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Posted on 22 août 2016 in Vins espagnols

La Rueda, nouvel Eldorado confirmé

La Rueda, nouvel Eldorado confirmé

Au centre nord de l’Espagne, la région de la Rueda fait figure d’Eldorado du vin blanc sec, favorisé par un climat continental, sur un haut plateau à 800 m. d’altitude. Le verdejo, cépage indigène, présent depuis près de mille ans, amené par les Mozarabes, est très tendance et plaît aux Suisses. Ces cinq dernières années, l’importation des vins blancs espagnols en bouteilles a augmenté de 27%, alors que la moyenne des importations de blancs n’était «que» de 15%.

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Par Pierre Thomas, texte et photos

Et parler d’Eldorado est presque une forme d’ironie. Car longtemps, la région a produit un vin de style oxydatif, comme à Jerez, appelé «dorado». Le phylloxéra, la dictature de Franco, qui a décrété que le centre de l’Espagne devait devenir le grenier du pays, et le changement du goût du consommateur ont eu, coup sur coup, raison de ces vins oxydatifs «vieux style». La cave historique De Alberto (pour Hijos de Alberto Gutiérrez), dans le village de Serada, produit encore un «dorado», muté à 17% d’alcool, non millésimé et patiemment vieilli en fûts de chêne, qui, à la surprise générale, a remporté une grande médaille d’or au Concours mondial de Bruxelles 2015. La distinction a, dit-on, sauvé cette cuvée de l’oubli… Mais c’est une exception : les 69 caves de la dénomination d’origine (DO) sont pour la plupart ultramodernes et surgissent comme des paravents de béton et de métal dressés contre les éléments, sous le ciel si changeant du début du printemps.

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Un blanc simple et frais

Ici, le climat hésite entre la Méditerranée et le continent, la grande chaleur des étés (2015 a marqué un record de journées à plus de 40° degrés !) et le rude froid des hivers, où la neige n’est jamais loin, sur la sierra en arrière-fond de Ségovie. Le retour au premier plan de la Rueda ne date que de 50 ans, quand la grande cave de la Rioja, Marquès de Riscal, cherchait à développer une production de vin blanc de qualité. Le Bordelais Emile Peynaud décréta que sur ce haut plateau, on pouvait planter du sauvignon blanc, comme dans l’Entre-deux-mers. Pourtant, aujourd’hui, c’est le verdejo, cépage autochtone, qui a pris le large, sur quatre cinquièmes des 12’000 hectares de la D.O. Rueda. Ce vin blanc y fait un grand écart permanent, entre la version «propre en ordre» en cuves inox, à 4 à 6 euros : vendange mécanique dans la fraîcheur de la nuit, macération, puis fermentation, à froid, pour extraire des arômes très primaires, de limette et de fruits exotiques, pour un vin très sec, d’une acidité fraîche, avec une pointe d’amertume finale. Le succès ne se dément pas. Après Marquès de Riscal, c’est la famille Forner, de Marquès de Cacerès, un des noms fameux de la Rioja moderne, qui a implanté, il y a peu, une grande cave. Protos, voisine de la Ribera del Duero, y est aussi, comme, depuis peu, Carlos Moro, le fondateur de Mataromera, un groupe de huit caves, dont ici, Emina.

La cave Bellondrade y Lurton.

La cave Bellondrade y Lurton.

Du bois pas facile à dompter

C’est sous la signature de Mataromera, depuis 2013, qu’apparaît un verdejo de la Rueda plus ambitieux, fermenté en barriques. Une façon de faire expérimentée depuis dix ans par la cave Bellondrade y Lurton, qui met sur le marché un blanc en IGP Castilla y Leon, Quinta Apolonia, en fait le «second vin» du verdejo haut de gamme, fermenté en barriques de chêne français : la version 2014 offre un nez fin, où l’élevage se trahit, long et gras, sur une finale marquée par le bois. Un 2012 dégusté sur place a montré qu’il faut laisser trois à cinq ans pour que ce boisé toasté s’atténue. Formée à Bordeaux, l’œnologue Marta Baquenzo, explique qu’au fil des ans, le chêne américain a cédé sa place au chêne français, de cinq tonneliers principaux, et la taille des fûts est passée de la barrique à 225 litres au tonneau de 300 litres.

Chez José Pariente, la fille du fondateur de cette jeune cave fondée en 2008, Martina Prieto Pariente, également formée à Bordeaux, est allée encore plus loin : elle élève une partie de son verdejo en demi-muids de 600 litres. Et propose une Cuvée Especial, élevée onze mois dans des œufs de béton, exclusivement : le 2014 développe une belle structure, avec de la rondeur et une note épicée, tandis que le 2012, année très chaude, est déjà marqué par une lègère évolution, sur une matière riche et puissante.

Et si on évoque ces deux caves, Bellondrade y Lurton (importé par la Casa del Vino à Zurich) et Pariente (par Riegger à Birrhard/AG), c’est pour la bonne raison que la Suisse, pour ces cuvées haut de gamme, est leur principal marché !

Des amphores chez Martina Prieto Pariente: le bois cède sa place...

Des amphores chez Martina Prieto Pariente: le bois cède sa place…

Paru dans Hôtellerie et Gastronomie Hebdo du 18 août 2016.