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Posted on 16 août 2017 in Vins français

Les vignerons de Savoie misent sur la qualité

Les vignerons de Savoie misent sur la qualité

Laminé par le phylloxéra et les crises économiques, le petit vignoble français de la Savoie, 2200 hectares, a retrouvé une embellie grâce au passage en AOC («appellation d’origine contrôlée») en 1973, devenue AOP, et au tourisme alpin. Il mise désormais sur la valorisation du paysage et va se faire voir et déguster à New York, Hong Kong ou Tokyo. Rencontre sur place et explication d’une démarche régionale concertée, au moment où la Suisse s’interroge sur son passage au AOP/IGP, prévu par Berne à l’horizon 2022-2025.

De retour de Chambéry, Pierre Thomas (texte et photos)

La Savoie éclatée en AOP Vin de Savoie (1750 hectares), AOP Roussette de Savoie (200 ha), réservé au cépage Altesse localisé, et AOP Seyssel (100 ha), occupe aussi la rive sud du lac Léman, sur une portion congrue, plantée en chasselas. En face, de Genève à La Côte, le vignoble suisse s’étend plus densément. La carte ne le mentionne même pas — c’est de bonne guerre ! Pourtant, on le choisirait comme exemple pour la Suisse, ce petit vignoble savoyard éclaté, qui couvre une surface à mi-chemin de celle des cantons de Genève et de Vaud.

Replanter la vigne, oui, mais pas nmporte où!

Dynamiques, les Savoyards viennent de confier au même cabinet de géologues que les Romands, Sigalès, l’étude de leurs sols, par carrotages. Déjà, le président de l’AOP, le chevronné Michel Quenard, explique que ces études de terroir seront utilisées pour orienter les plantations en fonction de l’adéquation sol-climat-cépage. Notamment pour les deux cépages emblématiques de la Savoie, l’Altesse et la Mondeuse : «On ne veut pas qu’elles soient plantées n’importe où.»

Un discours volontariste, peu entendu en Suisse jusqu’ici, où l’on préfère le «fine tuning». Pourtant, comme la Savoie, la Suisse va devoir passer de l’AOC à l’AOP-IGP d’ici 2025 (réd. 2022: un objectif renvoyé sine die…). La démarche savoyarde est intéressante dans ce contexte.

Sauvé grâce à l’AOC/AOP

C’est l’appellation d’origine contrôlée (AOC) qui a sauvé la Savoie en 1973. Le vignoble était tombé bien bas, autour de mille hectares, et il a doublé en 45 ans, malgré l’urbanisation. Sur la carte, le Léman est tout en haut et la vallée de l’Isère, tout en bas. Au nord, la région de Marin et de Crépy, prolongée par Ayse, dans la vallée de l’Arve, au sud, le bassin groupé en amont de Chambéry, sur les deux rives de l’Isère, où les Abymes et Apremont font face à Chignin et Arbin. Entredeux, dans leurs cluses, Frangy, Seyssel et Chautagne, en amont du lac du Bourget et Jongieux. Au total, une vingtaine de lieux dispersés, propices à la viticulture…

En plus des AOP, un effervescent est né en 2015 et a rejoint la famille des crémants, sous le nom de Crémant de Savoie. Il occupe une place à part pour mettre en valeur les cépages blancs locaux : il faut annoncer au printemps les parcelles destinées au mousseux et qui seront récoltées plus tôt, quand bien même les cépages savoyards ne manquent pas d’acidité. Le gel de ce printemps risque de coûter cher à cette nouvelle catégorie, les vignerons préférant attendre les vendanges pour se prononcer sur les rendements — ils ont, du reste, obtenu une légère hausse des quotas.

Dans l’attente de (grands) crus

S’ajoutent, ou se superposent, aux AOP, pas moins de 21 dénominations géographiques. En attendant des crus, pour lesquels la production doit entreprendre des démarches en profondeur — et pas seulement par carottages ! —, en justifiant un historique, des manières culturales propres et des rendements inférieurs. Toute démarche qui guette aussi les vignerons suisses dans la nouvelle définition des AOP – IGP. «Nous aspirons à faire reconnaître une vingtaine de climats en crus, voire en 1ers crus, alors qu’actuellement, on nous interdit de mentionner les lieux-dits sur les étiquettes. Et on veut revoir les zones de crus pour la Jacquère, afin de monter en qualité», argumente Michel Quenard.

Aussi complexes soient-ils dans leur découpage, les vins savoyards restent des nains, à l’échelle de la France : à peine plus d’un demi-pourcent des vins AOP. Mais les 16 millions de bouteilles produites chaque année sont vendues à 95% dans l’Hexagone. Et 70% sont bues sur place, dans les stations des Alpes.

