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Posted on 16 juillet 2019 in Actus - News

La Fête des Vignerons de Vevey à l’heure H

La Fête des Vignerons de Vevey à l’heure H

C’est demain, jeudi 18 juillet 2019, à 19 h., qu’aura lieu la première des vingt représentations de la Fête des Vignerons, dans l’arène éphémère de la place du Marché de Vevey. Une première unique : elle comprend la cérémonie du Couronnement des vignerons-tâcherons. C’est pour célébrer ces «travailleurs de la terre» (et de la vigne !) que la fête a été créée en 1797.

Par Pierre Thomas

222 ans plus tard, Vevey en connaîtra la douzième édition, soit cinq par siècle… Toutes sont différentes. Mais toutes rendent hommage à ces viticulteurs au service de propriétaires, répartis entre Lausanne et Saint-Maurice (VS), à Lavaux et au Chablais vaudois. Inspectés trois fois par an et une fois par génération (ou presque) ils peuvent être appelés à recevoir une «couronne» pour les cinq ou six meilleurs d’entre eux.

Le tableau des Cartes (photo © FeVi)

Cette année, le Tessinois Daniele Finzi Pasqua chapeaute tout le spectacle, assuré par une majorité de non-professionnels de la région, acteurs, musiciens, choristes, soit 5’500 personnes qui ont payé leur costume.  Il y a du foisonnement, du changement de rythmes, du traditionnel et du plus moderne, du symphonique et de l’intimiste, dans le déroulé des vingt tableaux. En riant, le metteur en scène avertit «rien n’est fait pour être compris». «Laissez-vous surprendre !», disent les organisateurs veveysans. Ce d’autant qu’il y a encore des places à vendre… Comme le spectacle changera entre matinée et soirée, le directeur général, le Genevois Frédéric Hohl, espère que le public s’y rendra… deux fois. Le budget de la manifestation, qui a largement franchi la barre des 100 millions de francs, exige un tel engouement populaire, qui tarde à se dessiner.

Une fête pyrotechnique pour allumer Vevey

Tout sera-t-il prêt au jour J ? Dix jours avant la première, l’impression de «work in progress» était palpable, dans l’arène de 20’000 places.

Avec un équipement d’amplification sonore impressionnant, un plancher de jeu en LED bluffant dans ses effets lumineux «de l’intérieur», la Fête s’est projetée dans l’ère numérique, avec scènes décalées et écrans géants… Chacun des 5500 acteurs et figurants a sa propre oreillette et entend ses instructions. Le défi du son, par soir de vent, est évident, pour que le public puisse capter les paroles des chansons, des chœurs ou des solistes.

Sur les premiers tableaux enchaînés, vus il y a dix jours, on a retenu quelques éléments. D’abord, ces scènes, vingt au total, qui représentent le travail de la vigne durant les quatre saisons, sont diverses, chorégraphiquement, scéniquement et musicalement. Après le prologue et la rencontre d’une petite fille, Julie, et son grand’père, le premier tableau, les vendanges, avec ses percussions, est foisonnant : il y a trop de monde sur le parquet de LED ! Les figurants doivent évacuer eux-mêmes le décor : aucun rideau ne tombe sur le spectacle.

Les Dr Besnard, Aké Béda et Monney. (photo © FeVI)

Pour assurer les transitions, la mise en scène a fait appel à trois «docteurs». Par leur texte, ils injectent un peu de vocabulaire bachique. Normal, puisque il s’agit du sommelier Jérôme Aké Béda, du journaliste radio Pascal Besnard, rédacteur en chef de la revue du Guillon — l’«autre», confrérie qui défend l’image du vin vaudois — et de Christophe Monney, un enseignant veveysan à la voix de velours.

Avec sa musique dansante et douce, le tableau des Cartes transforme le parquet de LED en tapis à jouer au jass, et la chorégraphie s’enchaîne… puis le tapis se retire — miracle de la technique ! Les Cent pour Cent, autant de femmes que d’hommes habillés en hallebardiers suisses, font leur entrée, leur arme de néon à la main, sur une musique symphonique entêtante, martiale, qui donne à l’arène veveysanne un air de Royal Edinburgh Military Tattoo. (photo ci-dessous, © FeVi)

Peu d’étrangers, malgré l’UNESCO

Curieusement, partie de la région viticole de Lavaux, inscrit au Patrimoine de l’UNESCO en 2007 déjà, et admise pour elle-même au Patrimoine immatériel de l’Humanité en 2016, la Fête des vignerons de Vevey n’attire que peu d’étrangers. 10 à 12% des billets vendus semblaient avoir été commandés hors de Suisse, début juillet.

