Viticulteurs de Bonvillars : un livre comme cadeau
Pour ses 75 ans, la coopérative des viticulteurs de Bonvillars, près d’Yverdon, s’est offert un livre. Chose rare dans le paysage vaudois qui n’a aucun ouvrage de référence, au contraire des Valaisans, des Genevois et des Neuchâtelois !
Par Pierre Thomas
L’auteure, Marie-Aldine Béguin, est, du reste, neuchâteloise ; certes de mère vaudoise et de père propriétaire de vignes… A défaut d’ouvrage «de fond» récent («Les vignobles vaudois», réédité par Cabédita et complété par Jacques Dubois en 1996, est basé sur une thèse d’économie politique de 1944), elle a plongé dans le livre d’or de la Cave, des coupures de journaux collectionnées par un sociétaire, et des procès-verbaux. Et interviewé deux douzaines de «témoins» de la viticulture vaudoise. En résulte, sous couverture rouge pétant, comme la couleur de la façade l’extension de la Cave, inaugurée fin 2014, une plaquette illustrée de quelque 120 pages, non seulement offert aux sociétaires, mais tiré à 400 exemplaires, et vendus au public, sur place, à la vinothèque de la coopérative.
Victimes de la première AOC
Le titre «CVB, 75 ans d’amour pour le vin» peut paraître exagérément impressionniste. Il reflète pourtant bien l’acharnement des pionniers, viticulteurs pour la plupart en plus de leur activité de paysan ou en usine, et, surtout de leurs successeurs.
Si on ne parle guère, aujourd’hui, du futur des AOC (dont la transformation en AOP semble, cet automne, être renvoyé aux calendes fédérales par les Vaudois d’abord !), c’est le premier règlement cantonal sur les appellations vaudoises, en 1947, qui priva les viticulteurs des «rives vaudoises du lac de Neuchâtel» de leur débouché naturel, traditionnellement à Cortaillod (NE). Cinq ans après sa fondation, celle qui s’appelait encore la «Société des viticulteurs du district de Grandson» décida donc, en 1948, de bâtir une cave pour vinifier ses propres vins et échapper à un négoce versatile : la récolte 1947 avait trouvé preneur chez un marchand… qui ne put la payer. Et le lieu, à l’entrée de Bonvillars, côté Champagne, correspondait à la distance moyenne des «îlots» de vigne dispersés entre Montagny-près-Yverdon et la chartreuse de La Lance, près de Concise. «La sévère mévente des vins en gros oblige la société à se muer en une entreprise commerciale écoulant directement ses vins à des consommateurs privés.» Ce constat d’origine a conservé son actualité : la Cave de Bonvillars n’écoule presque plus de vrac, mais commercialise près de 90% de ses vins dans ses propres bouteilles. Cette année, sa directrice (depuis 2007), Sylvie Mayland, a fait circuler dans toute la Suisse un «wine truck», version moderne de «caveau sur roulettes», servi par les producteurs eux-mêmes !
Vingt ans pour se remettre de 1982-83
Régulièrement agrandie, comptant jusqu’à 220 producteurs (pour 91 sociétaires dont 44 livreurs de vendange aujourd’hui), la Cave mit 20 ans à éponger financièrement les années de pléthore de 1982 et 1983, où l’on récolta 4 kilos de raisin au mètre carré… La coopérative entama alors une «descente aux enfers» et toucha le fond en 2003. Un des membres du conseil d’administration actuel, Philippe Corthésy, commente : «Avoir réussi à s’en sortir, c’est extraordinaire. En 2003, on pensait être perdus et 10 ans après, on a investi des millions, on a construit un nouveau bâtiment !». Le président Daniel Taillefert, qui mena la rude restructuration, souligne : «La création d’une coopérative était pertinente. Le système participatif est le meilleur moyen de responsabiliser tout le monde, de la vigne à la bouteille.»
Avec le jeune œnologue Olivier Robert, qui poursuit l’œuvre entreprise par le Bullois Jacques Gex, œnologue dès 1985, puis directeur de 2005 à 2007, les livreurs de raisin prennent en commun des décisions qui débouchent sur des vins de qualité, en chasselas (un tiers de la centaine d’hectares) et en pinot noir (un quart de la surface). Et en «spécialités», comme ce Merlot Gourmand 2016, qui a remporté, ce printemps, une médaille d’or au Mondial du Merlot, organisé à Sierre, et, mieux encore, les Lauriers de Platine rouge de Terravin, à Soleure, au printemps 2018.
Conseiller du label Terravin, l’œnologue Philippe Corthay, un des premiers à avoir osé produire des vins rouges de qualité internationale entre Coppet et Concise, l’est aussi de la Cave de Bonvillars. La récompense tombe à point nommé pour ce 75èmeanniversaire ! Et, sur les 4800 flacons, il en reste, à un prix public «compétitif» de 22 francs.
Paru dans Hôtellerie & Gastronomie Hebdo du 5 septembre 2018.