Vendre le paysage et la qualité des vins

La Savoie cultive une vingtaine de cépages, à 70% en blancs. Dont la fort méconnue Jacquère : à elle seule, elle occupe la moitié du vignoble, au sud, dans la région de Chambéry. Avec l’Altesse, le Gringet, la Molette, la Mondeuse blanche, et les deux rouges, Mondeuse noire et Persan, elle fait partie de la liste des sept cépages cultivés quasi-uniquement en Savoie, si l’on excepte un peu de Mondeuse sur la rive suisse du Léman et dans le Chablais (vaudois), et de l’Altesse chez quelques Vaudois et Valaisans… «La Jacquère, qui est notre fond de commerce, retrouve ses lettres de noblesse, grâce à sa légéreté», explique Charles-Henri Gayet, le président du comité interprofessionnel des vins de Savoie. Souvent, elle ne titre que 11% d’alcool pour une acidité vive.

Face à une densification croissante, dans le triangle Chambéry-Albertville-Grenoble, les vignerons viennent d’obtenir la modification d’un plan d’urbanisation, sanctionnant la sauvegarde du coteau viticole. «On vend notre paysage, nos cépages originaux et la qualité de nos vins», explique Philippe Grisard, un des trois frères d’une grande famille éclatée de Frètrive. Son frère, Michel, rénovateur de la Mondeuse, vient de prendre sa retraite, et lui s’apprête à confier son  domaine de 17 hectares à sa fille, Nadège, aux études à Montpellier, et en stage six mois en Nouvelle-Zélande.

Entre pépinières et bio

Un des axes de la résistance de ce petit vignoble est la pépinière : 25 à 30 millions de plants sont fournis aux vignerons de France et du reste du monde. A Cruet, les adhérents de la cave coopérative sont même tous pépiniéristes ! Dans cette région, adossée au massif des Bauges, qui fait face à l’éboulement du Mont Granier en 1248 (et qui lui a laissé une silhouette de Montagne Rocheuse spectaculaire — photo ci-dessous), les vignerons ambitionnent d’adopter une «charte paysagère» et visent l’inscription à l’UNESCO de cet horizon tourmenté, où les vignes ne montent pourtant pas à plus de 450 m. d’altitude, malgré le réchauffement climatique, tempéré par des micro-climats et des forêts denses.

Avec une relève motivée, les méthodes de culture évoluent. Les vignes ne sont pas toutes en pente, mais sur des «balcons» planes et mécanisables. Une vingtaine de domaines viennent de s’engager dans une démarche volontaire, sans label, de réduction des traitements phytosanitaires, encouragé et suivi techniquement sur cinq ans. «Avec l’humidité et nos cépages, les maladies de la vigne sont difficiles à éviter, et «le bio est très compliqué économiquement», plaide Philippe Grisard. Dans le sillage d’un autre mouvement, Défi, 8% du vignoble est en bio ou en biodynamie. La nouvelle génération aura, sans doute, son mot à dire.

Un vin blanc vif et minéral

La Jacquère — la moitié de la production savoyarde — garde une belle vivacité, puis évolue sur des notes miellées et minérales. Elle donne un  vin plus tendu, plus âpre que le chasselas… suisse, ou même savoyard de Ripaille, Marin et Crépy, et ses (tendres) accents lémaniques.

Dans ce contexte, on a bien aimé, les Jacquères du Domaine de l’Idylle, de la famille Tiollier (2016 et vieilles vignes 2015), un frais vin de Savoie 2015 du Domaine Vendange (le bien nommé), le Chignin 2016 d’André et Michel Quenard, La Sasson 2016, l’Apremont d’Adrien Vaucher, la Perle des Dames 2016 de Jean-François Maréchal, l’ambitieuse cuvée Vieilles Vignes 2016, de la coopérative Le Vigneron Savoyard,  et le classique Jongieux 2014 du Domaine Dupasquier, à la fois florale (chèvrefeuille, jasmin) et miellée, déjà marquée par une évolution positive. Et les cuvées d’un jeune domaine, de Jérémy Dupraz (en photo ci-contre) à Apremont, majoritairement cultivé en lyre, la «simple» Le Moulin 2015, puis Les Terres Blanches 2014, aromatique et végétale, et la Phoenix 2015, qui tire son gras et sa puissance de sa vinification durant 18 mois dans œuf en béton, des vins vendus entre 7 et 30 euros.

Ces vins savoyards sont aussi introuvables en Suisse qu’un Dézaley ou un Calamin en Savoie… On peut être voisins et s’ignorer superbement. Alors que des centaines de famille de vignerons de Savoie et de la Vallée d’Aoste sont venus s’installer aux 15ème et 16ème siècles, pour repeupler Lavaux et La Côte à la suite d’épidémie, notamment de peste, comme le montrent deux ouvrages, l’un de Jean-Pierre Bastian, «Une immigration alpine à Lavaux» (Bibliothèque historique vaudoise), et le tout récent «La vite in val d’Ossola» (Silvana Editoriale).    

Reportage paru dans Hôtellerie & Gastronomie Hebdo, le 16 août 2017.

Site Internet des vins de Savoie: www.vindesavoie.net

©thomasvino.ch