Les journées cantonales, une première dans l’histoire bicentenaire de la fête, doivent attirer des cohortes de chaque canton concerné ce jour-là. Les organisateurs espèrent retenir ce public sur place pour que la ville vive jour et même nuit sur un rythme hors du commun. Pour l’abbé-président de la Confrérie des vignerons de Vevey, François Margot, «c’est un peuple qui se donne en spectacle. Vous y verrez du théâtre dans ce pays protestant qui ne fait jamais de théâtre».

Après les noces, la Saint-Martin — foire veveysanne séculaire — les trois soleils — symbole de Lavaux, qui ramèneront les vignerons-tâcherons à chaque représentation dans l’arène — les armaillis — qui marquent les liens entre le vin et le gruyère, les vignes et les alpages — et l’«Hymne à la terre», la vraie fête devrait se dérouler à l’extérieur…

Stands, restaurants et caveaux éphémères sont prêts à accueillir la foule. C’est là que les vignerons vaudois passeront leur été, jusqu’au 11 août, dernier jour dédié au Pays de Vaud. Ainsi, les encaveurs bio de Lavaux tiendront un restaurant à côté du cinéma Rex, qui projettera des documentaires sur la vigne et le vin. Juste à côté, au Kavo, l’œno-parfumeur Richard Pfister et deux de ses amis feront déguster, à l’enseigne de Vin sur Vin, des vieux millésimes, dont un chasselas des Dames de Hautecour de 1919. La propriétaire de ce domaine de Mont-sur-Rolle, Coraline de Wurstemberger, a fondé naguère les artisanes du vin. Et vingt-deux vigneronnes de cette association, grandement rajeunie, qui s’affirment fièrement «Nous, les Artisanes du Vin», marraines de la Semaine du Goût en septembre, tiendront un bar-terrasse au bord de l’arène. La Baronnie du Dézaley a trouvé, quant à elle, un lieu vaste, à deux pas de l’imposante structure métallique des arènes, côté est de la place du Marché. Au propre et au figuré, il y aura à boire et à manger jusqu’au 11 août…

www.fetedesvignerons.ch

Paru dans Hôtellerie et Gastronomie Hebdo du 17 juillet 2019.

Eclairage: une vive concurrence jusqu’au pied de l’arène…

La concurrence entre producteurs vaudois est rude: le cercle vertueux des meilleurs vignerons Arte Vitis avait trouvé un bar à vins tenus par deux jeunes artisans de Vevey. Obrist, gros fournisseur des vins de la Fête (Lavaux de base et Dézaley de prestige), a réussi à déloger les vignerons-encaveurs, en offrant, dit-on, une alléchante contre-affaire à un des artisans… Consolation pour les festivaliers: Arte Vitis tiendra son bar à Paléo… Quant à Badoux, il a délocalisé sa Badouxthèque à l’Espace Fine Fourchette du village de la Fête des vignerons.

Un Dézaley et un Yvorne, tous deux de 2017, sont les cuvées Prestige de la Fête.

Obrist et Badoux (du principal producteur vaudois, le groupe Schenk), les deux fournisseurs officiels des vins de la Fête de Lavaux (Vevey) et Chablais (Aigle), espèrent écouler entre 300’000 et 500’000 flacons des vins de la Fête, selon le dossier de presse. Il s’agit de deux blancs (chasselas) et de deux rouges (pinot-gamay), vendus au public 19 fr.. la bouteille. Le Lavaux 2017 s’est révélé très décevant: il est relayé par un 2018, qui a obtenu l’argent au Mondial du Chasselas, en principe pas avare en or (138 distinctions or pour 87 argent!). Je n’ai dégusté aucun de ces vins, dont le contenu de la bouteille devrait couler à flots dans les bars… Un rosé devrait rejoindre la gamme et tous les vins ont obtenu le label Terravin, a communiqué la «marque de qualité» des vins vaudois.

Mais j’ai pu apprécier les deux «vins de prestige» de la Fête 2019, deux 2017, élevés dans les règles de l’art. La matière première provient des parchets les mieux notés des vignerons-tâcherons. En principe, 5’000 flacons de chacun des vins devraient être mis en marché, dont un certain nombre de magnums (2000 bouteilles de chaque et le reste en magnums…). Je n’ai pas d’information sur le prix. Le Dézaley 2017, vinifié par Obrist, offre une magnifique complexité, digne de ce Grand Cru,«ni ouillé, ni coupé»; il confirme que pour le chasselas, 2017 est un millésime de référence; une note de brûlot où l’on reconnaît le terroir du Dézaley, soulignée par une légère amertume, complète la structure, dynamique. L’Yvorne 2017, porte-drapeau du Chablais, vinifié par Badoux, est en retrait: de la puissance, certes, de la richesse, mais une certaine mollesse, avec une impression collante en fin de bouche, qui, malgré le carbonique, l’aplat-ventrit… Contrastes, c’est sûr! Et du chasselas pour tous les goûts…

 

Dessin du caricaturiste Bertschy paru dans 24 Heures du vendredi 12 juillet.

©thomasvino.ch