Pages Menu
Categories Menu

Posted on 17 septembre 2019 in Vins italiens

L’orvieto veut surfer sur la vague du prosecco

L’orvieto veut surfer sur la vague du prosecco

L’Italie exporte toujours plus de vins effervescents. Avec 460 millions de bouteilles (75% à l’exportation), le prosecco, élaboré en cuve close dans le nord du pays, a dépassé le champagne. Mais ce succès planétaire fait de l’ombre aux vins blancs secs transalpins. Que ce soit à Soave (près de Vérone), à San Gimignano (en Toscane), pour le Frascati (arrière-pays de Rome) ou à Orvieto (en Ombrie, entre Florence et Rome), les appellations traditionnelles de vins blancs secs italiens souffrent économiquement. Chacune se bat avec ses armes. Le Consorzio de Soave s’est lancé, en 2000, dans une «zonification» qui vient d’aboutir, au début de l’été, à la définition de 33 «unités géographiques», sur 40% de la DOC, dans les collines et non dans la plaine.

A Orvieto, miser sur des spécificités de terroir paraît difficile. Embouteillé à 70% par de grandes maisons de Toscane hors de sa zone viticole de production, l’Orvieto est connu comme un vin de supermarché… même s’il figure encore sur les cartes de restaurants de la Péninsule. Sur moins de 2000 hectares, à cheval sur l’Ombrie et le Latium, quelque 500 viticulteurs produisent près de 12 millions de bouteilles de vin blanc sec, à 80% en Orvieto Classico et 20% en simple Orvieto.

A la fin 2018, les producteurs ont décidé de bloquer la plantation de nouvelles vignes et d’abaisser le rendement à 750 grammes par mètre carré, jusqu’en 2021. Face à ce marasme économique, un des plus fameux noms du vin italien, Riccardo Cotarella, président de l’Union internationale des œnologues, consultant du Consorzio de l’Orvieto et directeur technique de la principale coopérative, Monrubio (700 hectares exploités), propose d’élaborer un vin effervescent dans le style du prosecco…

Lire ci-dessous deux reportages de Pierre Thomas (textes et photos). Le premier paru dans Hôtellerie & Gastronomie Hebdo le 18 septembre 2019, le second dans encore !, magazine de luxe livré avec Le Matin-Dimanche, le 15 septembre 2019.

L’orvieto veut se faire mousser

Et si l’Orvieto se lançait dans une version «spumante» pour concurrencer le prosecco ? C’est l’idée de l’œnologue vedette Riccardo Cotarella. Il l’a présentée, en juin, dans l’ancienne capitale étrusque.

La famille Cotarella est très impliquée dans le centre de l’Italie. Le frère cadet, Renzo, lui aussi œnologue, a débuté sa carrière au Castello de la Sala, propriété de 170 ha de la famille Antinori, qui produit, au nord de la DOC, un Orvieto Classico, et un assemblage de chardonnay et de grechetto élaboré en barriques, Cervaro della Sala, reconnu comme un des meilleurs blancs italiens. Chez les marquis florentins, l’œnologue a fait toute sa carrière, jusqu’au sommet de la hiérarchie. Dans le Latium et en Ombrie, les Cotarella possèdent aussi 400 ha de vignes. Avec des rouges modernes, comme l’assemblage de base Vitiano (cabernet, merlot, sangiovese) et le merlot Montiano, élevé en barriques de chêne français, Riccardo Cotarella a fait basculer les vins italiens dans l’ère de l’œnologie moderne, pour ne pas dire dans le Nouveau Monde. Son laboratoire, qui emploie huit œnologues, est installé à Monticio. Là où se situe la cave, ultramoderne de Falesco, de la «famiglia Cotarella», une entité remise par les deux frères à leurs trois filles. La succession de Riccardo, 71 ans, et de Renzo, 65 ans, est assurée. A l’image de celle de l’octogénaire florentin Piero Antinori, père de trois filles, à qui il a transmis l’entreprise. Dans les deux cas, la propriété familiale est garantie sur plusieurs dizaines d’années, sans possibilité de vente de l’entreprise.

Concurrencer le prosecco

Les «spumante», les frères et filles Cotarella les connaissent bien ! Un de leurs grands succès est un Est! Est! Est!, souple, délicatement aromatique, très plaisant, élaboré en cuve close à Montefiascone (Lazio). En plus de deux «méthodes classiques» (comme en Champagne…) à base de pur roscetto, un des cépages de base de l’Est! Est! Est!, et de pur pinot noir, tous deux élevés sur lattes 36 mois pour le premier, 18 mois pour le second.

A Orvieto, l’expérimentation, qui a porté sur mille litres, a été menée par les grandes caves Monrubio et Bigi, à partir des variétés locales, le trebbiano (appelé localement procanico), le drupeggio, le grechetto et un petit peu de chardonnay. La prise de mousse s’est faite en cuve close, selon la méthode Martinotti, du nom de son inventeur, à Asti (Piémont), mais rendue possible grâce à la mise au point de l’«autoclave» par le Français Charmat, au début du 20èmesiècle. C’est la même «recette» — qui fait pschitt ! — que pour le prosecco, à base du gléra, cépage des collines des environs de Trévise. Et l’assemblage d’Orvieto, joliment aromatique, n’a pas à rougir devant son concurrent !

