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Posted on 20 octobre 2020 in Tendance

Vitiviniculture : voilà le chasselas 4.0!

Vitiviniculture : voilà le chasselas 4.0!

C’est le principal cépage blanc de Suisse et un emblème national, même s’il paraît dédaigné outre-Sarine : le chasselas, qui donne un vin blanc sec et peu alcoolisé. Comment le faire évoluer ? Les chercheurs ont décidé de s’y consacrer.

Pierre Thomas

Né de la volonté d’un «baron» du vin vaudois, Louis-Philippe Bovard, 85 ans, de Cully, le «Conservatoire mondial du chasselas», à Rivaz, a dix ans. Il porte ses premiers fruits : à la lumière des observations faites sur cette parcelle de vigne d’un demi-hectare, le vigneron propose désormais une étiquette «Bois Rouge». Un vin blanc tiré de deux anciens chasselas, le «bois rouge» et le «giclet». Son distributeur Zweifel, à Zurich, a pris du pur giclet pour son «Vase 6». Et Bovard a planté à plus large échelle ces clones («enfant» d’un cep) aux qualités différentes, sélectionnés dans le Conservatoire.

D’un seul clone à une grande variété

Les variétés de vigne ont évolué avec le temps (comme pour les pommes, les fraises ou les abricots…). On ne sait rien des ancêtres du chasselas : la recherche ADN n’a pas réussi à déterminer ses parents. Mais, selon une règle appliquée par les spécialistes de la vigne, les ampélographes, là où le cépage est le plus représenté réside son origine. Pour le chasselas, c’est le bassin lémanique, les cantons de Vaud (2264 ha), de Genève (289 ha), mais aussi du Valais (où il est connu sous son nom historique, le fendant, 822 ha), Neuchâtel (158 ha) et les bords du lac de Bienne (71 ha). Soit sur 3656 des 14’704 hectares du vignoble suisse.

La science a sélectionné, par croisement naturel, un clone ; pour le chasselas, il est connu sous le nom de «haute sélection». Après le gel de 1956, presque tout le vignoble vaudois en a été replanté, réduisant la biodiversité du cépage à presque rien… Cette «haute sélection», mise sur le marché en 1945 (une année très chaude !), répondait aux souhaits d’assurer une grosse et régulière production de raisin. C’était le 2.0… 75 ans plus tard, le discours est inverse. Pour des raisons économiques, la vigne suisse ne devrait pas produire plus que le marché peut absorber en vin. Avant la Covid-19, les stocks étaient lourds et la crise menaçait déjà les vignerons suisses. La pandémie et le ralentissement de l’économie et du tourisme n’ont rien arrangé.

La science, elle, travaille sur le long terme. Il a fallu dix ans pour concrétiser les recherches du Conservatoire du Chasselas. Dans les années 1990, la version 3.0, lancée par Agroscope Changins, l’institut fédéral de la recherche agricole (et donc viticole), soit cinq variétés de chasselas «différentes» n’a pas eu un grand succès. Les vignerons sont conservateurs et attachés à leurs habitudes, même si leur milieu a énormément changé en 30 ans : mécanisation là où c’est possible, limitation de la production, et reconversion en culture biologique et biodynamique, qui s’accélère depuis cinq ans.

Au bout de la chaîne, le consommateur ignore presque tout des étapes qui conduisent de la vigne, soumises aux aléas climatiques (aujourd’hui influencé par le réchauffement !), au liquide dans son verre… Durant 40 ans, les œnologues ont été les maîtres de ce monde : dans les caves, l’inox a remplacé le bois, les levures sont sélectionnées, les opérations de cave accélérées, les corrections, nombreuses. La majorité des vins d’aujourd’hui n’ont plus grand’chose à voir avec le vin d’hier. Surtout en blanc, où l’on privilégie la fraîcheur du fruit, sa «buvabilité»… alors qu’on en boit beaucoup moins que dans les années 1980 !

La biodiversité du cépage n’est qu’un paramètre parmi d’autres. Mais, en attendant le 5.0, les descendants du chasselas croisés avec un ou des cépages résistants aux maladies nécessitant peu ou pas de traitement dans la vigne — les chercheurs suisses et français y travaillent —, le 4.0 consiste, aujourd’hui, en la mise à disposition de cinq nouvelles sélections de chasselas, dont des polyclonales (mélange de plusieurs clones). Le Conservatoire de Rivaz, au cœur de Lavaux, est doublé, sur La Côte vaudoise, au Petit Clos dont a hérité par sa mère la jeune vigneronne Laura Paccot, 30 ans, à Féchy. C’est elle qui, sous l’œil des chercheurs d’Agroscope, suivra l’évolution de ces clones cultivés en biodynamie. Les premiers essais de vinification sont pour cet automne.

Le consommateur aura son mot à dire

Le consommateur va-t-il suivre ? Le désamour du chasselas manifesté outre-Sarine, qui s’est traduit par la baisse massive de la consommation du vin blanc suisse depuis vingt ans, va, pour la première fois être étudiée. Sous l’égide de la Fondation pour la promotion du chasselas, à Aigle — qui organise depuis neuf ans un concours, le Mondial du Chasselas* — Changins, mais aussi la Haute école des sciences agronomiques, forestières et alimentaires, à Zollikofen (BE), et la Haute école zurichoise des sciences appliquées, à Wädenswil, vont mener la première étude nationale sur la réceptivité d’un vin par les consommateurs. Un sociologue sera amené à tirer des conclusions.

Dans un second temps, des panels expliqueront pourquoi ils préfèrent tel ou tel vin. On peut espérer que les essais de chasselas diversifiés seront soumis à ces «cobayes» du goût. Car on savait déjà, par la notion de «terroir», auquel le chasselas, cépage neutre (au contraire du sauvignon ou du gewürztraminer, par exemple), est sensible, que ce vin blanc peut être différent d’un endroit à l’autre.

En remontant à la biodiversité de la plante, on devrait pouvoir se convaincre que n’existe pas seulement «le» chasselas. Mais «des» chasselas, divers et variés. Et qui plus est, propres à la Suisse, comme la croix blanche sur fond (de vin) rouge.

*www.mondialduchasselas.com

VO d’un article paru en français et en allemand dans encore, le supplément art de vivre du Matin-Dimanche et de la Sonntagszeitung du 18 octobre 2020.