-Comté annonce pourtant que la Fée Verte et la Route de l’Absinthe feront la fête à Paris.

France-Suisse, décidément, ça frotte, et pas seulement en matière fiscale!

©thomasvino.ch