A la chasse à la truffe d’ici
C’est le bon moment pour parler de la truffe d’automne… même si ça n’est pas la bonne année, la faute à la sècheresse estivale. Annick Jeanmairet les adore. Et le marché romand est en pleine effervescence. Par exemple, le 7ème marché aux truffes de Bonvillars a lieu le samedi 31 octobre 2015.
Par Pierre Thomas
La journaliste gastronomique genevoise publie, chez Favre, un petit carnet de 40 recettes «autour d’un champignon méconnu bien de chez nous». Qu’on se le dise : la truffe d’automne, alias tuber uncinatum, mais aussi truffe de Bourgogne ou de Champagne, est plus que jamais romande et même fribourgeoise. A 66 ans, Fredy Balmer est passionné depuis 1969. Il a ouvert à Salvenach (Lac), il y a trois ans, son échoppe «Au pavillon de la truffe suisse». Le cuisinier retraité est aussi, depuis lors, le co-président de l’Association suisse de la truffe, à l’origine des huit marchés d’une saison automnale qui s’ouvre à Bonvillars (près d’Yverdon), le samedi 31 octobre 2015 toute la journée, et se termine à Morat, les samedi 21 et dimanche 22 novembre, avec 18 stands dédiés uniquement au plus noble des champignons.
Car il est bien joli de mettre en valeur «cette nouvelle découverte gastronomique injustement méconnue», comme l’écrit l’animatrice de l’émission Pique-Assiette, encore faut-il avoir les moyens de s’approvisionner. On peut, bien sûr, s’acheter un chien et aller à la chasse soi-même… Comme Fredy Balmer, héritier spirituel de la famille Biland, de Marly, Victor, le père, Roger et André, des légendes de la truffe suisse, avec quelques émigrés italiens, qui, dans les 1960 étaient si rares à aller la débusquer dans le secret des sous-bois fribourgeois. Pour l’ingénieur agronome de Farvagny Jean-Maurice Linder, vice-président de l’Association suisse romande de la truffe, fondée il y a trois ans, une vingtaine de Fribourgeois sont, aujourd’hui, «caveurs», soit chasseurs de truffes. Ou peut-être le double, risque Fredy Balmer…
Chien, maître et cours : un vrai business
Tout un «business» récent s’est progressivement constitué autour de ce diamant brun, par opposition au diamant noir qu’est la truffe du Périgord, la très recherchée tuber melanosporum. Aux quatre coins de la Suisse romande, des spécialistes plus ou moins autoproclamés, donnent des cours, à la fois aux chiens, de la race lagoto romagnolo, très à la mode, et à leur maître. Pour Alain Selotto, de Valeyres-sous-Rances (VD), président de la «romande», on ne s’improvise pas «caveur». Il faut réunir un bouquet de conditions : «Avoir le sens de la nature ; créer un binôme avec son chien, qui peut très bien être un berger ou un labrador et puis connaître les arbres truffiers et les sols, pour savoir identifier les sites potentiels.» L’intérêt du chien est primordial, car il ne sent, enfouie sous la terre et les feuilles mortes, que «les truffes mûres, au stade optimal de consommation».
Ensuite, le «caveur», le plus souvent, cherchera à écouler sa marchandise : «A 700 fr. le kilo, ça doit être irréprochable. On ne peut pas, à ce prix, décevoir le consommateur !». Voilà pourquoi, depuis peu, l’Association a décidé de décerner «une attestation de compétence de caveur romand», en attendant une «charte de qualité», confie Alain Selotto. Avec la mode de détenir son chien et de se balader au grand air, les «caveurs» sont plus de 200 en Suisse romande. Et seuls une vingtaine ont obtenu jusqu’ici le fameux «papier». «Pour éviter le n’importe quoi, les marchés aux truffes permettent aux acheteurs de se procurer des truffes contrôlées», explique Jean-Maurice Linder.
Truffe sauvage… et de culture
En principe, de juillet à mars de l’année suivante, on peut trouver des truffes de Bourgogne dans toute la Suisse romande, en terrain calcaire, jusqu’à une altitude de 900 à 1000 mètres. «Depuis neuf ans que j’y vais régulièrement, c’est l’année la plus précaire. Il a fait trop chaud et trop sec cet été…», constate M. Linder. «Il avait beaucoup plu en mars et l’année s’annonçait magnifique», complète Fredy Balmer, «la récolte de juillet a été abondante, mais hélas avec des truffes véreuses. La deuxième fécondation estivale a souffert du sec. On attend la pluie, avant le gel.» Sinon, la récolte de 2015 sera «catastrophique».