Pour l’instant, la DOC Orvieto ne prévoit pas de «spumante». Selon le «disciplinaire» de 1971, tous les autres styles de vins blancs sont autorisés, sec, plus ou moins doux (dans la gradation «aboccato», «amabile» et «dolce»), et deux versions de vins de dessert, en vendange tardive et en «pourriture noble». Et même une diversion en rouge, «Rosso orvietano» ou «Orvietano rosso», qui permet d’utiliser des cépages italiens (sangiovese, canaiolo, ciliegiolo) ou internationaux (merlot, cabernets sauvignon et franc, pinot noir). Hélas, le blanc sec ou doux n’a plus vraiment la cote et, pour le rouge, les producteurs préfèrent l’IGT Umbria.

Miser sur les terroirs ? Difficile…

L’Orvieto pourrait-il, comme à Soave, définir des zones de crus ? Dans son domaine de Le Velette (100 hectares) qui, sur un plateau, fait face à la cité d’Orvieto, juchée sur sa «Rupe», sa roche abrupte de tuf volcanique, Corrado Bottai n’y croit guère. Même si le spécialiste du terroir, Alessandro Masnaghetti, vient de coucher sur une carte les caractéristiques des zones de production de l’Orvieto, très diverses du nord au sud de la Doc (46 km) et de l’ouest à l’est (23 km), sur 13 communes en Ombrie et 5 dans le Latium… Pour Corrado Bottai, membre historique du Consorzio, le consommateur peut déjà faire la différence en privilégiant l’Orvieto Classico Superiore (quota de production moindre et degré de maturité et d’alcool légèrement supérieur). Seuls les domaines bien implantés sont à même de le proposer et il ne représente que 7% des ventes de l’Orvieto…

Et pourquoi l’Orvieto ne serait-il pas vin de cépage, à l’image de la vernaccia de San Gimignano, en Toscane, qui cherche aussi à se revaloriser? Parce qu’il est défini comme un assemblage ! Selon le «disciplinaire», 60% au moins doit être composé de grechetto et de procanico. Pour les autres 40%, les cépages locaux, drupeggio, verdello et malvasia sont en concurrence avec le chardonnay, le pinot blanc, voire le viognier. S’y ajoutent les astuces de vinification : tel producteur passe son chardonnay «d’appoint» en barriques, tel autre fait de même avec une partie de son grechetto «de base». Et, finalement, même s’il n’est pas possible de vinifier du grechetto pur, sous peine de perdre le droit à la dénomination Orvieto (comme jadis, le sangiovese pur en Chianti Classico), c’est bien cet antique cépage qui paraît le plus intéressant gustativement. Le Velette en propose un bien nommé «Sole uve» (jeu sur les mots «soleil» et «seul raisin» en italien). Le 2015, cueilli le 10 septembre, fermenté et élevé quatre mois en barriques, offre un vin jaune doré, gras, puissant, large, de belle complexité. «Un slow wine», commente Corrado Bottai (photo ci-dessus), qui, à table, l’accompagne de poissons en sauce, de viandes blanches ou de pancetta (lard). Tout à l’opposé du vin d’apéritif facile et sans histoire. Pourtant, de l’Histoire, depuis les Etrusques, Orvieto et son vin en regorgent, au-delà du slogan du (sulfureux) poète Gabriele d’Annunzio, «le soleil de l’Italie en bouteille».

Pierre Thomas, de retour de «Benvenuto Orvieto di Vino»

L’orvieto sort du puits

L’ancienne capitale étrusque, Orvieto, au sud de l’Ombrie, veut redorer son blason grâce à son vin blanc. Voilà qui mérite le détour.

Pierre Thomas, de retour d’Orvieto

 C’était un des premiers jours d’été. Dans la chaleur d’un dimanche, la nouvelle syndique d’Orvieto a coupé le ruban rouge-blanc-vert du premier «Benvenuto Orvieto di Vino», une manifestation à la gloire du vin blanc local. Il est l’un des plus connus d’Italie, très présent dans les linéaires des supermarchés et il se cherche aujourd’hui une nouvelle identité,d’un blanc plus authentique et plus… profond. Ce jour-là, la vérité se trouvait au fond d’un puits, le «pozzo San Patrizio» (ci-contre), extraordinaire témoin de la Renaissance. Les Etrusques avaient établi leur cité (et capitale) au pied du bloc de tuf, la «Rupe», laissé par un volcan, le même qui créa, non loin, la dépression du lac de Trasimène. Les habitants creusèrent des centaines de cavités, à la fois comme logements, locaux divers, tels des pigeonniers ou des tombes. Ces cavités, qui font ressembler la Rupe à un emmental, se visitent (parcours «underground», billets à côté de l’Office du tourisme). Le puits San Patrizio occupe une place à part dans ce dédale sous-terrain. On y descend à plus de 50 mètres de profondeur par 450 marches en pente douce, on jette unepiécette en passant par-dessus le puits proprement dit et on remonte par le chemin inverse de ce double escalier hélicoïdal, prouesse technique de l’architecte Sangallo, au 16èmesiècle. Des ouvertures donnent l’impression d’une tour de Babel évidée… C’est là que des sommeliers, taste-vin argenté en sautoir, faisaient déguster des orvietos d’une vingtaine de producteurs du Consorzio de tutelle.

