AOP: Villette, poisson pilote
Comment définir les «appellations d’origine protégée» (AOP) et autres «indications géographiques protégées» (IGP)? Le système, voulu par Berne et eurocompatible, passera par la hiérarchisation des terroirs. Comment ? A Villette, le Canton de Vaud prépare le futur de sa spécificité de «grands crus» par l’étude, sur trois ans, du comportement du chasselas.
Par Pierre Thomas
L’année passée (2016), un groupe de viticulteurs de Villette s’est réuni pour se pencher sur l’avenir des vins de la région. On sait qu’on trouve à Lavaux, sur 736 hectares, soit 20% du vignoble vaudois, six lieux de production (Chardonne, Epesses, Lutry, Montreux ou Vevey, Saint-Saphorin et Villette) et deux AOC Grands Crus, Dézaley (et Dézaley-Marsens), 54 ha, et Calamin, 16 ha. Ce groupe aspirait à définir une partie de l’aire de Villette (136 ha) sur le modèle du Calamin, en désignant un «terroir» particulier.
Du sujet, on connaît ce qu’a apporté, en 2000 et 2010, «une des plus vastes études des terroirs connues à ce jour». Dans l’optique des futures AOP, «une méthodologie doit être définie, afin d’obtenir sur la base des informations historiques, pédoclimatiques et viticoles, un zonage du vignoble différenciant de manière objective le vins issus de ces différents terroirs», selon un document de travail rédigé par Olivier Viret, ancien chargé de la viticulture à Agroscope Changins, et, depuis le début de cette année, responsable du centre de compétences cultures spéciales au Service de l’agriculture et de la viticulture du canton de Vaud.
Le chasselas au centre de l’étude
Dans le langage technique, cette étude permettra la «caractérisation des terroirs de la zone Villette au moyen d’indicateurs physiologiques et viticoles», étudiés sur le principal cépage vaudois, le chasselas. L’étude portera sur trois millésimes, soit de 2017 à 2019, sur les quelque 130 ha de Villette, de bas en haut du vignoble, de 380 à 700 m. d’altitude. Huit stations météo ont été réparties pour recueillir des informations sur les variations de températures en fonction de l’altitude des vignes. Une trentaine de parcelles, définies par les viticulteurs eux-mêmes, sont étudiées dès cette année. Il s’agit, pour eux, de noter scrupuleusement les stades phénoliques (le cycle de la vigne — débourrement, floraison, véraison), de caractériser l’alimentation en eau, mais aussi en azote du feuillage et des raisins, de suivre la maturation des raisins et d’observer la vigueur des sarments au moment de la taille.
Le terroir peut-il se raccrocher aux lieux-dits?
En 2016, une demi-douzaine de vignerons avaient convaincu une étudiante en bachelor de Changins, de repérer les meilleurs situations dans le vignoble de Villette. Elle va livrer ses premières conclusions cet automne. La notion de «terroir» apparaît déjà sur les étiquettes des vins de Villette, à travers la mention de lieux-dits. Le jeune vigneron Guillaume Potterat, de Cully, qui a étudié ces notions de «terroir» à Changins, approfondies ensuite lorsqu’il était œnologue auprès de l’Etat de Genève, en a répertorié 31, apparaissant sur des étiquettes de 27 producteurs. Courseboux, Le Daley, Châtelard et Montagny apparaissent le plus souvent. Quant au patriarche visionnaire de Cully, Louis-Philippe Bovard, il a demandé au professeur Jean-Pierre Bastian, auteur d’«Une immigration alpine à Lavaux aux 15ème et 16ème siècles» (paru dans la Bibliothèque hisotrique vaudoise), de faire des recherches dans les archives communales. Certains de ces lieux-dits sont répertoriés depuis plusieurs siècles, comme Montagny, mentionné dès le 12ème, puis Chatagny et le Daley, au 14ème.
Ces noms manifestent-ils des différences ou ne sont-ils qu’une forme de «géolocalisation»? «La plante vigne est la seule manière de voir ce qui se passe réellement dans le terrain, notamment par rapport au régime hydrique, dont on sait qu’il est un des facteurs essentiels de la notion de terroir», explique Olivier Viret. La Fédération vaudoise des vignerons a entériné la démarche.
Pour préparer la transition de 2022
Dès 2018, d’autres zones pilotes, complémentaires, pourraient être introduites dans le réseau, par exemple dans le Chablais, à La Côte ou dans la région des Trois-Lacs. Et la méthode, mise en place à Villette, «doit pouvoir être extrapolée à l’ensemble du vignoble vaudois», postule le projet. Dès 2018, d’autres zones pilotes, complémentaires, pourraient être introduites dans le réseau. De son côté, le Vully a également un projet d’étude de son vignoble.
«On travaille pour les générations futures. On doit penser à cinquante ans et au-delà», s’enthousiasme Guillaume Potterat. De bon augure, sachant que le nouveau système AOP – IGP, sur le modèle européen, viendra directement des viticulteurs, à la base de toute démarche de qualification de leurs terroirs, puis de leurs vins, avec un cahier des charges spécifique à chaque dénomination, à l’inverse de la législation suisse actuelle qui charge les cantons de définir le cadre légal des AOC. Berne devrait trancher pour une mise en vigueur en 2022.
Article, actualisé, paru dans la revue «Le Guillon», été-automne 2017.
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