Mais on n’a encore rien vu dans l’essor de la truffe de Bourgogne en Suisse romande. Son avenir, sous réserve de conditions météo favorables, est assuré grâce à la plantation de «vergers truffiers». En 1974, Fredy Balmer avait tenté l’expérience du côté de Romainmôtier, dans le Jura vaudois, «ça n’avait rien donné !» A Genolier, au-dessus de Nyon, la pépinière de François Blondel a plus de succès. Ce printemps, elle a récolté ses premières truffes… après huit ans d’attente ! «Elles étaient juste parfaites. Il n’y a aucune différence de goût entre une truffe sauvage et un champignon qui pousse sous des arbres plantés tout exprès.» Reste que la récolte est aléatoire : «C’est une loterie maîtrisée», tempère le pépiniériste. Près de 60 à 70 hectares d’arbres propices ont été plantés ces dernières années, en Suisse, à la faveur d’une subvention fédérale de 30% pour des frais de plantation à hauteur de 18’000 francs l’hectare. Le «rendement» assuré est de 30 à 40 kilos de truffes à l’hectare, «et même le double dans de bonnes conditions», confie M. Blondel, le principal fournisseur d’arbres truffiers du pays.
«D’ici à 10 – 15 ans, quand tous ces vergers seront en production, ça changera la donne !», pronostique Fredy Balmer. Déjà, la concurrence s’aiguise. Le Nord vaudois se réclame «1ère région truffière de Suisse» et étudie un label d’origine. Autant dire que le petit livre d’Annick Jeanmairet, qui stimule la demande pour des truffes romandes vendues entre 400 et 800 francs le kilo (contre 1500 à 2000 francs pour la truffe noire), anticipe l’offre à venir. En se popularisant, le diamant perdra, aussi, un peu de son éclat !
Un tiramisu à la truffe d’automne
La chair de la truffe d’automne est plus claire que celle de la truffe noire du Périgord, «un peu café au lait». Son odeur est moins capiteuse aussi, et son goût évoque «clairement la noisette». «C’est une saveur très subtile, extrêmement élégante», écrit Annick Jeanmairet. Ses 40 recettes vont de l’entrée au dessert. Le beurre de truffe ouvre le cahier — il est aussi proposé par les «caveurs» sur les marchés. La tapenade de truffes fait saliver… Pâtes et risotti s’enrichissent de ses arômes, même si la truffe d’automne n’a rien à voir avec la blanche d’Alba. Les Fribourgeois retiendront l’aromatisation de la fondue (tailler la truffe en mini dés, infuser dans la crème, incorporer au mélange de fromage, mais exclure ail et kirsch !) ou des meringues.
Le goût de noisette de la truffe d’automne fait merveille dans les desserts sucrés, comme ce «tiramisu léger». Ingrédients pour 6 personnes, 2 œufs, 40 grammes de truffe d’automne, 60 g. de sucre, 100 g. de mascarpone, 100 g. de ricotta, 12 biscuits à la cuillère, 2 dl de café, du cacao en poudre pour la déco. Marche à suivre :
1) Tailler les truffes en mini-dés (brunoise) ; mélanger le mascarpone avec la ricotta, puis ajouter la truffe.
2) Battre les jaunes d’œufs avec le sucre jusqu’à ce que le mélange blanchisse. Mélanger avec la masse à la truffe.
3) Battre les blancs en neige et ajouter délicatement à la masse.
4) Tremper rapidement les biscuits dans le café (froid ou tiède, mais surtout pas chaud !) et tapisser un petit moule carré avec 6 biscuits.
5) Ajouter une couche de crème, couvrir avec les 6 autres biscuits et terminer avec une couche de crème.
6) Couvrir avec un papier film et laisser reposer au moins 4 heures (une journée si possible).
7) Au moment de servir, saupoudrer le tiramisu avec le cacao.
Tiré de «La truffe d’automne», 92 pages, Annick Jeanmairet, éditions Favre, 15 francs.
Paru dans La Liberté du 21 octobre 2015.