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Posted on 11 septembre 2019 in Vins suisses

Le Château de Morges devient viticole

Le Château de Morges devient viticole

Il s’en faut de peu : une quarantaine de pieds de vigne et une vingtaine de barriques dans ses caves. Le Château de Morges, propriété de l’Etat de Vaud, devient viticole, juste avant les 600 ans du pinot local, le Servagnin, célébrés l’an prochain.

Par Pierre Thomas

Construit au bord du lac par les Savoyards à la fin du 13èmesiècle, pour résister au puissant évêque de Lausanne, le château de Morges, transformé en arsenal en 1803 et en musée militaire en 1925, recèle quelques souterrains. Comme ces dépôts, les «casemates», basses de voûte et riches en humidité. Le Domaine viticole de la Ville de Morges, propriété de la cité dès 1547, y loge depuis quelques mois une vingtaine barriques de vins rouges. Principalement du Servagnin, le pinot noir propre aux «Vins de Morges», qui ont protégé cette marque en 1997 et lui ont donné un cahier des charges. Dix-neuf vignerons cultivent une quinzaine d’hectares de ce cépage, un pinot noir, selon l’ADN, mais cultivé dans la région morgienne depuis 1420. Pour montrer aux visiteurs l’intérêt de la démarche, des panneaux didactiques ont été posés, et quelques ceps de vignes plantés il y a un an, à la place d’une collection ampélographique qui dépérissait, au nord-ouest du bâtiment.

 

Un domaine et des vins reconnus

Dirigé par Marc Vicari (jusqu’au 30 avril 2020, soit durant sept ans), le domaine d’une quinzaine d’hectares, a connu des heures fastes : en 2015, avec son chasselas le plus vendu (50’000 bouteilles des 130’000 du domaine), La Grand’Rue 2013, élevé sur lies, a remporté le Mondial du Chasselas et est devenu, en automne, la Cave Suisse de l’année 2015, à l’occasion du 9èmeGrand Prix du Vin Suisse. Les vinifications sont du ressort de l’œnologue à façon Fabio Penta (qui suit un portefeuille de plus de trente caves en Suisse romande). En reconversion bio — le chasselas La Grand’Rue sera labellisé bio suisse pour le millésime 2020 — et cultivé selon les principes de la biodynamie, le domaine développe aussi plusieurs «vins nature» : un très joli gamay 2018, sans SO2, aux arômes fruités et croquants, un chasselas, un chardonnay dans le style «vin orange», encore plus poussé sur le pinot gris, et un pétillant nature (pet’nat’) à base de chasselas.

Pour le Servagnin, qui n’a connu qu’une récolte très réduite en 2016, l’aventure du Château débute par le 2017, qui sera commercialisé cet automne, après deux ans d’élevage. Le Domaine de la Ville proposera alors un Servagnin «normal» (à 24 fr.) et une cuvée du Château de Morges (1000 bouteilles à 39 fr.). Concentré, boisé (et même bois neuf le premier millésime), complexe et apte au vieillissement, le 2017 paraît plus fermé que le 2018, d’une étonnante rondeur, à la fois puissant et fruité, déjà maintenant, alors qu’il lui reste une année de barrique… Il faut dire que ce 2018 titre 14,5% d’alcool ! Un 2013, en magnum, dégusté au Château de Morges, montrait que le vin avait passé son optimum… Autre nouveauté, un galotta vinifié (et muté) dans le style d’un porto vintage, étonnant, d’une belle droiture, avec une prise de bois encore bien présente.

Servagnin, premier pinot suisse ?

Réhabilitateur du Servagnin, Raoul Cruchon, qui fut le premier à en vinifier pour le compte du vigneron qui le replanta au début des années 90, à Saint-Prex, estime que la présence du cépage régional au château de Morges, est un «acte symbolique fort». L’an prochain (2020), on fêtera les 600 ans de la donation par Marie de Bourgogne des premiers ceps que Raoul Cruchon estime être le «premier pinot noir cultivé en Suisse», sous le nom de Salvagnin, Servagnin, Sauvagnin ou Servignier. Mais chacun tire la couverture de l’Histoire à lui… Les Neuchâtelois affirment que le pinot noir est présent chez eux depuis mille ans (et la première mention de l’abbaye de Bevaix en 998). Selon l’ampélographe Pierre Galet, le pinot noir serait reconnaissable dans une description de cépage de l’agronome romain Columelle (1èremoitié du 1ersiècle après JC) et cité comme «pinot fin» en Bourgogne en 1394. Tandis que l’encyclopédie Wine Grapes fait remonter sa première mention à 1375 et un voyage de Philippe le Hardi en Belgique. Marié à Marguerite de Flandres, Philippe le Hardi (qui interdit le gamay en Bourgogne) n’est autre que le père de Marie de Savoie, si chère aux Morgiens… En 2020, le Servagnin sera l’hôte d’honneur du salon des vins Divinum à Morges, connaîtra sa «Nuit du Servagnin» le 6 novembre et quelques autres commémorations durant l’année.

Sur le net :

http://www.academievin.org/le-servagnin-epopee-dun-pinot-noir-introduit-a-morges-au-moyen-age-par-raoul-cruchon/ 

 Paru dans Hôtellerie et Gastronomie Hebdo du 4 septembre 2019.