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Posted on 29 mai 2008 in Vins suisses

Chêne suisse pour vins suisses

Chêne suisse pour vins suisses

Le terroir appliqué
au chêne suisse

A l’occasion du septième Congrès international des terroirs viticoles, à Changins près de Nyon, la semaine dernière, le fût en chêne suisse a trouvé sa consécration.
Pierre Thomas
C’est un vaste projet qui arrive au mûrissement final. «Terroir Chêne Suisse» a mobilisé les énergies d’Agroscope Changins-Wädenswil (ACW) depuis huit ans et englouti plus de deux millions de francs. Grâce à l’appui de la Fondation Audemars Piguet, l’horloger du Brassus (VD), les barriques en chêne suisse bénéficient d’une «marque de garantie» déposée par l’Ecole de Changins. «Terroir Chêne» a pour emblème le geai, un oiseau utile au repeuplement des forêts, que la même fondation appuie à travers le projet «Chêne 2200», dont le lauréat 2008 est Peseux (NE).
Un processus sous contrôle
Reste encore à remettre cet outil dans les mains des artisans que sont les derniers tonneliers de Suisse. Et d’organiser un marché d’offre et de demande. Pour Judith Auer, qui a mené la recherche au départ, le potentiel est de sept à huit mille fûts par année, tiré des forêts suisses.
La traçabilité du bois est garantie. Chaque arbre est identifié, y compris l’espèce de chêne (sessile ou pédonculé), qui donnera au vin ses nuances de goût, tout comme l’origine (Jura ou Plateau). Ensuite, un catalogue d’exigences, basées sur des études et des dégustations, conduit le travail du tonnelier, de la durée de séchage des bois (essentielle pour la qualité de la barrique) au type de chauffe au moment du façonnage (qui confère au bois, donc au vin, des arômes différents selon l’intensité du feu). Judith Auer l’assure : «Tous les processus de fabrication sont sous contrôle».
Jusqu’au bout de l’exercice
Ce projet a intéressé la Fondation Audemars Piguet, créée en 1992 pour les vingt ans du modèle de montre le plus fameux de la marque, la Royal Oak. Elle utilise, précisément, le symbole d’un chêne, royal, tiré de l’histoire d’Angleterre. Cette fondation développe des projets autour des forêts et de l’éducation à l’écologie: jusqu’ici, 56 projets ont été appuyés dans 26 pays.
Pour «Terroir Chêne», la fondation a voulu vérifier le résultat des études et a commandé en 2006 deux cuvées de vin, hors commerce, l’une de rouge, l’autre de blanc. La première illustre les compétences de Changins, alliant trois cépages croisés par des chercheurs de la station fédérale, le garanoir, le gamaret et le plus récent, le galotta (croisement de gamay et d’ancelotta), cultivés sur son domaine expérimental et vinifiés par un œnologue de l’école de Changins, Yannick Fournier. Un vin où le boisé de l’élevage se fond harmonieusement dans le fruit. Quant au blanc, il a été vinifié par Dominique Rouvinez, à la Colline de Géronde, à Sierre. Depuis plus de vingt-cinq ans, ce domaine élève des vins sous bois. La cuvée de la fondation reprend la base de «La Trémaille», un assemblage de chardonnay et de petite arvine, moitié-moitié. Le 2006, très jeune, laisse entrevoir les qualités du chêne suisse.
A Sierre, de la théorie à la pratique
L’œnologue valaisan est un des plus ardents défenseurs du projet suisse, qu’il soutient depuis le départ. Et il va l’appliquer : la cave de Géronde sera équipée en tonneaux, qui chassent les installations en inox. Ces prochains jours, quatre grands fûts de 9'000 litres, en chêne suisse, seront livrés par le principal tonnelier de Suisse, Roland Suppiger, de Küssnacht am Rigi. Sur un parc de 200 barriques, un quart sont déjà labellisées chêne suisse. A terme, Dominique Rouvinez estime que la moitié de ses barriques seront de bois indigène. «Je ne vais pas éliminer les barriques françaises. Ce qui fait l’intérêt d’un élevage sous bois, c’est la diversité des fûts.» Qu’ils soient d’Onnens ou de Pampigny, au pied du Jura vaudois, ou de la forêt de Galm, près de Morat, les chênes apportent des arômes et des qualités complémentaires.
Les cuvées haut de gamme des domaines Rouvinez, le cornalin, l’humagne et la syrah, seront toutes passées, dès la vendange 2008 dans le chêne suisse. Et, argument non négligeable, en ces temps d’euro à la hausse, ces barriques indigènes se paient le luxe d’être 50 francs moins chères que des fûts de qualité équivalente livrés de France (autour de 950 francs pièce). Reste à savoir si les rares tonneliers helvétiques — ils ne sont plus que trois ou quatre — pourront livrer les fûts. «Il y a encore trop peu d’intérêt pour ce projet», déplore Dominique Rouvinez.
Eclairage
Quand la vue influence le goût

Des travaux scientifiques l’ont démontré: le goût est influencé par des informations stockées dans le cerveau. Une chercheuse d’Angers (Loire), Christel Renaud, va prolonger son étude sur «le terroir comme critère d’achat du vin» en confrontant des consommateurs à des photos de vignoble, pour vérifier si la vue d’un (beau) paysage modifie la perception gustative d’un (bon) vin. Jusqu’ici, son enquête montre que le consommateur a de la peine à cerner la notion de terroir: pour 35%, il s’agit du sol, pour 32%, une région et 12% ne savent pas. Mais s’il ne parvient pas bien à le définir, le consommateur français estime que le terroir est important (78% des sondés). Le Congrès de Changins a également montré que, chez les scientifiques, le terroir s’il prend ses racines dans le sous-sol, s’étend au paysage. Sans oublier le ciel et ses couleurs, a fait remarquer un intervenant brésilien!  

Paru dans Hôtel Revue du 29 mai 2008.