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Posted on 23 octobre 2017 in Vins suisses

Le Divico, nouveau héros des caves suisses

Le Divico, nouveau héros des caves suisses

Des «nouveaux cépages», la station de recherches de Changins (VD) en a «croisé» de nombreux, ces cinquante dernières années. Avec l’IRAC 2091, qui a pris le nom du chef des Helvètes, Divico, la Suisse détient la première variété de raisin au monde ne nécessitant aucun traitement phytosanitaire, apte à faire du (bon) vin.

Par Pierre Thomas, paru dans le magazine encore! le 15 octobre 2017 (pdf à télécharger ici)

La vérité d’un vin se trouve au fond du verre. Qu’on parle de vin «bio», de vin «nature» (sans ajout de SO2 ou «sulfites»), ou de «nouveau cépage», c’est là que tout se joue.

L’autre jour, au Domaine de Fischer, vénérable cave dominant La Côte vaudoise, un vin ouvrait une dégustation du cercle vertueux Arte Vitis. Ces quatorze vignerons, cooptés, forment l’élite du deuxième canton viticole de Suisse. Sur ma feuille de dégustation, j’ai noté : «Robe presque noire, beau nez de myrtille, attaque sur la pulpe de cerise noire ; mûr, rond, avec une touche de boisé, et un retour sur les fruits rouges croquants. Magnifique vin !».

Il s’agissait du Divico 2015 de Christian Dugon, un des meilleurs producteurs de vins rouges vaudois, dans les Côtes-de-l’Orbe, à Bofflens. De Genève (10 hectares recensés) au Tessin (1 ha), en passant par Vaud (4,3 ha), Neuchâtel (2,5 ha) et le Valais (1,6 ha), mais aussi dix autres cantons, le Divico, officiellement autorisé, se répand lentement, mais sûrement. Les vignerons acquis à la conduite de la vigne en biodynamie, les Vaudois Raoul Cruchon, Blaise Duboux, ou le Valaisan Didier Joris, mais aussi le vignoble de l’Etat de Genève, tous de renom, le vinifient déjà «in purezza», comme disent les Italiens, soit en monocépage. D’autres, en assemblage. Et seulement depuis deux ou trois ans…

Le Graal du viticulteur

Obtenir une variété qui ne nécessite pratiquement aucun traitement à la vigne est une forme de Graal. Le Divico est particulièrement adapté à la culture en bio. Au Domaine des Coccinelles, à Saint-Aubin, au bord du lac de Neuchâtel, le plus vaste, et un des plus anciens aussi, domaine certifié bio (label bourgeon) de Suisse, aménagé par son père il y a 25 ans, Pierre Lambert en a planté un peu. Il livre son raisin pour ses propres cuves, suivies par l’œnologue des Caves de la Béroche, où son premier Divico «pur» (le 2015) séjourne encore.

Une grappe de Divico ©Agroscope Changins

Est-ce le cépage miracle ? «Oui et non» répond le producteur neuchâtelois. «Il permet au vigneron une économie, de produits et de temps, mais il ne résout pas le problème du travail et du respect du sol.» «Il nous oblige à revoir complètement notre manière de cultiver», complète le Valaisan Didier Joris, qui en a planté à Chamoson. Ses grappes lâches ne craignent que les oiseaux, friands des raisins dès qu’ils sont mûrs — et le Divico est un des premiers gorgé de sucre même s’il se récolte plus tard, pour assouplir ses tanins — et la mouche Susukii. Cet insecte qui «suce» le jus a fait son apparition massivement en Suisse romande et au Tessin en 2014. Mais l’été sec de 2017 l’a grandement freinée…

C’est le seul aléas, avec des problèmes parfois à la floraison, que le Divico connaisse. Il n’est sensible ni au mildiou, ni à l’oïdium, ni à la pourriture grise, trois «champignons» qui mettent en danger le raisin durant son cycle végétatif et nécessitent jusqu’à une dizaine de traitements phytosanitaires, avec des produits classiques ou admis en bio, sur les autres cépages.

Un arbre généalogique touffu

Cette résistance, il la doit à ses parents. Fruit du croisement par Changins du gamaret, raisin rouge obtenu par la même station de recherche en 1970 déjà, et du bronner, un raisin blanc allemand, il convoque, parmi ses ancêtres, presque tout ce qui porte le nom de «vitis» (vigne) sur la planète. Pas seulement la «vitis vinifera», apte à élaborer du vin en Europe, mais aussi des vignes sauvages américaines («vitis rupestris» et «lincecumii») et asiatiques («vitis amurensis»). Ces dernières lui assurent une résistance naturelle au mildiou et à l’oïdium, qu’a perdue «vitis vinifera».

Par ces croisements nombreux, le cépage obtenu par Changins est donc un «interspécifique» (abrégé PIWI en allemand). Que la législation de l’Union européenne a exclu des dénominations d’origine protégée, pour l’instant… En France, le Divico figure sur une liste de cépages résistants en attente d’homologation, mais n’a pas été retenu en avril dernier (au contraire du bronner). A jus clair, mais à peau épaisse, ce rouge à reflets noirs dans le verre, contient une quantité très importante de resvératrol et de ses dérivés. Ces substances sont celles qui permettent à des médecins de recommander la consommation, certes modérée, de vin rouge «bon pour la santé».

Et si, après être plus «sain» à la vigne et pour le corps, ce cépage est de surcroît excellent à déguster, que demander de plus ? Seul bémol : les consommateurs de vin se méfient de la nouveauté et accordent souvent leur préférence à des cépages mondialisés, du pinot noir (le cépage le plus planté en Suisse) au merlot, en passant par le cabernet sauvignon et la syrah, en rouge. Et en blanc, au chardonnay, au sauvignon et au chasselas, si suisse. Mais déjà pointe le «Divico blanc», qui n’a pas de nom, juste un numéro de code, le RAC 2060. Il donne «un vin aux arômes qui se situent entre le sauvignon et la petite arvine», confie Didier Joris. On se réjouit de le goûter !

Divico késako ?

Drôle de nom pour un cépage ! Car le chef de guerre des Helvétes-Tigurins est une figure de la mythologie suisse aussi controversée que Guillaume Tell.

Dans sa jeunesse (né vers 130 avant JC), il s’en alla battre les Romains à Agen. A un âge avancé pour l’époque, en 58, il fut choisi pour représenter les Helvètes face aux Romains, qui défendaient alors Genève. Jules César lui-même l’écrit dans «De bello gallico». La rencontre tourna court et les Helvètes furent écrasés à Bibracte : Divico mourut sur les bords de la Saône. Non loin de là, un autre raisin rouge, tout à fait traditionnel, a gardé le nom de l’empereur romain : le César n’est cultivé que sur une dizaine d’hectares dans l’Yonne. Avec 22 hectares en Suisse, Divico tient déjà sa revanche !

©thomasvino.ch