Le fief des frères et filles Cotarella

Si la glorieuse cité étrusque est retournée dans l’ombre après le siège et le sac par les Romains, en 264 avant Jésus-Christ, elle renoua avec le faste qu’à l’édification du «duomo», un monument pour célébrer le Corpus Christi, qui lui vallut un rayonnement comparable à celui de de Sienne. Avant de rentrer dans le rang de la province italienne…Pour le vin local, les hauts et les bas de l’Histoire sont comme une métaphore. Populaire, tel un autre blanc, le frascati romain, l’orvieto fut longtemps considéré comme un produit d’appel des voisins toscans pour mieux valoriser leur chianti. Encore aujourd’hui 70% des 12 millions de flacons sont mis en bouteille en-dehors de la zone de production (sur 2000 hectares). Mais, entre Ombrie et Latium, la renaissance récente des grands vins italiens doit beaucoup à deux œnologues locaux: les frères Riccardo et Renzo Cotarella. Le premier, président de l’Union internationale des œnologues, est un consultant à succès dans plus de 80 caves dans (presque) toute l’Italie. Le second débuta sa carrière au Castello de la Sala, au nord de l’appellation Orvieto, pour la famille Antinori. Il est, aujourd’hui, un des responsables de l’entreprise florentine, une des plus fameuses de la Toscane. Il y a deux ans, les deux frères, 71 et 65 ans, ont remis les clés de leurs propres domaines à leurs trois filles. Elles ont placé les vins les plus prestigieux sous le nom commun de la «famiglia Cotarella», plutôt que des domaines(400 ha, répartis entre Montefiascone, Falesco et depuis peu, Le Machioche à Montalcino). Si Dominga est en charge de la distribution des vins, Marta a ouvert une école hôtelière pour jeunes sommeliers, à Castiglione in Teverina, en face d’un musée du vin, à quelques kilomètres d’Orvieto, et Enrica s’occupe d’un projet de ferme pour les enfants handicapés, en collaboration avec un hôpital romain.

La «famiglia Cotarella» ne commercialise pas d’orvieto, mais Riccardo conseille la coopérative Monrubio (700 hectares), le petit domaine remarquable Decugnano dei Barbi et l’ensemble du Consorzio. C’est lui qui a jeté les bases du renouveau de ce blanc, vin frais et facile à boire, qui veut remettre en lumière les cépages locaux grechetto, procanico (nom local du trebbiano), malvasia et verdello, pour le lui donner plus de fruit et d’orginalité. Et cet été, on a trinqué à ce renouveau avec un essai d’effervescent et la promesse de concurrencer le prosecco!

Mes adresses

A 165 km de Florence et 120 km de Rome (par l’A1) et à moins de 3 heures de train régional de Florence et (un changement) de l’aéroport de Rome-Fiumicino, Orvieto mérite d’y séjourner deux ou trois jours. Site (bien fait, avec nombreuses videos): inorvieto.it

Se loger

Dans le quartier médiéval, le Palazzo Piccolomini (www.palazzopiccolomini.it) et, avec vue sur la cathédrale zébrée de noir et blanc, Virgilio (www.orvietohotelvirgilio.com), aux chambres petites mais confortables. Les deux sans restaurant.

A Rocca Ripesena (à 6 km), au milieu des vignes, le moderne Altarocca Wine Resort (www.altaroccawineresort.com): un restaurant, deux piscines, un Spa, avec des produits tirés du domaine viticole, cultivé en bio. Style classique, face à la Rupe, La Badia, une abbatiale du 8èmesiècle transformée en hôtel cinq étoiles, avec un restaurant, www.labadiahotel.it.

Bien manger

Sur la belle Piazza del Popolo, au centre d’Orvieto, deux cuisines de femmes, une traditionnelle, Da Mamma Angela (fermé jeudi), l’autre inventive, Capitano del Popolo (fermé mardi).A deux pas, Da Carlo: le jeune chef est le mari de la propriétaire du domaine Argillae (bon orvieto classico superiore Panata – www.argillae.eu)

Bien boire

Si les vins de la «famiglia Cotarella» sont dans toutes les œnothèques, en face de la Rupe, sur un haut plateau, les 100 hectares du domaine Le Velette valent la visite: Corrado Bottai est un garant de la tradition et propose des orvietos (classico et superiore) à prix aimable, un étonnant pur grechetto élevé en fût et d’excellents rouges, de sangiovese, de sangiovese-cabernet et de merlot. www.levelette.it

©thomasvino.ch